Dans le cadre de la promotion de « Les écolos nous mentent ! « (1) son dernier livre co-signé avec Henri Voron, Jean de Kervasdoué a bien voulu répondre à nos questions : gestion du Covid par Bruxelles, crues, alarmisme, écologie politique, politique scientifique de l’UE, Nutriscore, information scientifique et technique… l’ancien directeur des hôpitaux de Paris, ingénieur diplômé de l’Agro et des Eaux et forêts expose une nouvelle fois pour Europeanscientist sa polyvalence en traitant tous ces sujets méthodiquement et rationnellement.
TheEuropeanScientist : En tant qu’économiste de la santé et ancien directeur des hôpitaux de notre pays, quel regard portez-vous sur la manière dont l’UE gère la pandémie ?
Jean de Kervasdoué : Il y a deux ans encore, au sens strict du terme, l’Union n’avait pas de compétence « santé », l’organisation des soins et leur financement étaient de la compétence des Etats. Toutefois, les attributions de l’Europe en matière de réglementation des marchés touchaient aussi les industries biomédicales. A ce titre d’ailleurs et par extension, les questions de toxicologie et de rapport coût/efficacité des médicaments et de certains autres produits utilisés en médecine préexistaient à l’épidémie du Covid. L’UE a donc dû tout inventer quand elle s’est saisie de l’approvisionnement des tests et des vaccins. Elle l’a fait dans le cadre complexe de ses règles générales de fonctionnement, incontestablement plus longues et lourdes que celles des Etats-Unis ou de la Chine. Néanmoins, on peut affirmer que son rôle pour la France a été positif. Il suffit d’imaginer un instant ce qu’aurait pu être une concurrence entre pays européens alors que la demande de vaccins était très supérieure à l’offre mondiale et que la France n’en produisait pas sur son territoire.
TES. : Vous avez publié avec Henry Voron l’ouvrage « les écolos nous mentent ». Quelle est la réception de l’ouvrage ?
JDK. : Si l’on en juge par les ventes, la réception du public est très bonne malgré le boycott actif d’une grande partie des médias ; il en fut notamment ainsi de toutes les chaines de radio et de télévision du service dit « public » et de tous les quotidiens et les périodiques que l’on classait autrefois à gauche… Force est de constater qu’en quelques décennies, la raison a changé de camp. La Gauche qui défendait la raison est devenue croyante et imperméable à toute critique argumentée de la doxa des écologistes politiques.
TES. : Parmi les nombreux sujets que vous abordez il y a la thématique de l’eau notamment au travers du « manque d’eau » et de « l’eau volé par les riches ». Récemment ce sont des crues violentes qui ont ravagé l’Europe. Comment expliquer cette catastrophe ?
JDK. : Elle n’a rien d’exceptionnelle. On demeure dans les normes recensées depuis des siècles. La différence cependant est que l’on a beaucoup construit depuis un siècle dans des zones inondables lors de crues centennales. Et ce qui n’était que des phénomènes naturels, certes peu fréquents, sont devenus des catastrophes naturelles, car les hommes sont touchés par le débordement des cours d’eau.
TES. : Qu’il s’agisse d’incendie, de biodiversité, d’abeilles ou encore de forêt, vous affirmez que la situation n’est pas si catastrophique et qu’il ne sert à rien d’être alarmiste. Comment justifiez-vous votre point de vue ?
JDK. : Il est difficile d’apporter une réponse unique car toute question écologique se rapporte à un écosystème or, pour parler d’incendies, le bush australien est différent des forêts de la Californie du sud. Toutefois, dans les deux cas, c’est l’homme qui a construit des résidences en forêt et négligé la fabrication de pares-feux protecteurs. Il en est de même de la biodiversité dont on peut dire, qu’à l’exception des insectes, elle s’accroit en Europe mais est menacée en Sibérie ou dans certains pays d’Afrique. Elle peut être en danger en mer, notamment du fait de la surpêche en Méditerranée mais aussi dans les mers du sud. Quant aux abeilles, la production mondiale de miel a doublé depuis cinquante ans. Si elle se stabilise alors que la demande s’accroit, là encore les raisons sont multiples et spécifiques : attaques parasitaires, modification de pratiques culturales… Quant aux pesticides, l’unique obsession des écologistes, il est certain qu’en France ce n’est pas la cause première de la disparition des essaims. Il y a aussi de bons et de mauvais apiculteurs.
On peut ajouter que si les écologistes politiques sont dans le nord de la planète, les questions écologiques que soulèvent la forte croissance de la population mondiale sont surtout dans le sud et qu’il faut, en la matière notamment, veiller à toute forme de néocolonialismes.
TES. : Vous ne niez pas l’existence de véritables problèmes écologiques, comme, par exemple, la surpêche. Sur quel(s) principe(s) vous basez-vous pour démasquer les vrais des faux problèmes écologiques ?
JDK. : A chaque fois, j’insiste, il faut regarder l’équilibre dynamique des écosystèmes et voir comment les hommes le modifie, souvent de manière réversible, mais parfois de manière définitive. Ainsi, il est évident que, quand dans les riches plaines du Kenya où l’on cultive aujourd’hui des roses et des haricots verts, il n’y a plus de place pour les gnous, les buffles, les zèbres et leurs prédateurs. Plus inquiétant est le fait que, faute de traitement des ordures, les hommes rejettent en mer de millions de tonnes de matières plastiques qui perturbent les écosystèmes marins dont on connait encore peu de chose.
TES. : D’après vous les OGM sont « un indéniable progrès » et le nucléaire « représente l’avenir »… Pourtant il ne semble pas que Bruxelles considère ces innovations comme des priorités dans ces plans à venir.
JDK. : Oui, je partage ce constat et cela ne cesse de me surprendre. Il faut dire que bien au-delà de leur influence électorale, les « Verts » allemands qui ont déteint sur leurs voisins français, belges et néerlandais, notamment, ont depuis un demi-siècle choisi pour cible l’industrie nucléaire et depuis un quart de siècle les OGM et merveilleusement réussi leur campagne de communication. L’opinion les suit et, aujourd’hui, force est de constater, comme le disait Marcel Proust, que « les faits ne pénètrent pas dans le monde où vivent nos croyances ». On a beau montrer que sur tous les critères l’énergie nucléaire a moins d’inconvénients que ses concurrentes et que, par ailleurs, elle est la seule a pouvoir répondre au « tout électrique », rien n’y fait. Quant aux OGM, l’expérience mondiale en illustre chaque jour les bienfaits qui iront grandissants, car, c’est aussi la seule alternative sérieuse aux produits phytosanitaires ; mais rien ne se passe et les Européens pénalisent les agriculteurs en prétendant protéger leurs consommateurs ce qui n’est pas le cas, bien entendu, car les Européens importent des OGM, mais que personne ne s’inquiète : il n’a jamais été empiriquement démontré qu’ils étaient nocifs.
TES. : A la rentrée, Bruxelles doit se prononcer sur le choix d’un étiquetage alimentaire, parmi les candidats on trouve le Nutriscore. Vous affirmez qu’en mettant l’accent sur un produit et non sur une fonction, « le Nutriscore se trompe de cible ». Pouvez-vous expliquer ?
JDK. : Le Nutriscore apporte une petite pierre à l’information alimentaire, elle est interprétable quand on a déjà des bases solides en matière de nutrition. Ainsi, entre quatre pizzas, ce score dira celle qui est la moins grasse, mais la question centrale est de s’avoir comment cette éventuelle pizza va contribuer au bol alimentaire du jour, de la semaine ou du mois car ce qui compte ce ne sont pas les aliments mais l’alimentation. En outre, ce score dira toujours que la matière grasse est grasse et, à ce titre, mal classée par le Nutriscore, or il est nutritivement indispensable d’en ingérer. La question est donc, une fois encore, de s’attaquer à l’alimentation et pas aux aliments. Or, dans ce domaine l’école ne joue pas son rôle et les médecins sont peu, voire pas, formés.
TES. : Que faudrait-il faire pour que l’opinion dispose d’une meilleure information scientifique et technique ?
JDK. : Qu’elle existe quotidiennement dans tous les médias et qu’elle ne soit pas noyée dans une formulation de spécialistes. La science est ludique, passionnante. Pour montrer cet extraordinaire richesse, il conviendrait qu’au cours de leurs études les Français découvrent la passionnante histoire des sciences, toute aussi riche que celle de l’histoire de l’art ou de l’histoire tout court. Ainsi raconter comment Pascal s’est battu contre les Dominicains sur la notion de vide, comment Lavoisier a démontré que la théorie phlogistique de la combustion était infondée, comment Pasteur a remis en cause la théorie de la génération spontanée… permettrait d’illustrer notamment la manière dont les scientifiques tranchent leurs controverses. Les Français manquent de bases élémentaires et, par exemple, ont du mal à comprendre que l’électricité est un courant, un flux et que donc elle se stocke peu et mal. Par ailleurs, qui, dans le public, comprend la différence entre une image donnée par un scanner et celle donnée par une IRM, information utile quand on subit un de ses examens ? L’une est fonction de la densité des tissus et l’autre de leur composition chimique, ces appareils donnent donc des images différentes et n’ont pas les mêmes applications médicales. Faute de connaissance simple, de perspective historique, les Français ont une image rébarbative de la science alors qu’elle est riche, ludique et surtout est et sera le champ de développement de l’aventure humaine ; l’épidémie du COVID en donne une illustration, même si on aurait souhaité s’en passer.
TES. : Quel avenir imaginez-vous pour notre vieux continent s’il ne renoue pas avec une vision rationaliste ?
JDK. : L’Europe a encore de grandes universités, de grands chercheurs mais ils sont coupés de la vie politique, notamment parce que, en France surtout, la classe politique n’a aucune formation en la matière. Or il faut cesser de tout mélanger et de prétendre que des décisions politiques vont pouvoir modifier les bases de la chimie et de la physique. Ainsi, pour se limiter à ce seul exemple, l’hydrogène ne sera jamais une source d’énergie, au mieux elle en sera un vecteur car il faut dépenser beaucoup d’énergie pour isoler ce gaz, le transporter, le stocker avant de le brûler. On se prépare donc à d’importantes et coûteuses désillusions avant, je l’espère, d’en tirer des leçons ?
(1) Jean de Kervasdoué avec la collaboration d’Henri Voron, Les écolos nous mentent ! Albin Michel, 2021
A lire également
L’Europe face au Covid-19 (série) I De Kervasdoué : « La France fait ce qu’elle peut »