En période de vœux, un site comme le nôtre n’espère qu’une chose : que les années 2020 soient celles du renouveau de la culture scientifique européenne. Or pour cela, il n’y a qu’un modèle à suivre : celui de l’amour du savoir et de la connaissance. Sur ce plan, la Chine semble nous montrer la voix… mais serons-nous capable de la suivre alors que les idées fausses et la peur ont gagné l’opinion, comme en témoigne cette étude qui montre que « 39 % des Européens voudraient vivre dans un monde où les substances chimiques n’existent pas » ? Rien n’est moins certain. D’autant plus que l’idéologie continue de faire de terribles ravages sur le vieux continent.
L’appétit du savoir, sources de la réussite chinoise
Dans une tribune intitulée ‘This decade belonged to China. So will the next one’ (1) (cette décade était celle de la Chine et il en ira de même de la suivante), Martin Jacques montre que la décennie 2010 a vu l’émergence de la Chine d’une manière inattendue : alors que l’Occident pensait qu’elle allait rester longtemps la manufacture mondiale des produits bons marchés et de l’imitation, elle s’est révélée comme étant une économie innovante au point de déposer à elle seule plus de la moitié des brevets innovants du monde, l’année passé. L’expert note qu’il n’y a finalement pas de quoi être surpris, étant donné qu’il s’agit d’un pays qui a connu une croissance annuelle de 10 % pendant 35 ans et entre 6 et 8 % les 10 dernières années est forcément habitué à l’innovation. Mais la remarque la plus importante et qui nous intéresse ici est :
« N’oubliez-pas que la Chine est une civilisation extraordinairement riche et dotée de capacités intellectuelles, qui a toujours été très engagée dans l’apprentissage et l’éducation. »
De fait, la Chine occupe désormais la première place mondiale au dernier classement PISA. Et pour ceux qui auraient encore des doutes sur cette suprématie intellectuelle, une étude du sociologue du CNAM Yaël Brinbaum, vient d’être publiée qui montre que les enfants d’origine asiatique, et plus particulièrement les filles, se démarquent en France par leur sur-réussite scolaire. Ainsi, d’après ce travail qui a étudié 30 000 enfants scolarisés pendant plus de 10 ans, « Les filles comme les garçons asiatiques atteignent ainsi des taux de réussite au bac très élevés (92 % et 88 %) ». D’après Barthélémy Courmont, chercheur à l’IRIS, cela montre un rapport avec la provenance de pays de culture confucéenne « où l’éducation est mise en avant ». D’ailleurs, les enfants d’origine asiatique sont sur-représentés dans les filières scientifiques et le phénomène semble mondialisé (2).
Nous avions vu il y a peu, un sondage mené par Lego auprès des enfants, montrant que les jeunes Américains voulaient être vloggers alors que les jeunes Chinois rêvaient, eux, d’être astronautes.
Tout ces éléments mis bout à bout pointent dans la même direction : le savoir, la connaissance, l’étude… voici de bonnes résolutions à prendre en début d’année pour se relever et affronter la nouvelle décennie qui vient.
Diffuser la connaissance pour vaincre les peurs
Dès-lors, il semble difficile d’amorcer un sursaut européen sans prise de conscience des jeunes générations et des moins jeunes de l’importance de l’apprentissage scolaire, mais aussi de la culture générale. Or ce qui semble dominer actuellement notre civilisation occidentale, c’est moins un appétit de connaissance, qu’une peur diffuse de l’avenir. Comme nous l’avions vu, nous sommes devenus experts dans l’exportation des peurs du progrès. Sous l’influence de notre Sainte Greta, les jeunes gâchent leurs talents en faisant la grève des cours – leur solution pour préparer l’avenir – ou à la rigueur lancent des pétitions pour obtenir leurs baccalauréat.
À cela s’ajoute les campagnes de propagande du marketing vert ainsi que l’information trompeuse qui des scientifiques, aux politiques, en passant par les ONG, les médias et les industriels touchent tous les niveaux de la société.
L’exemple de la chimiophobie : une exception européenne ?
Le résultat hélas est sans pitié : le niveau général semble s’abaisser à une vitesse grand V : les croyances s’installent et les peurs gagnent l’opinion. En témoigne cette étude sur la « chimiophobie » – littéralement la peur de la chimie – en Europe, et les causes d’une perception biaisée du risque, publiée dans Nature Chemistry par Michael Siegrist et Angela Bearth du Consumer Behaviour de l’Institute for Environmental Decisions de l’ETH Zurich, en Suisse (3). L’étude en question a été conduite dans huit pays d’Europe : Autriche, France, Allemagne, Italie, Pologne, Suède, Suisse et Royaume-Uni. Elle a réuni 5 631 participants dont environ 700 par pays.
La prévalence d’une peur infondée des produits chimiques parmi les populations de ces pays a résulté d’un désir impossible de vivre dans un monde où les substances chimiques n’existent pas. Beaucoup affirment également qu’ils font tout pour éviter les produits chimiques alors mêmes que nous sommes généralement entourés par ces mêmes produits, de notre téléphone portable à notre alimentation en passant par nos vêtements.
Les deux chercheurs suisses ont donc montré que le public obéissait à trois règles d’heuristique quand ils jugeaient les produits chimiques : « Le naturel est meilleur », « la contagion » et « la confiance ». Le manque de confiance résulte alors dans cette « chimiophobie ». A contrario, le terme naturel n’évoque que des valeurs positives dans les esprits. L’heuristique du « naturel est meilleur » a pour conséquence la préférence « d’aliments naturels » mais aussi une perception négative de la chimie synthétique par rapport à la chimie d’origine naturelle. Si on prend l’exemple d’un produit pour déboucher les canalisations sur lequel figurera la mention « eco », il sera mieux perçu par l’opinion que le même produit de référence sans l’étiquette « eco », alors que bien souvent les deux produits ont quasiment la même composition.
Concernant l’heuristique de la contagion, il s’avère qu’un produit est perçu comme sain ou dangereux. Le public sondé n’apprécie pas le risque en fonction du degré d’exposition à un produit. Entre en ligne de compte également le troisième facteur qui est l’heuristique de la confiance. À noter que la confiance dans la parole des acteurs repose sur une perception de valeurs partagées, plutôt que sur des considérations liées aux compétences. Ainsi, la confiance ou le manque de confiance dans l’industrie chimique, les ONG, les instances gouvernementales ou encore les « people » peuvent influencer les individus.
Ainsi nous disent les deux chercheurs « les personnes qui connaissent la relation dose-réponse et comprennent que la distinction entre les produits chimiques synthétiques et naturels n’est pas pertinente pour évaluer le risque chimique ne sont pas aussi « chimiophobes » que les individus qui ne possèdent pas ces connaissances. Ceux qui possèdent une connaissance de base de la toxicologie n’ont pas besoin de s’appuyer sur le naturel, c’est mieux et l’heuristique de contagion. En outre, les consommateurs qui font confiance à leurs agences nationales pour contrôler avec succès les risques chimiques présentent moins de caractéristiques de chimiophobie que ceux qui se méfient des autorités. »
Cette étude reflète assez bien comment une idée fausse ou un jugement tronqué, peuvent s’insérer dans l’opinion. Hélas, la chimiophobie n’est qu’un exemple parmi d’autres des peurs qui se développent dans l’opinion et qui sont autant d’obstacles pour les individus d’adhérer aux bienfaits du progrès et ce, alors même que les éditorialistes de Johann Norberg (4) à Matt Ridley (5) s’échinent à montrer que la décennie passée a été fantastique.
Au nom de toute l’équipe de European Scientist je vous souhaite une décennie 2020 fantastique sous le signe de l’amour de la science et de la découverte et débarrassée de toutes les peurs de l’avenir.
(1) https://www.theguardian.com/commentisfree/2019/dec/31/decade-china-west-china-ascent
(2) https://www.atlantico.fr/decryptage/3585761/les-secrets-avouables-et-les-autres-de-l-excellence-scolaire-des-jeunes-eleves-d-origine-asiatique
(3) Michael Siegrist and Angela Bearth, Chemophobia in Europe and reasons for biased risk perceptions, in Nature Chemistry https://www.nature.com/articles/s41557-019-0377-8
(4) The 2010s Have Been Amazing : https://www.wsj.com/articles/the-2010s-have-been-amazing-11576540377?mod=opinion_lead_pos7#comments_sector
(5) We’ve just had the best decade in human history. Seriously : https://www.spectator.co.uk/2019/12/weve-just-had-the-best-decade-in-human-history-seriously/
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