Le premier janvier 2022, la France exercera la présidence semestrielle du Conseil de l’Union Européenne. Lors de ce mandat à venir un petit caillou s’est glissé dans la chaussure des dirigeants français : le Nutri-Score. Cet étiquetage alimentaire en forme de feu tricolore entré en vigueur dans la distribution française en 2016 a toute l’attention de la commission européenne qui recherche le candidat idéal pour son système d’étiquetage FOP (front of pack). Mais il fait face à la concurrence d’autres systèmes et subit de plus en plus de critiques de la part des pays membres.
Le Roquefort « Denormandie »
Répondant à l’initiative des producteurs de Roquefort qui sont montés au créneau début octobre, le ministre français de l’agriculture, Julien Denormandie, a demandé à « revoir la méthodologie » du Nutri-Score. Début octobre, la confédération générale de Roquefort, mécontente du classement défavorable réservé au célèbre fromage de brebis (classé E et F), a demandé une exemption.
Lors du congrès de l’association nationale des élus de la montagne (ANEM) au Grand-Bornand (Haute-Savoie), le ministre a envoyé quelques critiques contre ce système qui impactait « en particulier les produits de montagne ». Il a taclé également une méthodologie fondée sur des quantités « des classifications qui ne sont pas forcément conformes à l’habitude alimentaire» (1).
Anti Nutri-Score de tous les pays : unissez-vous
La révolte des fromagers, si elle semble inédite en France, ne nous rappelle que trop d’épisodes passés. En effet, loin de faire l’unanimité, le Nutri-Score ne cesse de générer des contestataires un peu partout en Europe. Cela a commencé avec les producteurs d’huile d’olive espagnols, puis des producteurs de fromage et de jambons italiens… D’autres pays se sont rebellés pour défendre leurs traditions alimentaires. Une coalition s’est même formée l’année dernière pour contrer le Nutri-Score, regroupant l’Italie, la République tchèque, la Lituanie, Chypre, la Grèce, et la Roumanie.
Les opposants au Nutri-Score dénoncent ce qu’ils considèrent comme une aberration, pour ne pas dire un scandale : alors que les vertus diététiques du régime méditerranéen ne sont plus à démontrer, il se trouve que les produits qui en sont la base obtiennent tous une mauvaise note avec le Nutri-Score.
La raison en est que les concepteurs de l’algorithme français ont une sainte haine du gras saturé comme l’a expliqué le professeur Legrand dans nos colonnes. Le Nutri-Score n’a pas intégré que le combat anti-lipidique était totalement dépassé ; bien au contraire, il en a fait le fer de lance de son algorithme : « dans le Nutri-Score, toutes les huiles sont classées entre C et E et la plupart entre D et E. Pourquoi cette punition alors qu’elles devraient s’étaler de A à E, en fonction de leur teneur en acides gras indispensables, oméga-6, oméga-3, et en acides gras saturés ? Leur péché originel est impardonnable, « c’est du gras ». C’est tout de même un comble d’apprendre que les sodas lights étaient même mieux classés par le Nutri-Score que les jus de fruits et que l’huile d’olive. »
Multiplication des demandes d’exemption
Il n’y a rien d’étonnant au fait que l’on voit maintenant se multiplier les demandes d’exemption. Comme le souligne la plupart des experts critiques du Nutri-Score, son plus grand tort est de prétendre faire du one size fits all (la même taille pour tout le monde) une règle de diététique, alors que les dernières découvertes scientifiques tendent à démontrer qu’en cette discipline, c’est le « sur-mesure » qui prévaut.
Ainsi, les travaux de l’institut Weizmann d’Israël démontrent que chaque individu a une réaction personnalisée pour un type d’aliment donné. Ce serait donc une grosse erreur d’orienter les consommateurs vers des profils nutritionnels alors qu’ils ont besoin de recommandations sur mesure (2).
La démarche de type Nutri-Score semble d’autant plus dépassée qu’aujourd’hui, il existe des applications qui permettent une alimentation sur mesure (voir à ce sujet notre interview de Raphael Sirtoli).
Il n’est donc pas surprenant que chaque type d’alimentation vienne réclamer « son droit à l’exemption ». Au final, on se rend compte que ce n’est pas seulement chaque consommateur pris individuellement qui devient une victime collatérale d’un système simpliste, mais ce sont des régimes alimentaires traditionnels avec toutes leurs particularités locales !
Produits bruts vs produits transformés
Enfin, il apparait de plus en plus que le Nutri-Score favorise largement les produits de l’industrie agro-alimentaire et défavorise les produits bruts non-transformés. Comme l’avait remarqué le Dr. Moreno Rojas, alors que les premiers peuvent modifier leurs compositions afin d’être compatibles, avec l’algorithme, il est beaucoup plus compliqué, voire, impossible de modifier une recette traditionnelle (3).
On est sceptique quand on voit des enseignes de fast-food afficher fièrement l’algorithme : « 67 % des produits KFC, desserts et accompagnements inclus, sont arrivés à décrocher les 3 meilleures notes du Nutri-Score et 59 % sont classés soit « A », soit « B »(4).
Devra-t-on préférer cette alimentation aux fromages et charcuterie traditionnelles qui eux, parviennent difficilement à dépasser la note D ? On ne s’étonnera pas après si ce genre d’argument est récupéré par des adeptes des scénarios complotistes qui sont persuadés que le feu tricolore est un instrument au service de l’industrie agro-alimentaire pour écraser les traditions gastronomiques locales. Comment revenir à la science ?
De la scientificité du Nutri-Score
Lors d’une webinar récent, les docteurs Francesco Visioli de l’Université de Padoue et Ramon Estruch de l’Université de Barcelone débattant de la scientificité du Nutri-Score et sont arrivés à la conclusion qu’il n’y avait dans cet étiquetage rien de scientifique et que de ce fait, il mettait en péril le choix des consommateurs en induisant ceux-ci en erreur (5).
Selon des deux experts, « l’algorithme utilisé par le Nutri-Score est arbitraire et peut être facilement manipulé ». La preuve : des aliments sains du régime méditerranéens sont mal notés. Ensuite, « les nutriments contenus dans les aliments sont évalués de manière arbitraire », de fait les aliments transformés sont privilégiés car on peut modifier les ingrédients. Enfin, c’est l’alimentation d’un point de vue global qu’il faut considérer en terme de diététique, et ne pas opposer, comme le fait le Nutri-Score, bons et mauvais aliments en distribuant des notes.
Ils préfèrent et recommandent en l’occurrence une solution de type Nutrinform qui informe simplement les consommateurs et leur donne un outil pour qu’ils choisissent par eux-mêmes. C’est la responsabilisation du consommateur contre son infantilisation.
Il est tout à fait instructif de constater que la meilleure science à notre disposition en terme de nutrition nous démontre que la pire des erreurs serait de confier notre alimentation à un algorithme qui fait des choix « pré-mâchés » à notre place. D’autant plus quand celui-ci est programmé avec une « idéologie » d’un autre temps qui croit dur comme fer que tout le monde doit manger les mêmes aliments et éviter certains autres et s’est entiché d’un combat d’arrière-garde comme « la lutte contre les acides gras saturés ».
On attend avec impatience de voir comment la présidence française de l’UE gérera ce sujet et si elle se rangera du camp de la scientificité. Les consommateurs européens, mais également les pays européens et leurs traditions locales, auraient tout à y gagner.
(1) https://www.lefigaro.fr/flash-eco/nutri-score-denormandie-appelle-a-revoir-la-methodologie-20211021
(3) Alors les produits traditionnels ou d’appellation contrôlée sont désavantagés car ils peuvent difficilement changer leurs recettes, les grandes industries alimentaires seront, elles, avantagées, car d’après l’expert :« Elles basent leur production sur la « formulation » du produit, peuvent parfaitement adapter la composition à une meilleure classification, sans que cela n’implique nécessairement une amélioration nutritionnelle. Par exemple, en remplaçant les sucres intrinsèques fournis par leurs ingrédients naturels par des additifs alimentaires qui apportent du sucre (et réduisent les sucres et les calories), pour lesquels ils devront utiliser des arômes pour dissimuler qu’ils ne contiennent plus l’ingrédient, ainsi que des colorants, des épaississants, des stabilisateurs, etc. qui seraient nécessaires pour que l’aliment ressemble à l’original. »
(4) https://www.club-sandwich.net/breves/kfc-affiche-le-nutri-score-de-ses-plats-716.php
(5) https://www.competere.eu/press-release-the-european-scientific-community-against-nutri-score/
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