On apprend dans la revue le Sillon (1) que pour lutter contre le changement climatique, l’Union Européenne est en train de financer sur fonds publics deux programmes de recherches mettant au point un nouvel outil aratoire destiné selon ses concepteurs à « stocker le CO₂ atmosphérique sous forme de Carbone dans la Matière Organique des Sols ».
Les lecteurs de cette revue spécialisée dans les techniques agricoles s’interrogent sur la capacité de la « super-charrue » présentée à répondre à l’ambition de la séquestration de carbone. Nous allons tenter d’y répondre en rappelant quels sont les principes de celle-ci, puis en décrivant les effets des outils aratoires sur le sol.
L’initiative internationale « 4 pour 1000 » : un consensus issu de la COP 2015
Selon l’Initiative Internationale 4pour1000 née en 2015 à la Conférence du Climat de Paris (2), les principes du stockage / déstockage de Carbone dans les Sols agricoles, scientifiquement démontrés, font l’objet d’un très large consensus dans la communauté scientifique internationale.
La photosynthèse permet aux végétaux verts, dotés de chlorophylle, de capter le CO₂ de l‘atmosphère, d’en intégrer le Carbone C comme composant de leurs tissus en le combinant principalement à l’Azote N, à l’Hydrogène H, ainsi qu’en bien moindre quantité à de nombreuses autres molécules.
Leurs tissus morts et les exsudats des racines vivantes sont transformés, par des réactions chimiques en interaction avec les substrats minéraux, et par les innombrables organismes du sol qui s’en nourrissent, des plus visibles, comme les insectes et les vers de terre, aux plus microscopiques, bactéries, protozoaires, champignons, en un complexe organique, la Matière Organique du Sol, ou Humus par approximation, dont la masse sèche est essentiellement composée de Carbone C et d’Azote N, dans un rapport C/N caractéristique de l’écosystème.
Le sol est donc un écosystème vivant complexe. Il fonctionne à son optimum quand l’ensemble de ses organismes y trouvent des conditions optimales stables de nutrition et d’habitat, en tout premier sans mise à nu ni perturbation mécanique, ou du moins la plus réduite possible.
L’agronomie moderne du 4pour1000 perturbe donc le moins possible le sol pour en préserver l’intégrité structurale, la Matière Organique et la biodiversité, et ainsi éviter les dégâts collatéraux des outils aratoires sur l’eau (érosion, nitrates) et l’atmosphère (CO₂).
ACS (Agriculture de Conservation des Sols) vs Outils aratoires
L’Agriculture de Conservation des Sols (ACS) accomplit point par point le cahier des charges de l’initiative 4pour1000, combinant selon la définition de la FAO la suppression des outils aratoires (Semis Direct = SD), la couverture intégrale et permanente des sols et la variété des plantes en mélange ou successivement.
Au contraire, les outils aratoires, charrue ou autres, en ouvrant le sol et en le brassant, à chaque utilisation injectent mécaniquement de force dans le sol une grande quantité d’air, donc d’oxygène ( O2 ). Celui-ci oxyde rapidement le Carbone (C) et l’Azote (N) de la Matière Organique, respectivement en CO₂, qui part dans l’atmosphère et contribue à l’effet de serre, et en NO3-, l’ion Nitrate, qui nourrit les plantes, mais aussi susceptible d’être entraîné par les eaux lorsqu’il est en excès.
Consécutivement, le stock de Matière Organique des Sols agricoles diminue, ainsi que de nombreuses études le montrent partout dans le monde dès qu’ils sont mis en culture par les méthodes conventionnelles utilisant le travail mécanique.
C’est pourquoi l’usage des outils aratoires est maintenant reconnu par la communauté des Sciences du Sols du Partenariat Mondial des Sols de la FAO comme le facteur principal de la dégradation des Sols agricoles, sous les effets conjugués de la diminution du taux de Matière Organique et de la perte consécutive de leur biodiversité, de l’érosion pluviale ou éolienne des terres mises à nu, déstabilisées et affinées par les outils, et de leur compaction par les engins agricoles ou le bétail.
D’après le Programme Alimentaire Mondial, cette dégradation continue des sols agricoles par des techniques obsolètes met en cause la sécurité alimentaire mondiale. Elle est aussi corrélativement responsable de la pollution des eaux par les particules de terre, ainsi qu’il est constaté partout à chaque épisode pluvieux, par les Nitrates (NO3-) et le Phosphore, ainsi que d’abondantes émissions de CO₂ à partir des sols travaillés.
Ce n’est que depuis une soixantaine d’année que ce phénomène millénaire de dégradation des terres agricoles par leur mise à nu par le feu et le fer commence à être enrayé par la mise en place de l’Agriculture de Conservation des Sols. Si elle représente 12 % des cultures annuelles mondiales, l’ACS dépasse 50 % et croît rapidement sur les continents Sud et Nord-Américains et l’Australie, régions parmi les plus contributrices à la production alimentaire mondiale. Elle reste en-dessous de 5 % sur les autres continents, avec une exception pour certains pays d’Afrique où elle se développe rapidement, et une stagnation marquée en Europe.
Les effets de la « Super-Charrue » de l’UE
D’après les descriptifs que l’on trouve sur le site, celle-ci combine les caractéristiques d’une charrue ancienne, retournant le sol sur 25 cm de profondeur, à un sous-solage défonçant le sol à 55 cm, dans l’objectif de brasser encore plus de sol. L’oxydation de la matière organique du sol ne peut qu’en être massivement augmentée, en même temps donc que l’émission de CO₂. On ne voit pas comment cette machine de destruction massive des habitats vivants que sont les sols pour leur biodiversité pourrait en protéger la matière organique et y stocker du carbone. Elle nécessite aussi une puissance de traction accrue, plus de fuel, et pour limiter la compaction, le constructeur préconise même d’équiper les tracteurs de chenilles ( ! ). Issue des méthodes brutalement mécanistes de la RDA de 1950/60, elle est l’antithèse de l’ACS, agronomie moderne protégeant et soignant nos sols.
Néanmoins cette charrue hors-normes a quand même des arguments pour des agriculteurs Allemands et autres Européens habitués à suivre les consignes des « bonnes pratiques » de la Politique Agricole Commune en échange des primes qui font leurs revenus.
Tout d’abord elle permettra aux syndicats de se présenter à l’opinion publique d’une part avec une image verte sur le Climat, mais aussi et surtout avec la compatibilité indispensable avec l’Agriculture Biologique, le désherbage initial au semis étant assuré par la mise à nu et l’affinage des sols, le tout grâce à la caution Universitaire financée par la DG Environnement avec l’argent des contribuables.
Ensuite est avancé un accroissement du rendement de la culture, dû d’après les auteurs à un ameublissement accru du sol en profondeur. Or, outre le fait que les plantes poussent dans la nature sans ameublissement mécanique, l’oxydation décrite plus haut de la Matière Organique en molécules minérales CO₂ et NO3- sous l’effet du brassage du sol (la minéralisation) est bien connue des agriculteurs et des agronomes depuis bientôt deux siècles : un seul labour d’une prairie ancienne relargue très vite plus de 400 kg d’Azote / hectare (Source INRAE) sous forme de Nitrate ( NO3- ), ion très nutritif pour la culture qui suit, mais aussi très soluble et donc polluant nappes et rivières car en excédent du fait de la suppression par le labour des plantes susceptibles de le pomper.
Une question de cohérence des Politiques Agricoles de l’UE
Quelle est donc la cohérence de l’UE, en même temps préconisant la « Santé des Sols » par sa nouvelle Directive éponyme, et promouvant avec l’argent des contribuables une « Super Charrue », dont l’usage ne peut produire qu’une dégradation accrue des Sols, de leur biodiversité et de l’ensemble des écosystèmes agraires, des eaux, de l’air, du climat, à l’encontre de tous les principes des sciences de l’agronomie, des sols et des écosystèmes vivants ?
Plutôt que des échanges plus ou moins polémiques par études universitaires ou articles de presse entre promoteurs de la Conservation des Sols, agriculteurs praticiens, chercheurs, promoteurs et vendeurs de charrues, fonctionnaires et contribuables, une tournée dans les champs ne permettrait-elle pas de constater de visu les résultats des méthodes que nous venons de décrire succinctement, de partager un référentiel commun de connaissances, et de dégager un consensus sur une Politique Agricole cohérente ?
Image par jacqueline macou de Pixabay
(1) https://lesillon.fr/une-charrue-pour-le-stockage-du-carbone/
(2) cf travaux de D.Reicosky, R.Lal, l’INRAE, le CIRAD, l’IRD et de très nombreux centres de recherches de tous pays.
Illustration non contractuelle réalisée avec une IA à partir d’un prompt
L’Agriculture de Conservation des Sols sème ses graines à la FAO
« La technologie a un rôle à jouer dans l’atténuation du CO₂ » Tilly Undi (Interview)
This post is also available in: EN (EN)