
De très nombreux pays (plus d’une trentaine répartis sur tous les continents : américain, asiatique, africain et zone pacifique) [1] développent déjà de nouvelles variétés de plantes génétiquement éditées (issues des nouvelles techniques génomiques, NTG ou NGT –new genomic techniques) plus aptes à faire face aux changements climatiques observés (tolérance à la sécheresse ou aux inondations, décalage de la floraison), à mieux se défendre contre leurs bioagresseurs (insectes, maladies) ou à développer de nouvelles propriétés nutritionnelles (biofortification) dans une course à l’innovation pour, non seulement trouver des solutions afin de rendre leurs agricultures plus résilientes, mais aussi pour acquérir des parts de marché sur ce segment très compétitif [2, 3].
Cette soif de développement de nouveaux produits a été rendue possible dans ces divers pays par les allégements opérés des réglementations nationales qui gèrent les organismes génétiquement modifiés (OGM). Ces réglementations, on le sait, sont lourdes et très onéreuses, non seulement sur le plan technologique mais aussi à cause des coûts engendrés par la mise en place de mesures de précaution à une époque (années 1990-2000) où les connaissances scientifiques étaient moins avancées qu’aujourd’hui. Les progrès dans la modification génétique réalisés par l’édition génomique, plus légère à mettre en œuvre, plus précise dans les résultats obtenus et moins coûteuse à réaliser justifient pleinement un allégement de l’environnement réglementaire à observer.
Le long chemin de la révision européenne : au bout le trilogue
L’Union européenne (UE), dont la Cour de justice (CJUE) a classé en 2018 tous les produits végétaux issus des NGT dans la catégorie des OGM, c’est-à-dire régis par la directive 2001/18, poursuit, quant à elle, la lente procédure engagée dès 2019 par le Conseil européen. En effet, celui-ci, face à la levée de boucliers de nombreux acteurs de tous les secteurs (économique, scientifique, agricole et industriel), s’est prononcé en faveur d’une révision de la réglementation européenne pour certains produits végétaux issus de NGT. Six ans après, cette perspective d’évolution est toujours en cours mais sur le point d’aboutir « incessamment sous peu » selon la formule consacrée, avec la conclusion d’un « trilogue » qui lui sera consacré.
Le trilogue est l’ultime étape de ce long processus. Il réunit des représentants du Parlement européen, du Conseil de l’Union européenne et de la Commission européenne pour une dernière négociation inter-institutionnelle. Actuellement, de nombreux comités techniques informels échangent les arguments pour développer la version finale du règlement qui sera adoptée lors d’une réunion formelle et décisionnelle.
Principales étapes d’une longue et âpre procédure
Auparavant la procédure a nécessité plusieurs étapes, des études scientifiques mais aussi des enquêtes publiques lesquelles furent l’objet de manœuvres, d’entraves et de lobbyismes intenses, par exemple une cyberattaque dument identifiée de la part d’élus écologistes (EELV) (4). A leurs termes, la Commission européenne a publié quatre ans plus tard, le 5 juillet 2023 une proposition d’évolution de la législation (5). Ce projet de nouveau règlement fut débattu au sein de la Commission ENVI (environnement) du Parlement européen qui l’adopta le 24 janvier 2024 par 47 voix pour, 4 abstentions et 31 voix contre qui défendaient le maintien de la réglementation actuelle (la directive 2001/18). De ce fait, le texte continua son parcours parlementaire et fut transmis au Parlement qui, réuni en séance plénière, en statua.
Le texte final intitulé « Végétaux obtenus au moyen de certaines nouvelles techniques génomiques et les denrées alimentaires et aliments pour animaux qui en sont dérivés » a été adopté en séance plénière du 7 février 2024 par 307 voix « pour », 263 voix « contre » et 41 abstentions (6). Ce vote favorable est intervenu malgré des démarches d’obstruction de certains parlementaires hostiles déposant des pluies d’amendements au niveau de ces deux instances, ainsi plus de 1200 pour la seule Commission ENVI (7) !
Dans ces conditions, le texte initial proposé par la Commission et celui adopté par le Parlement (que j’ai eu l’occasion d’analyser antérieurement dans cette revue (5,6,7)), comportent des différences notables. Des négociations ont donc été engagées au sein du Conseil européen pour aboutir à un consensus, difficilement trouvé en mars 2025, qui est déjà remis en cause. Le Parlement européen a en effet suspendu le 28 juin 2025, le dernier cycle des négociations interinstitutionnelles du trilogue. Des divergences subsistent entre le Parlement et les Etats membres sur l’ampleur des modifications génétiques à autoriser avec une réglementation allégée, les règles de traçabilité et d’étiquetage pour les consommateurs et de brevetabilité des plantes génétiquement éditées (8)
En guise de conclusion…
Attendons la suite de ce feuilleton européen qui se poursuit à Bruxelles et s’achèvera avec les conclusions définitives du trilogue, pour savoir si la nouvelle réglementation européenne qui s’appliquera aux NGT végétales, avec toutes les restrictions déjà annoncées, permettra enfin à l’UE de monter dans le train mondial du progrès de l’édition génétique pour la création variétale.
Références :
- Genetic Literacy Project GLP : Gene Editing and New Breeding Techniques:
Regulations, Ratings and Index https://crispr-gene-editing-regs-tracker.geneticliteracyproject.org/#jet-tabs-control-1401 - Catherine Regnault-Roger (2022), Enjeux biotechnologiques, Presses des Mines, 204 pages
- Catherine Regnault-Roger (2024), Biotech Challenges, Springer Nature, 157 pages
- Catherine Regnault-Roger (2023), Modifications ciblées du vivant : il est temps de modifier la réglementation. The European Scientist , 01.03.2023 Modifications ciblées du vivant : il est temps de modifier la réglementation
- Catherine Regnault-Roger (2023) NGT : La commission européenne pratique le « en même temps » The European Scientist , 11.07.2023, NGT : La Commission européenne pratique le « En même temps »
- Catherine Regnault-Roger (2024) NGT : le « oui mais » du Parlement européen The European Scientist, 11.07.2023 27.03.2024 NGT : le « oui mais » du Parlement européen…
- Catherine Regnault-Roger (2024) « NGT : un vote en faveur du progrès biotechnologique agricole » Catherine Regnault-Roger interview , The European Scientist 26.01.2024 « NGT : un vote en faveur du progrès biotechnologique agricole » Catherine Regnault Roger (Interview)
- María Simón Arboleas et Sofía Sánchez Manzanaro (2025) El Parlamento Europeo carga contra Bruselas por «marginarlo» en las negociaciones sobre «edición genética», Euractiv 28.06.25, https://euractiv.es/section/agriculture-food/news/meps-pull-plug-on-gene-editing-talks-blame-council-for-deadlock/
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