
Dans un contexte de regain d’intérêt pour l’exploitation minière en Europe et en France, nous avons interrogé Éric Marcoux, géologue émérite et expert reconnu des ressources minérales. Il nous livre son analyse sur le potentiel géologique français, les enjeux de souveraineté économique et les perspectives d’avenir.
The European Scientist : Pourriez-vous nous présenter votre parcours professionnel et votre expertise ?
Éric Marcoux : Je suis géologue universitaire de formation, ayant obtenu mon doctorat en géologie à l’université de Clermont-Ferrand. Ma carrière s’est articulée autour de l’étude et de la gestion des ressources minérales, un domaine qui m’a toujours passionné. J’ai débuté au Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM) de 1982 à 1998, où j’ai participé à l’élaboration du premier plan minier français (1970-1992). Cette expérience m’a permis de travailler sur des projets miniers en France et à l’international, notamment au Pérou, au Canada, au Maroc, en Arabie Saoudite, en Indonésie, en Nouvelle-Zélande, en Mauritanie, en Inde, ainsi que dans de nombreux pays européens et au Groenland. Ces missions m’ont offert une vision globale des enjeux miniers.
En 1998, j’ai rejoint l’université d’Orléans en tant que professeur, où j’ai enseigné et poursuivi mes recherches. Avec mon collègue et ami Michel Jébrak, Professeur à l’UQAM Montréal, j’ai créé en 2001 un Master international en géologie des ressources minérales (EGERM), en partenariat avec des industriels, un programme de formation toujours actif dont ont bénéficié plus de 250 étudiants à ce jour. Je reste engagé au sein de la Société Géologique de France (SGF) et de la Société de l’Industrie Minérale (SIM), où je contribue à la diffusion des connaissances sur les ressources minérales.
TES : Il y a quelques temps, le président Macron a lancé un grand inventaire des ressources métalliques et minières du sous-sol français. Vous avez publié un travail sur les minéraux industriels. Pouvez-vous expliquer leurs spécificités ?
EM. : Les ressources minérales se divisent en quatre grandes catégories à l’échelle mondiale : les substances énergétiques (pétrole, gaz, charbon, uranium), les métaux (fer, aluminium, cuivre, etc.), les minéraux industriels (argiles, talc, silice…) et les matériaux de construction (sables, graviers). Les minéraux industriels se distinguent par leur utilisation directe après extraction, broyage ou purification, contrairement aux minerais métalliques qui nécessitent une transformation lourde pour obtenir le métal pur. Par exemple, le sel est utilisé tel quel pour l’industrie alimentaire ou chimique, alors que le plomb ou l’aluminium exigent des procédés industriels complexes.
En France, nous exploitons environ 190 à 200 carrières de minéraux industriels, qui alimentent de très nombreux secteurs industriels. Cependant, la dépendance aux importations pour les métaux reste un défi majeur. Cette situation, bien que connue de longue date, suscite aujourd’hui une prise de conscience au niveau national, notamment face aux risques de ruptures d’approvisionnement ou de hausses brutales des prix sur les marchés internationaux.
TES. : Quels sont les principaux minéraux industriels en France ? Pouvez-vous dresser un état des lieux du patrimoine géologique français ?
EM. : La France dispose d’un patrimoine géologique diversifié, grâce à ses massifs anciens et ses bassins sédimentaires. Parmi les minéraux industriels exploités, citons :
- La silice (quartz) : utilisée à 70 % dans la fabrication du verre (bâtiment, alimentaire) et dans les moules de fonderies pour l’industrie automobile et aéronautique. La France produit environ 7 millions de tonnes par an.
- Les argiles : notamment le kaolin, exploité en Bretagne (cinq carrières fournissent environ 20 % des besoins nationaux), utilisé en céramique et papeterie.
- Le sel (NaCl) : essentiel pour l’industrie alimentaire et chimique, servant de base pour le chlore et le sodium.
- Le talc : la France abrite à Luzenac le plus grand gisement mondial, utilisé dans les polymères (tableaux de bord automobiles notamment) et la papeterie.
- L’andalousite : extraite à Glomel, unique en Europe, elle sert à produire des réfractaires pour les aciéries et cimenteries.
- La diatomite : extraite dans le Cantal et en Ardèche, elle est irremplaçable pour la filtration (huiles, boissons, effluents industriels) et les absorbants.
Le gypse, utilisé pour le plâtre et le ciment, les carbonates et les feldspaths, complètent ce panel. Malgré ces atouts, l’accès à ces ressources est de plus en plus complexe à cause de contraintes réglementaires et administratives croissantes.
TES. : Peut-on parler d’une richesse géologique française ? Quelles comparaisons peut-on établir avec l’Europe ou le monde ? Quelles sont nos exclusivités ?
EM. : Comme nous l’avons dit, la France bénéficie d’une géologie variée, ce qui permet d’offrir un large éventail de ressources minérales. Nous sommes le 7e producteur mondial de talc (près de 500 000 tonnes/an), parmi les 10 premiers pour la diatomite (100 000 tonnes/an) et bien positionnés pour la silice. Des gisements comme celui de talc à Luzenac ou d’andalousite à Glomel sont des références mondiales. Cependant, des pays comme le Brésil ou la Chine dominent de nombreux marchés de minéraux industriels.
Jusqu’aux années 1980-1990, la France exploitait des mines de métaux (uranium, fer, tungstène, plomb, zinc, cuivre). Leur fermeture a résulté de coûts d’exploitation élevés par rapport à d’autres pays et de prix des métaux globalement bas. Aujourd’hui, la hausse des prix des métaux et les enjeux de souveraineté incitent à relancer l’exploration. Le deuxième inventaire minier lancé l’an dernier va dans ce sens. Toutefois, l’opposition sociétale et les contraintes administratives freinent ces projets. Comme le souligne mon collègue Michel Jebrak, avant la mine s’imposait aux populations, désormais elles doivent être acceptées par la société, marquant un changement de paradigme.
TES. : Votre ouvrage, Le minéral dans notre quotidien, vise à sensibiliser le public. Pourquoi est-il crucial que l’opinion publique s’intéresse à ce sujet ?
EM. : Les ressources minérales sont omniprésentes dans notre quotidien : des peintures aux papiers, plastiques et appareils électroniques, en passant par les verres, les carrelages et pratiquement tous les objets du quotidien. Sensibiliser le public est essentiel pour qu’il comprenne l’importance de ces ressources et les enjeux de leur exploitation. Une opposition systématique aux carrières ou aux mines, souvent par méconnaissance, ignore les impacts de notre dépendance aux importations, parfois issues de pays aux normes environnementales et sociales moins strictes. Par exemple, la République démocratique du Congo fournit 60 % du cobalt mondial, dans un contexte de forte instabilité politique. Une meilleure compréhension des enjeux miniers favorise un débat éclairé sur la souveraineté économique et les choix industriels.
TES. : Quelles filières industrielles françaises dépendent des minéraux industriels ?
EM. : Toutes les filières industrielles françaises utilisent des minéraux industriels : l’automobile (polymères avec le talc), l’aéronautique (moules des pièces en silice), la chimie (sel), le bâtiment (gypse, verres), la céramique (feldspath, kaolin), la papeterie (kaolin, talc, calcite) et même la santé (excipients des médicaments en carbonate, filtration du plasma sanguin avec la diatomite). Une interruption de l’approvisionnement en minéraux industriels paralyserait quasiment tous ces secteurs.
TES. : Pourquoi certains minéraux sont-ils qualifiés d’essentiels ? Les minéraux industriels sont-ils un enjeu de souveraineté économique ?
EM. : La plupart des minéraux industriels sont essentiels, car ils répondent à des besoins spécifiques sans substitut direct. Le quartz, par exemple, est crucial pour le verre et les panneaux photovoltaïques, tandis que le graphite est indispensable pour les batteries. La dépendance aux importations, notamment pour le graphite (85 % de la production mondiale vient de Chine), expose la France à des risques d’approvisionnement. La souveraineté économique est donc en jeu, car une rupture ou une flambée des prix pourrait affecter des filières stratégiques comme l’énergie ou l’électronique.
TES. : Quel rôle jouent les minéraux industriels dans la transition écologique ?
EM. : Les minéraux industriels sont au cœur de la transition écologique. Sans parler des métaux qui sont aussi indisênsables. Les éoliennes nécessitent des granulats pour leurs fondations, de l’aluminium, du cuivre et des terres rares pour leurs composants, ainsi que des minéraux industriels pour élaborer les céramiques, polymères, plastiques etc. qui la composent. Les panneaux photovoltaïques reposent sur la silice, et les batteries sur le lithium et le graphite. Ces ressources sont indispensables pour développer les technologies bas-carbone, mais leur approvisionnement reste un défi, notamment pour les métaux critiques importés.
TES. : La France dispose-t-elle de suffisamment de minéraux industriels pour ses besoins futurs ? Quels sont les principaux obstacles pour les industriels ?
EM. : Contrairement aux métaux que nous ne produisons pas sur notre territoire (hors le recyclage), la France produit une partie de ses besoins en minéraux industriels (silice, carbonates, kaolin et argiles, sel, talc…). Elle reste cependant dépendante des importations pour une bonne part : pour le kaolin par exemple, nous produisons 20 % de notre consommation, le reste est importé du Brésil ou des États-Unis. L’accès aux ressources est entravé par des normes réglementaires strictes, des études d’impact longues et coûteuses, et une opposition croissante et de plus en plus systématique de la part d’ONG ou de riverains. Le cadre réglementaire est bien sûr nécessaire mais devient de plus en plus lourd et multi-couches (régional, national, européen) ce qui le rigidifie et retarde les projets d’ouverture ou d’extension de carrières, comme pour la diatomite dans le Cantal.
TES. : Comment les industriels concilient-ils les impératifs environnementaux et sociétaux ?
EM. : Les industriels, souvent des PME, sont fortement engagés dans une gestion responsable. Ils respectent des réglementations strictes et mettent en œuvre des mesures pour réduire l’empreinte carbone, préserver la biodiversité et améliorer l’acceptabilité sociale. Au-delà des réglementations plus strictes, c’est la mentalité des exploitants qui a changé : aucun ne veut refaire les erreurs du passé et a à cœur de préserver l’environnement autant que possible. Ces efforts sont couronnés de belles réalisations trop souvent ignorées des médias. Par exemple, le strip mining permet de remblayer les zones exploitées au fur et à mesure, minimisant l’impact environnemental. De nombreuses carrières sont réhabilitées en sites pédagogiques ou en zones de biodiversité, parfois plus riches qu’avant l’exploitation. Les entreprises collaborent également avec des associations comme la LPO pour protéger la faune, par exemple en suspendant l’exploitation pendant les périodes de nidification.
TES. : Votre ouvrage est publié par la Société Géologique de France (SGF). Pourquoi ce choix ?
EM. : La SGF, l’une des plus anciennes sociétés savantes de France, est un lieu de convergence entre la recherche scientifique, le grand public et l’industrie. Mon ouvrage, Le minéral dans notre quotidien, se veut une synthèse accessible, étayée scientifiquement, mais adressée à un large public. Publier sous l’égide de la SGF permet de promouvoir une approche rigoureuse tout en sensibilisant à l’importance des ressources minérales. D’autres travaux, comme un mémoire sur le pétrole et le gaz en France, sont en cours dans cette même collection et cette même démarche.
TES. : Comment envisagez-vous l’avenir de l’exploitation minière en France ?
EM. : Je suis prudemment optimiste. Le deuxième inventaire minier national, lancé pour réduire la dépendance aux importations, est une initiative très positive. Cependant, l’ouverture d’une mine prend 10 à 15 ans. Les les résultats du premier inventaire minier national (1969-1992), qui a identifié des gisements importants de tungstène, zinc, or et antimoine notamment n’ont pas été suffisamment valorisés par l’ouverture de mines, Les obstacles administratifs, les oppositions sociétales et les lenteurs dans la délivrance des permis d’exploration freinent les avancées. Par exemple, le gisement de Rouez, (95 millions de tonnes de sulfures contenant cuivre, zinc, plomb et or) d’une valeur marchande potentielle de 20 milliards d’euros, reste inexploité (en dehors de ses premiers 20 m exploités pour or et argent en 1989-1992). Ces dernières années une dizaine de PER ont été accordés sur le territoire métropolitain, c’est une première étape pour l’ouverture de mines mais une simplification des procédures et une concertation plus poussée avec les populations locales seraient nécessaires pour concilier souveraineté économique et acceptabilité sociale.
TES. : Que pensez-vous des nodules sous-marins et de l’astro-mining ?
EM. : L’exploitation des nodules polymétalliques sous-marins suscite un vif débat, mais les ressources annoncées restent hautement spéculatives : on connaît très mal le fond des océans. Les estimations de tonnage et de teneur sont basées sur des approximations, et les autres gisements sous-marins, (les sulfures et les croûtes manganésifères), n’offrent pas d’avantage économique par rapport aux gisements terrestres connus. Les défis techniques (exploitation à 3 000-5 000 mètres de profondeur) et les impacts environnementaux rendent ces projets peu viables à court terme.
Quant à l’astro-mining, il relève davantage de la science-fiction que de la réalité économique. Les astéroïdes contiennent dans le meilleur des cas (les météorites métalliques) du fer avec un peu de nickel, abondants sur Terre. Les coûts et les défis technologiques pour rapatrier ces ressources sont prohibitifs et irréalistes. Les gisements terrestres, comme ceux de cuivre ou d’or qui existent en France, offrent des solutions plus immédiates et économiquement viables.
TES. : Selon vous, faudrait-il relancer des mines artisanales ?
EM. : Les mines artisanales, adaptées aux petits gisements et employant 10 à 20 personnes, fonctionnent bien dans certains pays émergents. En France, ce modèle a existé jusqu’aux années 1970, mais il est aujourd’hui freiné par des exigences réglementaires lourdes (études d’impact, réaménagement…). Ces contraintes, nécessitant des investissements importants, favorisent les grandes compagnies et les gros gisements, au détriment des petites structures. Une simplification des procédures pourrait permettre de valoriser des gisements modestes, tout en associant davantage les populations locales pour renforcer l’acceptabilité sociale.
Cette version conserve les idées principales et les exemples concrets, tout en adoptant un ton plus formel, structuré et synthétique, adapté à un cadre institutionnel. Les termes techniques sont clarifiés, et les propos sont organisés pour une meilleure lisibilité, tout en respectant l’esprit de l’interview initiale.
Ouvrage d’Eric Marcoux
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