Le fait que les pesticides provoquent des cancers chez les agriculteurs fait désormais l’objet d’un consensus scientifique, consacré juridiquement par le fait que l’un d’entre eux, le lymphome non-hodgkinien, est classé en France comme maladie professionnelle des agriculteurs, causée par l’exposition aux pesticides. Combien d’agriculteurs en sont les victimes ? Curieusement, l’INSERM, consulté par une mission interministérielle française, s’est déclaré récemment incapable d’en chiffrer le nombre[1]. Comment se fait-il que l’on en soit encore là, même pour cette maladie dont le lien avec les professions agricoles est un des mieux documentés ? Pour le comprendre, il est instructif de revenir sur l’historique des recherches sur la santé des agriculteurs… et de ses dérives progressives !
Des inquiétudes nées d’études cas-témoin rétrospectives
Les recherches sur les effets retardés des pesticides sur les agriculteurs ont pris leur essor dans les années 70, suite à la prise de conscience des effets de leur accumulation dans l’environnement, en particulier pour les insecticides organo-chlorés. Comme il s’agissait d’analyser après coup les impacts de produits utilisés depuis longtemps, les premières études épidémiologiques sur ce sujet étaient des études rétrospectives de type cas-témoin[2].Ce type d’enquête est connu pour être potentiellement affecté par de nombreux biais, mais comme il donne des résultats rapidement, c’est une étape normale pour commencer à cerner un problème sanitaire nouveau.
Ces premières études cas-témoin ont rapidement révélé que les agriculteurs étaient surreprésentés parmi les victimes d’un assez grand nombre de pathologies, essentiellement des cancers et des maladies neuro-végétatives. Malheureusement, ces études rétrospectives ne permettent pas de calculer précisément le nombre de cas en excès chez les populations exposées. De plus, il est difficile de reconstituer, parfois longtemps après, la liste des produits auxquels les agriculteurs étudiés ont été exposés.
Les cohortes prospectives : des résultats rassurants
Ces premiers résultats inquiétants ont donc conduit à créer des cohortes, c’est-à-dire de larges populations d’agriculteurs recrutés alors qu’ils sont encore en bonne santé, pour mesurer tous les évènements de santé les affectant, et suivre leur utilisation de pesticides. Ces cohortes permettent la réalisation d’études dites prospectives : elles sont beaucoup plus coûteuses que les études rétrospectives, car elles supposent le recueil d’une masse énorme d’informations, et il faut plus de 10 ans pour qu’elles commencent à produire des résultats significatifs. Mais elles sont beaucoup plus fiables, et elles seules permettent de calculer des incidences (nombre de nouveaux cas chaque année) et des mortalités (nombre de décès causés chaque année) chez les agriculteurs, et donc de les comparer à la population générale. Les deux plus grandes cohortes sur ce sujet sont:
- La cohorte AHS (Agricultural Health Study) aux USA, créée en 1993, et qui suit la santé de 90 000 agriculteurs environ (applicateurs de pesticides, et leurs épouses)
- La cohorte Agrican en France, créée en 2005, encore plus grande puisqu’elle a recruté 180 000 personnes environ, donc un échantillon très significatif de la population agricole française. De plus, la cohorte Agrican a également l’avantage de comprendre une proportion notable d’agriculteurs non utilisateurs de pesticides, ce qui pourrait se prêter à l’étude des facteurs de confusion potentiels (c’est-à-dire des facteurs de risque sanitaire autres que les pesticides, mais également associés au travail agricole).
Ces cohortes prospectives ont enfin permis de calculer pour les agriculteurs des incidences et des mortalités standardisées, c’est-à-dire comparées à celles de la population générale. Ces études devraient donc normalement permettre de calculer le nombre de cas en excès chez les agriculteurs. Par exemple, une incidence standardisée de 1,1 chez les agriculteurs signifie qu’il y a eu 10% de cas nouveaux de la maladie en excès chez eux, par rapport au nombre de cas habituels dans la population générale. Les résultats des deux cohortes sont extrêmement cohérents… et devraient être rassurants, si on se fie aux indicateurs classiques que sont ces incidences et mortalités standardisées :
En ce qui concerne la mortalité, on ne trouve chez les agriculteurs aucune mortalité standardisée supérieure à la normale, pour aucune forme de cancer. Au contraire, leur mortalité est significativement inférieure à celle de la population générale pour la majorité des types de tumeurs, les autres ayant simplement des mortalités normales.
Pour les incidences, les résultats chez les agriculteurs sont globalement un peu moins bons que pour les mortalités, mais restent dans l’ensemble très rassurants. Seules 3 localisations de cancer montrent des excès significatifs chez eux : les cancers de la lèvre, de la prostate, et le myélome multiple. Nous reviendrons dans un autre article sur ces 3 cas particuliers, mais commençons par un arrêt sur image sur les résultats globaux : pour environ 1/3 des localisations étudiées (essentiellement les cancers des voies respiratoires et digestives, et de la vessie), l’incidence standardisée des agriculteurs utilisateurs de pesticides est significativement inférieure à la normale ; pour près de 2/3 des autres localisations, elle ne montre aucune différence significative avec la population générale. De plus, ces résultats non significatifs sont le plus souvent inférieurs à 1, et avec des intervalles de confiance relativement étroits, il est donc peu probable qu’ils dissimulent beaucoup d’effets des pesticides qui auraient échappé au « filtre » statistique, d’autant plus que là encore les résultats d’Agrican et AHS sont très cohérents.
Les résultats de ces études de cohortes, qui devaient confirmer ou non les résultats obtenus par les études cas-témoin, auraient donc pu être considérés comme rassurants : si l’on s’en tient à l’interprétation habituelle des incidences et mortalité standardisées, il n’y a que 3 formes de cancer pour lesquels on observe un excès significatif chez eux, et cet excès ne s’observe que pour l’incidence, pas pour la mortalité.
L’ effet « travailleur sain » : vérité statistique, ou échappatoire ?
Curieusement (ou pas), ces résultats ont en fait été très peu mis en évidence dans les revues bibliographiques et méta-analyses officielles, comme l’expertise collective de l’INSERM de 2013, sans que la raison de cette réserve soit exprimée très clairement. En fait, c’est à ce jour la mission interministérielle sur l’indemnisation des pesticides déjà citée[3] qui a amené l’INSERM à expliquer de la façon la plus transparente les raisons de ses réticences : le mode de vie des agriculteurs est associé à plusieurs facteurs protecteurs contre les cancers. Ils fument moins que la population générale, et ont souvent une alimentation plus équilibrée, ce qui peut expliquer la faible incidence chez eux des cancers respiratoires et digestifs. De plus, il semble que l’on observe chez eux un effet « travailleur sain », déjà observé pour d’autres métiers impliquant un exercice physique régulier : la santé de ces professionnels est souvent meilleure que la moyenne. En conséquence, l’INSERM alerte sur le fait que ces effets favorables pourraient occulter des effets négatifs des pesticides : il serait possible que certains cancers favorisés par les pesticides passent inaperçu quand on compare les agriculteurs à la population générale, parce que le mode de vie plus sain des agriculteurs compenserait cet effet. C’est pourquoi l’INSERM met en garde contre une utilisation trop « simpliste » des incidences standardisées, selon laquelle une incidence normale montrerait l’absence d’effet des pesticides.
Ces réticences des épidémiologistes sont tout-à-fait recevables, mais elles signifient que les incidences et mortalités normalisées, qu’ils continuent à calculer imperturbablement dans leurs publications, ne sont pas des indicateurs valables. Il est donc un peu surprenant que ce problème n’ait pas encore été traité, alors que les premières synthèses sur les cohortes prospectives remontent à une dizaine d’années. Il est courant dans d’autres domaines de corriger les incidences en fonction de la consommation de tabac ou d’alcool, plusieurs études sur les agriculteurs l’ont d’ailleurs fait. Par ailleurs, l’objection plus globale sur l’effet « travailleur sain » pourrait être atténuée en mettant au point des incidences standardisées, où la population de référence ne serait plus la population générale, mais la population active générale : mais nous n’avons à ce jour aucune proposition de l’INSERM dans ce sens.
Par ailleurs, le raisonnement de l’INSERM a une conséquence qui devrait être vérifiable dans la cohorte Agrican : si, pour certains cancers, il y a un effet « travailleur sain » qui masque l’effet néfaste des pesticides, dans ce cas l’incidence des agriculteurs non-utilisateurs de pesticides devrait être inférieure à celle des utilisateurs de pesticides : en effet, le fameux « effet travailleur sain » devrait s’exercer chez ces non-utilisateurs de pesticides, comme chez les agriculteurs conventionnels, mais sans être amoindri par l’effet contraire des pesticides. Or le dernier bilan des incidences de cancer dans Agrican[4] ne le démontre absolument pas, c’est même une tendance inverse que l’on observe [5] !
Certes, quand on regarde dans le détail, par type de cancer, les intervalles de confiance trouvés pour les agriculteurs non-utilisateurs de pesticides sont trop élevés pour en tirer des conclusions fiables. Mais, en tout cas, rien ne permet à l’heure actuelle de soutenir statistiquement l’hypothèse selon laquelle des facteurs protégeant les agriculteurs du cancer seraient assez forts pour masquer un effet néfaste des pesticides.
La fuite en avant vers l’irréfutabilité
Les épidémiologistes ont donc rejeté l’utilisation des incidences et mortalités standardisées pour estimer si oui ou non les pesticides provoquaient des cancers chez les agriculteurs. Ils ont pour cela une objection raisonnable, (l’effet « travailleur sain ») mais dont la véracité n’a pas été prouvée à ce jour. Au lieu de s’attaquer enfin à la démonstration statistique de l’existence de cet effet « travailleur sain », en comparant les agriculteurs utilisateurs et non-utilisateurs de pesticides à la population active générale, les études récentes ont plutôt fait un saut de côté, en s’intéressant maintenant à des comparaisons entre agriculteurs, selon les cultures qu’ils produisent. Plusieurs publications récentes sur la cohorte Agrican mettent en avant des différences significatives pour l’incidence de certains cancers, en fonction des cultures produites ou des animaux élevés sur l’exploitation agricole. Comme chaque pesticide n’est généralement utilisé que sur une gamme assez étroite de cultures, ces résultats sont généralement interprétés comme des indices qui permettraient d’identifier les pesticides précis qui seraient à l’origine de l’excès de cancers. C’est bien sûr une piste intéressante, mais il y a tout de même deux lacunes assez gênantes communes à ces études :
- Elles ne permettent plus de faire la comparaison avec la population générale : il est certes intéressant de savoir, par exemple, qu’il y a significativement plus de cancers de la prostate chez les agriculteurs cultivant des prairies, que chez les agriculteurs n’en cultivant pas, comme l’a observé une publication Agrican récente[6]. Mais cela ne nous dit toujours pas si les agriculteurs ayant des prairies ont plus de cancers de la prostate que la population générale.
- Ces comparaisons entre systèmes de productions agricoles distinguent un assez grand nombre de cultures et/ou d’espèces d’animaux : dans l’exemple que nous venons de citer, les auteurs distinguaient les incidences de cancer de la prostate associées à 13 cultures différentes. Il s’agit typiquement d’une analyse potentiellement affectée par l’effet bien connu des « comparaisons multiples » : le risque d’obtenir un résultat statistiquement significatif, mais simplement dû au hasard, quand on réalise beaucoup de tests statistiques. En l’occurrence, avec 13 comparaisons, un calcul élémentaire de probabilité nous montre que ce risque est de 49% (c’est-à-dire 1- 0,9513)[7].Un résultat de ce type ne devrait donc être considéré comme une alerte sérieuse qu’à l’une de ces deux conditions :
- Ou bien son caractère significatif reste confirmé après un test statistique supplémentaire pour éliminer l’effet « comparaison multiple » (Test de Bonferroni ou procédure FDR). Or aucun de ces tests n’a été pratiqué dans cette étude.
- Ou bien on observe un résultat du même type, pour la même culture et le même cancer, dans une autre cohorte. A notre connaissance, cette liaison entre cancer de la prostate et prairies n’a été observée nulle part ailleurs. De plus, elle est associée dans Agrican à un excès de cancer de la prostate chez les éleveurs bovins (pour une raison évidente : ceux-ci sont plus susceptibles que d’autres agriculteurs de cultiver des prairies). Or la cohorte américaine AHS ne montre aucune liaison significative entre élevage bovin et cancer de la prostate.[i]
Avec ce type d’études comparant les risques en fonction des productions, on accumule donc des résultats significatifs, peut-être dus au hasard, et jamais confirmés, mais qui entretiennent les soupçons sur un effet nocif des pesticides, alors même que l’on ne sait pas si l’excès observé pour certaines cultures correspond à un risque supérieur à celui de la population générale. Le champ des effets éventuels des pesticides est donc de plus en plus restreint, à quelques localisations de cancers et quelques productions agricoles, avec des arguments scientifiques de plus en plus ambigus.
De l’hypothèse scientifique au consensus irréfutable
Nous l’avons vu tout au long de cette brève histoire des études épidémiologiques, le champ du vraisemblable pour les effets éventuels des pesticides sur les cancers des agriculteurs n’a cessé de se réduire au cours du temps :
- Les premières études cas-témoin suggéraient des effets néfastes perceptibles à l’échelle de l’ensemble des agriculteurs, pour une douzaine de types de cancers
- Les cohortes prospectives ne montrent des indices sérieux (mais pas complètement cohérents) que pour trois types de cancers : lèvres, prostate et myélome multiple. Pourtant, comme nous le verrons dans un prochain article, les études récentes sur ces trois cancers ne visent guère à éclaircir les incertitudes les concernant : explication de la discordance entre incidence et mortalité, cause des excès d’incidences observables aussi chez les non-utilisateurs de pesticides.
- La tendance est maintenant à la comparaison entre sous-populations d’agriculteurs, supposées démontrer l’existence de risques causés par les pesticides associés à ces cultures, avec des méthodes de plus en plus discutables sur le plan statistique, et sans aucune comparaison avec la population générale
Le niveau de preuve requis pour suggérer un effet cancérogène des pesticides n’a donc cessé de baisser. Les résultats suggérant leur innocuité (une hypothèse qui n’a pourtant rien d’extravagant, puisqu’elle ne serait qu’une confirmation du bien-fondé des procédures d’homologation) sont systématiquement écartés, avec des objections certes recevables, mais dont les épidémiologistes ne démontrent jamais la validité :
- Les incidences standardisées normales ou même inférieures à 1 sont écartées, car peut-être biaisées par un mystérieux effet « travailleur sain », certes plausible, mais que les épidémiologistes invoquent régulièrement sans jamais chercher à le corriger, ni même à le mesurer
- L’absence de différence entre agriculteurs utilisateurs et non utilisateurs de pesticides ne fait l’objet d’aucun commentaire, ou même est interprétée comme la démonstration d’une « contamination » des non-utilisateurs de pesticides, là aussi sans démonstration (cf notre prochain article).
Cette évolution des discours traduit la dérive du statut épistémologique de l’hypothèse d’un effet cancérogène des pesticides sur les agriculteurs : elle est passée progressivement du statut d’hypothèse de travail scientifique, à celui de consensus irréfutable. Or, contrairement au sens commun, ce qualificatif d’irréfutable n’a rien de flatteur. Depuis les travaux de K. Popper, on considère que la principale différence entre la vraie science et les pseudo-sciences est sa réfutabilité : une hypothèse réellement scientifique est une hypothèse pour laquelle on peut imaginer une expérience permettant de la réfuter. L’hypothèse initiale, selon laquelle les pesticides provoquent des cancers chez les agriculteurs, est bien une hypothèse scientifique : on peut la réfuter (ou la valider) en mesurant l’incidence du cancer chez les agriculteurs utilisateurs de pesticides, et en la comparant au reste de la population. Or nous avons vu que cette expérience penche plutôt pour la réfutation. L’hypothèse nouvelle, selon laquelle l’effet néfaste des pesticides pourrait être masqué par un effet « travailleur sain » est également une hypothèse scientifique : elle peut être réfutée (ou validée) par deux moyens :
- En comparant l’incidence du cancer chez les agriculteurs, à celle d’autres professions impliquant une activité physique modérée
- Ou en comparant l’incidence du cancer chez les agriculteurs utilisateurs et non-utilisateurs de pesticides
Or aucune de ces démonstrations n’a été faite ce jour, la réfutabilité de cette hypothèse reste tout-à-fait théorique.
Pour que les études de cohorte des agriculteurs retrouvent un statut vraiment scientifique, il serait grand temps que les épidémiologistes définissent selon quels critères ils seraient prêt à admettre que l’incidence ou la mortalité d’un type de cancer chez les agriculteurs peut être considérée comme normale. C’est d’autant plus nécessaire que le principe de précaution nécessite de définir les critères selon lesquels on peut considérer qu’une technologie est inoffensive. C’est précisément le travail des agences sanitaires, que de prendre la responsabilité de dire, à partir des résultats expérimentaux, qu’un produit peut être considéré comme non dangereux. Si les chercheurs ne décident pas de règles leur permettant de prendre la même décision (ce qui se comprend bien, après tout ce n’est pas vraiment leur travail), il est nécessaire que ce soient les agences qui se saisissent de ce travail d’expertise sur les résultats des études épidémiologiques, afin d’en tirer des conclusions claires et opérationnelles, plutôt que d’étendre à l’infini le domaine des soupçons et des hypothèses non validées.
Par ailleurs, les publications INSERM sur la cohorte Agrican sacrifient au péché mignon de la recherche : la focalisation sur les résultats statistiquement significatifs[8]. La masse des résultats non significatifs ne fait l’objet d’aucune analyse complémentaire (sauf des meta-analyses pour essayer de les rendre significatifs…), alors que la notion de résultat « non significatif » recouvre en fait deux réalités bien différentes :
- Des résultats réellement « non significatifs », car leur intervalle de confiance trop large exclut toute possibilité d’interprétation
- Des résultats « quasi significatifs », dont la probabilité critique (probabilité qu’ils soient dus au hasard) est à peine supérieure à 5%, et dont la valeur de preuve est donc à peine inférieure à ceux qui ont obtenu le Graal du tampon « statistiquement significatif»
La distinction entre ces deux types de résultats serait pourtant importante pour orienter les recherches futures. Sur l’exemple que nous avons vu en figure 2, il est probable que l’incertitude va encore baisser sur les résultats du cancer du rectum, au long de suivi de la cohorte, jusqu’à atteindre un niveau où l’on pourra conclure sans grand risque d’erreur qu’il n’y a pas de risque particulier pour ce cancer. Par contre, pour le cancer du foie, le nombre de cas actuellement observés est trop faible, et en conséquence l’intervalle d’incertitude est tellement large qu’il est peu probable que la cohorte Agrican permette à elle seule d’obtenir des résultats plus clairs à l’avenir. Une analyse de la puissance statistique des résultats non significatifs d’Agrican serait donc essentielle, même si ce n’est pas dans les habitudes dans la recherche (mais c’est par contre parfaitement dans les cordes des agences sanitaires).
En attendant cette reprise en main éventuelle par l’ANSES, nous assistons donc à cet étrange paradoxe : alors que la France dispose avec Agrican de la plus grande cohorte prospective d’agriculteurs au monde, ses décisions en matière de reconnaissance des maladies professionnelles ne tiennent aucun compte des résultats de cette cohorte : aucun des trois seuls types de cancers pour lesquels Agrican fournit des signes d’alerte n’est actuellement classé comme professionnel. Par contre, le lymphome non hodgkinien figure dans les tableaux des maladies professionnelles, alors qu’Agrican ne donne aucun indice dans ce sens. Ce sujet à lui seul mérite un deuxième article, car il illustre encore d’autres problèmes scientifiques non résolus par l’approche des épidémiologistes. Ce sera aussi l’occasion d’examiner la solidité d’un argument souvent présenté comme déterminant par les opposants aux pesticides : les cas des relations avec effet dose, entre exposition aux pesticides et risque de certains cancers.
[1] http://www.forumphyto.fr/2018/05/08/combien-de-victimes-des-pesticides-quand-linserm-se-declare-incompetent/
[2] Pour plus de précisions sur les différents dispositifs d’études épidémiologiques, voir http://www.ipubli.inserm.fr/bitstream/handle/10608/222/?sequence=31
[3] http://agriculture.gouv.fr/telecharger/89861?token=32f9951a0796a25966ff306e1d88e7ea
[4] https://www.researchgate.net/publication/318371068_Cancer_incidence_in_the_AGRICAN_cohort_study_2005-2011
[5] https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/26932763
[6] Réf 3, Tableau 2
[7] https://www.google.fr/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=1&cad=rja&uact=8&ved=0ahUKEwjRrY-575LcAhWIthQKHVNJD8UQFggpMAA&url=https%3A%2F%2Fwww.academie-agriculture.fr%2Fsites%2Fdefault%2Ffiles%2Fsections%2Ffichiers-prives%2F20180530pourquoicontroverses.pdf&usg=AOvVaw1h9MFi8iiisMXX0u8gfgG6 , p 17-26
[8] http://www.forumphyto.fr/2016/10/04/peche-aux-alphas-contre-chasse-aux-petits-betas-pourquoi-lanalyse-des-risques-environnementaux-ne-devrait-pas-etre-seulement-un-travail-de-chercheurs/
This post is also available in: EN (EN)
Les analyses de Monsieur Stoop sont toujours aussi passionnantes à lire, relire et re re lire
A chaque fois il apporte une touche supplémentaire
Mais je crois comme il le souligne le problème c’est l’utilisation de la mauvaise science au profit d’intérêts cachés
Follow the money
Bonjour,
Merci pour cet article très intéressant. J’ai une remarque concernant les causes des excès d’incidence du cancer de la prostate chez les éleveurs bovins. Pourrait-ce être car ils sont plus susceptibles de boire et manger des produits laitiers en excès ? Aucun moyen d’y répondre tout de suite mais c’est une question que je me pose.
Concernant la discordance entre incidence et mortalité chez les agriculteurs, ne serait-ce pas simplement car la santé de ces agriculteurs est surveillée dans le cadre des ces études prospectives, induisant un dépistage précoce favorable à la survie, contrairement au reste de la population ne bénéficiant pas toujours de soins rapides ?
Bonjour,
Pour le lien éventuel entre élevage bovin et certains cancers (prostate, LNH), les deux pistes les plus souvent avancées seraient l’exposition à certains produits vétérinaires, et l’exposition à des virus animaux. La première piste parait la mieux étayée, c’est typiquement l’un des sujets sur lesquels il faudrait maintenant concentrer les recherches, maintenant que les résultats des études prospectives permettent de clore beaucoup de pistes qui s’avèrent peu concluantes.
Pour la discordance entre incidence et mortalité, normalement le suivi Agrican n’interfère avec le suivi médical normal des agriculteurs, justement pour ne pas fausser la comparaison avec la population. Mais il reste deux facteurs de biais possibles :
– vu les inquiétudes anciennes sur les effets éventuels des pesticides, il est probable que les médecins exerçant en milieu agricole incitent davantage au dépistage que les médecins de ville
– comme le suivi Agrican est assez contraignant pour les agriculteurs, il est probable que les agriculteurs qui ont accepté de le suivre sont plus sensibilisés que la moyenne aux risque sanitaires, et donc plus enclins à demander eux-mêmes un examen de dépistage.
Ces biais sont pratiquement impossibles à éviter. Par contre, il serait relativement facile de vérifier s’ils ont de l’influence, en comparant le stade d’avancement de leur cancer au moment du diagnostic, par rapport à celui de la population générale. Depuis le temps que cette discordance entre incidence et mortalité est visible, il est regrettable que l’INSERM n’ait pas publié de résultats sur ce sujet.