A l’occasion de la sortie de son nouveau livre, « L’Utopie de la croissance verte: Les lois de la thermodynamique sociale » (éditions, JM Laffont), Philippe Charlez, Expert en Questions Energétiques à l’Institut Sapiens, pose une question fondamentale à la veille de la Cop 26, celle de la possibilité d’achever une croissance soutenable.
Si le réchauffement climatique et sa relation directe avec les émissions anthropiques de gaz à effet de serre ne sont plus aujourd’hui contestés, les différentes voies conduisant à la neutralité carbone à l’horizon 2050 sont loin d’être consensuelles. Au-delà de la problématique purement environnementale, elles représentent surtout des marqueurs politiques évidents faisant renaître de ses cendres un débat gauche/droite que certains avaient trop hâtivement enterré. La « République Ecologique » que certains appellent de leurs vœux a parfois de quoi effrayer. L’égalitarisme en est le piler : culture pour tous, école uniformisée et inclusive rejetant toute compétition et toute sélection, habitat de surface identique pour tous, collectivisation de la santé, égalités genre et transgenre, égalité entre territoires et même égalité face…au départ en vacances. L’écologie politique n’est en fait qu’un reset 2020 du vieux logiciel marxiste où la lutte des races, des religions et des genres s’est substituée à la bonne vieille lutte des classes. Mais son objectif final reste invariablement le même : la peau de la société de croissance et de son démon capitaliste. Pour cette raison nous l’avons appelé « climato-gauchisme ».
La société de croissance est née au début du XIXe siècle dans un contexte amorcé 250 ans plus tôt par la révolution copernicienne puis progressivement consolidé par les Lumières durant la seconde moitié du XVIIIe siècle. Cette libéralisation de la pensée permit en un temps record le développement des sciences et des techniques. En 50 ans les machines à vapeur, les générateurs électriques puis les moteurs à induction et les moteurs thermiques allaient envahir notre quotidien remplaçant avec une efficacité démultipliée les bras de l’homme et le travail du cheval tous deux d’une inefficacité affligeante. Mais, sans un aliment qui s’appelle l’énergie, ces géniales inventions seraient restées de froides et immobiles pièces de musée. Aussi, depuis le début de la révolution industrielle, la croissance économique s’est goulument nourrie d’énergies et plus particulièrement d’énergie fossiles : charbon au XIXe siècle, pétrole puis gaz naturel au XXe siècle.
Mais, en dehors d’un catalyseur technologique et d’un ogre énergique, la société de croissance a surtout été un propulseur inédit de développement, sortant avec une efficacité déconcertante l’humain des ténèbres de la pauvreté matérielle et intellectuelle : réduction à presque zéro de la mortalité infantile et de l’illettrisme, espérance de vie multipliée par trois, durée d’éducation multipliée par cinq, réduction spectaculaire de la corruption dans les pays développés.
Pourtant cet outil aussi ingénieux que performant est aujourd’hui, critiqué, bafoué, ironisé, voire humilié. Assimilée par ses détracteurs au mal absolu, la société de croissance serait responsable de toutes les souffrances d’une société dominée par les passions tristes : conflits, destruction de l’environnement et de la biodiversité, inégalités, pauvreté, racisme, homophobie, islamophobie, féminicides. En promettant l’abondance grâce au travail, le développement aurait privé l’homme de ses moyens traditionnels de subsistance et l’aurait projeté dans l’esclavage du matériel. L’alternative à cette société égoïste et irrespectueuse de la nature se trouverait dans l’anti-croissance (aussi appelée « décroissance ») véhiculant la vision chimérique d’une humanité égalitaire, unie, pacifiée et solidaire au sein de laquelle il n’y aurait plus de frontières, les pauvres et les conflits auraient disparu. Pour comprendre cette haine de la société de croissance et de son « démon capitaliste » un flash-back historique est indispensable.
Incubateur de libertés, de sciences et de techniques, les Lumières furent aussi le creuset de deux visions antithétiques de la société quant aux rapports entre l’humain et la nature. La source du différend incarnée par Voltaire et Rousseau réside dans la nature profonde des inégalités. Pour le Genevois, son origine est purement sociale. Aussi suggère-t-il de forcer l’égalitarisme à travers un « contrat social » reposant sur la confiscation de la propriété. Ce précepte que les bolchéviques et les maoïstes appliqueront à la lettre avec toutes les conséquences que l’on connait a aujourd’hui été remis au goût du jour par les climato-gauchistes. Pour Voltaire en revanche, les inégalités sociales sont révélatrices d’un « état naturel antérieur » dont il faut s’accommoder. Et si Rousseau avait tort! La réponse scientifique se trouve dans…le second principe de la thermodynamique.
Comme tous les systèmes naturels inertes mais aussi vivants, la société de croissance est une « structure dissipative ». Pour fonctionner, elle requiert en entrée des ressources matérielles et énergétiques (dont 83% d’énergies fossiles), produit de l’énergie utile sous sous forme de biens (richesses matérielles) et de services (richesses informatives) et rejette dans l’environnement des déchets dont le CO2 responsable du réchauffement climatique. Comme toute structure dissipative, cette production de richesse requiert un système ouvert (libre échange), de l’ordre (c’est-à-dire un certain degré d’autorité) mais aussi des inégalités sans lesquelles tous les flux (physiques, financiers et informatifs) s’arrêteraient inexorablement. La réduction de la pauvreté passant par la création de richesses est donc indissociable d’ordre et d’inégalités. La mondialisation de l’économie en est un exemple patent. Généralisant le capitalisme à l’ensemble de la planète, elle a été une source inédite de production de richesses (PIB mondial multiplié par trois en 20 ans), a sorti près d’un milliard d’êtres humains de la pauvreté absolue et a réduit d’un facteur trois les inégalités entre les pays OCDE et les pays émergents.
L’égalitarisme généralisé prôné par les verts conduit en revanche au désordre et à la perte totale de richesse et d’information : c’est ce qu’on appelle en thermodynamique l’état d’équilibre. Caractéristique de ce type d’équilibre thermodynamique, le décroissantisme égalitaire des climato-gauchistes ne peut donc converger à terme que vers un état de pauvreté absolue…pour tous.
Entre une société de croissance inégalitaire privilégiant le développement humain et un décroissantime égalitariste conduisant à la pauvreté absolue pour tous, la nature ne nous laisse malheureusement pas de choix intermédiaire.
Un développement durable reposant sur une croissance soutenable est-il pour autant crédible ? Quand on regarde de près les principaux indicateurs, notre société de croissance est à la fois optimisable et décarbonable : les meilleures technologies associées aux meilleurs comportements aujourd’hui disponibles permettraient de maintenir une croissance raisonnable tout en faisant beaucoup mieux en termes de réduction de la consommation d’énergie et de gaz à effet de serre. Pour ce faire, lever le verrou sociétal de l’égalitarisme représente le principal défi.
Image par Kamiel Choi de Pixabay
A lire également du même auteur
Interview Philippe Charlez : Le nationalisme, premier adversaire de la transition énergétique