Alors que l’AFP vient de laisser fuiter le brouillon du prochain rapport du GIEC (1), on perçoit encore davantage l’intérêt de lire Apocalypse never (2). Le dernier ouvrage de Michael Shellenberger est un vaccin contre l’alarmisme, cette maladie qui fait des ravages dans l’opinion.
La parole d’un converti
On ne présente plus Michael Shellenberger, cet expert énergie et environnement qui a reçu le prix « héros de l’environnement » de Time magazine et a été invité par le GIEC. Vous avez peut-être déjà lu sa prose dans les colonnes du New York Times, du Washington Post, du Wall Street Journal ou encore de Nature Energy… Aujourd’hui président de l’associations indépendante Environnemental Progress, son parcours est étonnant. En effet avant de devenir l’un des meilleurs avocat de la science et du progrès technologique, notre auteur a été d’après ses dires un des plus virulents militant anti-nucléaire. Dans Greta a tué Einstein (3), nous en avons fait une des figures de proue des « convertis », aux côtés de Mark Linas, Bjorn Lomborg ou encore Patrick Moore. Les convertis sont d’anciens militants engagés pour la cause de l’écologie politique qui sont devenus les meilleurs avocats de la science et du progrès, souvent après avoir connu une forme de révélation.
Il est difficile d’imaginer que l’auteur d’Apocalypse never a passé des années à dessiner des pancartes contre le nucléaire et participé à des rassemblements contre l’ouverture ou pour la fermeture de telle ou telle centrale atomique. Elevé par des parents soixante-huitards, il descend également d’une longue lignée de chrétiens pacifistes, qui a l’habitude d’allumer des bougies en mémoire du jour des bombardements atomiques d’Hiroshima et Nagasaki. Impliqué avec les activistes antinucléaires il s’est engagé pour le développement des énergies renouvelables au sein de l’Alliance Apollo, association qui a inspiré le président Obama dans son programme d’investissement de 150 milliards de dollars pour faire du solaire, de l’éolien et des voitures électriques. Comment ce personnage a-t-il pu faire un tel volt-face ? Voici les éléments de son dernier ouvrage qui permettent de mieux comprendre sa démarche.
Sur le terrain de l’écologie
Comme l’indique son titre accrocheur, Apocalypse never vise à démontrer que la fin du monde n’est pas pour demain, contrairement à ce que nous annonce les marchands de peur qui, régulièrement, depuis une trentaine d’année maintenant, nous la prédisent comme toujours plus imminente. On pourrait dire que celle-ci toujours annoncée par des prêcheurs de l’apocalypse est sans arrêt annulée et repoussée. Le plus célèbre ajournement étant sans doute le cri d’alarme d’Al Gore qui avait annoncé dans les années 90 qu’il ne nous restait que 10 ans pour agir.
Avec de nombreux autres auteurs, Shellenberger a donc rejoint la croisade contre l’alarmisme. Ce n’est pas la fin du monde explique-t-il dans un premier chapitre où il remet les pendules à l’heure. D’ailleurs si d’après l’Agence Internationale de l’Energie, les prévisions d’émissions de CO2 seront un peu plus faibles d’ici 2040 que ce que prévoient les différents scénarios du GIEC, ce n’est pas dû aux militants du climat (Mc Kibben, Thunberg, AOC …) mais au fait que les pays les plus avancés sont passés du charbon au gaz naturel et au nucléaire dans les années 70 (p.26).
L’originalité d’Apocalypse never est sans doute dans le fait qu’il est un livre qui nous emmène directement sur le terrain de l’écologie. On voyage avec Michael Shellenberger tout autour du globe à la rencontre de personnages concernés directement par des problématiques environnementales et/ou sociétales, et qui voient les choses totalement différemment de la logique que nous impose les ONG. Cette manière de renverser les problématiques de l’écologisme a quelque chose de vertueux, car elle révèle son éloignement de la réalité et à quel point celui-ci relève de l’idéologie.
Ainsi, dans le chapitre « Mettre une fin aux pailles plastiques » Shellenberger mélange anecdotes récentes et histoire ancienne pour nous démontrer qu’à l’origine, l’utilisation de matières plastiques, vue aujourd’hui comme une tare environnementale à cause de la gestion des déchets, a permis de sauver des espèces telles que les tortues ou les éléphants (par exemple on a pu se passer des écailles de tortues pour faire des lunettes)… ce qui permet d’énoncer le paradoxe suivant : « c’est seulement en adhérent à l’artificiel que l’on peut sauver ce qui est naturel » (p.62)
Tout l’ouvrage est une succession de renversement de perspectives de ce genre. Et l’un des plus frappants est sans doute celui du chapitre intitulé « Annulation de la sixième extinction » dans lequel l’auteur nous emmène en voyage dans la réserve du Parc Virunga au Congo.
Les gorilles de Virunga
Shellenberger introduit le chapitre en rappelant les chiffres alarmistes du dernier rapport de l’IPBES qui affirme que la terre pourrait perdre 40% de tous les amphibiens, 30% des animaux marins, 25% des mammifères, et 20 % des reptiles le rapport de 1500 pages annonce que ces pertes jamais vues sont une menace inouïe pour le bien-être de l’humanité. A côté du rapport de l’IPBES, on trouve également celui de l’IUCN (l’union internationale pour une conservation de la nature) qui affirme que 6 % des espèces sont en danger critique, 9% sont en danger et 12% sont vulnérables et bientôt en danger…. Toutes les associations qui se consacrent à la conservation de la nature rencontrent un problème essentiel : le déclin des populations animales. Or, si les zones protégées ne manquent pas, notamment en Afrique, celles-ci peuvent générer d’autres types de problèmes. Ainsi, Virunga, un film de 2014 nominé aux Oscars avaient dénoncé que des compagnies pétrolières menaçaient les réserves des Gorilles situées au Congo, Shellenberger est allé sur le terrain pour en avoir le coeur net et il s’est rendu compte que la réalité était toute autre : le vrai danger pour les gorilles et la faune locale n’était pas la croissance économique et les combustibles fossiles, mais la pauvreté et le bois de chauffage.
En effet, en Juillet 2008, dans le parc de Virunga toute une famille de gorilles a été décimée par des chasseurs. On s’est rendu compte qu’il s’agissait d’un acte de vengeance de la part de la mafia locale qui a voulu faire passer un message au nouveau directeur du parc, celui-ci ayant obéit aux injonctions des ONG environnementalistes qui lui ont demandé d’empêcher la production de charbon de bois au coeur du parc. Pour rappel, le charbon de bois présente de nombreux avantages pour les usages de cuissons par rapport au bois et est préféré par les populations locales. La réserve de Virunga était donc un lieu privilégié pour les trafficants de charbon de bois.
Dans les années 2010, prenant la mesure du problème, le gouvernement congolais a donc nommé Emmanuel de Merode un belge à la tête du parc et celui ci est venu avec de nouveaux projets notamment avec la construction d’un barrage hydraulique (financé avec des fonds de Howard Buffet et de l’UE), d’une école et d’une petite fabrique pour faire du savon à partir de l’huile de palme. Une belle opportunité donc pour la communauté locale, mais qui est loin de supprimer tous les problèmes. Et notre auteur, devenu reporter en immersion pour l’occasion, passe ceux-ci en revue : destruction de cultures par les animaux du parc, traffic et problèmes avec les mafias locales… Ainsi il nous raconte les aventures de Calebe, son guide, et de son épouse Bernadette qui doivent faire face à de nombreuses menaces au sein de la réserve…
Shellenberger démontre que le principal problème rencontré par les populations locales vient de l’approvisionnement en énergie : pour que les locaux cessent de s’en prendre à la réserve, il faut qu’ils trouvent d’autres combustibles que le bois et/ou le charbon de bois. Le pétrole présent à proximité de la réserve pourrait être une solution, encore faut-il trouver une solution pour l’exploiter durablement. Quant au barrage qui a été construit, Shellenberger souligne le fait qu’il est bien trop petit : il ne peut approvisionner pas plus de 20000 personnes … la solution serait de construire un barrage à Inga sur le fleuve Congo, on pourrait alors avoir un potentiel de production de 100.000 mégawatts et approvisionner toute l’Afrique avec cette énergie (p.84).
Qui a voulu la peau de Diablo Canyon ?
La leçon que l’on tire de Apocalypse never c’est que le rapport de l’écologisme au mode de production de l’énergie est fondamental. Dans le chapitre Saving the nature is bomb, on apprend que les mouvements écologistes n’ont pas toujours été anti-nucléaires. Ainsi, le Sierra Club, une des toutes premières association écologistes, fondée en 1892 par John Muir et qui fait office de référence en la matière, était plutôt pro-nucléaire civil.
D’après Schellenberger, certains de ses membres y voyaient les centrales atomiques comme une bonne alternative aux autres types d’infrastructures que sont les barrages hydrauliques ou les centrales à charbon qui détruisaient l’environnement. A l’époque, la vision de l’environnement était surtout conservatrice. Hélas un conflit interne s’est immiscé entre les membres au sujet de la centrale nucléaire qui sera construite par Pacific Gas and Electric (PG&E) à Diablo Canyon, près de San Luis Obispo, en Californie.
Une tension est apparue entre David Siri, un des membres du conseil de direction du Club selon qui « L’énergie nucléaire est l’un des principaux espoirs à long-terme pour la conservation. » et David Brower, le directeur du Club en personne, pour lequel le fait de doubler la taille de la population californienne, en fournissant une énergie abordable pour cette croissance, aurait des conséquences graves sur la nature californienne.
Jusqu’en 1967 Le Sierra Club a voté en faveur de la construction de la centrale atomique de Diablo Canyon. Ensuite un argument inédit est arrivé sur le plateau apporté par un nouveau membre, David Pesonen. Sa stratégie consistait à abandonner l’argument « conservateur » pour passer à celui de l’assimilation des centrales atomiques aux armes nucléaires. En compagnie de Hazel Mitchell, ils ont créé un rapport dans lequel ils évoquaient un risque dû à une sorte de « Death dust » (Poussière mortelle) qui empoisonnerait le lait. Partant de là, ils ont organisé des rencontres locales pour informer les mères de famille. Et comme le souligne Schellenberger « ils ont découvert une force extraordinaire, celle de la peur suscitée chez les mères, de voir leur enfant empoisonnés » A partir de 1974, l’ensemble du Sierra Club fut gagné à la cause anti-nucléaire, ainsi Michael Mc Closkey, le nouveau directeur insistait sur la nécessité d’accroitre la régulation afin de contenir les dangers du nucléaire.
Selon Schellenberger toujours, un deuxième élément est entré en ligne de compte pour insinuer la peur du nucléaire dans l’opinion : le film The China Syndrome, avec Jane Fonda, Michael Douglas et Jack Lemmon racontait l’histoire d’une centrale nucléaire dont le noyau fond à cause de la corruption et de la mauvaise gestion de la centrale et traverse la terre pour arriver… jusqu’à la Chine. Dans le film, on retrouve l’influence de Pesonen avec cette idée que les mères de famille ont peur pour leurs enfants. Ironie du sors, quelques jours après la sortie du film, survient l’accident de Three Miles Island. Jane Fonda et le producteur du film saisiront cette occasion terrible pour accentuer leur message, au travers de concerts de rocks et lanceront alors à ce moment une affiche « No Nukes » dans laquelle on voit un champignon atomique. Ce qui réalise selon Schellenberger l’objectif initial de David Pesonen : démontrer la similarité entre les armes et l’énergie nucléaire.
Une conférence a été organisée dans laquelle on a mis sur scène un soldat qui avait été irradié à côté d’une mère de famille qui habitait en Pennsylvanie à proximité de la Centrale de Three Miles Island. Or, selon l’analyste, la couverture médiatique de l’accident s’est concentrée sur ce qui « aurait pu arriver » plutôt que sur ce qui « est vraiment arrivé ». Partant du principe qu’une faible radiation avait été relâchée à proximité de la centrale. La conclusion de cette histoire étant qu’en 1979, on a arrêté la construction du projet de centrale de Diablo Canyon. Rappelons que Three Miles Island n’a fait aucune victime directe ou indirecte.
La fin du monde est de nouveau reportée… pour cause de progrès technologique
Si nous avons choisi ces deux histoires pour notre recension, c’est parce qu’elles sont caractéristiques. Mais l’auteur nous en raconte une quantité d’autres : on part à la rencontre de Suparti qui laissé sa campagne indonésienne pour aller travailler à la ville dans une usine qui fabrique des produits en plastic, de Temple Grandin qui s’occupe du bien-être des animaux dans les fermes pour Mc Donald’s et de nombreux autres personnages charismatiques en prise avec les problématiques environnementales, ce qui permet de montrer une réalité toute différente de celles que nous assènent les ONG et surtout d’échapper au manichéisme.
Aussi, le message qui se dégage clairement de l’ouvrage c’est que l’alarmisme qui obnubile les médias et les politiques ne prend pas en compte la spécificité et donc la complexité du terrain et surtout ne veut pas voir qu’il existe des solutions et qu’elle ne peuvent pas être « radicales », mais simplement adaptées à la situation. Ainsi une des affirmations forte de l’auteur est que :
« Pour améliorer le journalisme environnemental cela requiert de ne pas hésiter à débattre des questions fondamentales. La densité de l’énergie détermine l’impact environnemental. Ainsi le charbon est bon quand il remplace le bois et mauvais quand il remplace le gaz naturel ou le nucléaire. Le gaz naturel est bien quand il remplace le charbon et mauvais quand il remplace l’uranium. Seule l’énergie nucléaire peut approvisionner en électricité notre civilisation à forte consommation énergétique, tout en réduisant l’empreinte environnementale de l’humanité. L’agriculture à forte consommation énergétique, y compris l’aquaculture, créée des perspectives de réduction de l’impact environnemental de l’humanité. » (p278)
Pour sauver les gorilles (et l’homme) il faut sauver le nucléaire….c’est la grande démonstration d’Apocalypse never !
(1)_https://twitter.com/afpfr/status/1407570771514302466
(2) Michael Shellenberger, Apocalypse Never, why environmental alarmism hurts us all, Harper Collins (2020)
(3) Jean-Paul Oury, Greta a tué Einstein, VA éditions (2020)
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