
La pandémie à SARS-CoV-2 a mis en évidence que la médecine française pouvait se déchirer sur des opinions. Cette médecine d’opinion n’est pas née avec la pandémie mais les situations d’urgence dévoilent les intentions des processus cognitifs, heuristiques et de leurs bases. C’est ce que j’analyse.
Comment est née la médecine?
Le soin et l’ensemble de la pratique médicale sont issus de l’évolution des comportements innés de prévention et d’aide existants chez les mammifères. Un animal qui est gravement blessé, meurt le plus souvent. Les humains ont changé cette fatalité. Soigner une fracture en protégeant, en apportant de la nourriture et en immobilisant permet la cicatrisation d’un os aussi massif que le fémur. Cet exemple que M. Mead a cité à partir d’une découverte anthropologique permet de poser les questions essentielles (1) . Le développement évolutionniste de centres neurobiologiques des valeurs humaines explique le développement des soins et de la médecine chez homo sapiens (2). Depuis l’utilisation de plantes médicinales et les premières interventions chirurgicales salvatrices dont les plus exceptionnelles comme la trépanation, 6000 ans avant Jésus Christ (3), la médecine s’est développée par la convergence de l’empathie pour la souffrance d’autrui et par l’observation la plus rationnelle afin de trouver des traitements efficaces. C’est la médecine hippocratique qui a installé l’impératif du primum non nocere au cœur de la pratique, au plus près de la décision. Aucune empathie ne saurait justifier qu’on ajoute à la souffrance de la maladie sans apporter un avantage décisif. Ensuite cette histoire jalonnée par les saillies de l’intelligence et de l’audace va connaître un tournant au 19ème siècle. L’introduction de l’expérience comme moyen de comprendre la maladie ouvre la voie à la physiologie. Quelle a été l’évolution depuis la médecine expérimentale de Claude Bernard ? La médecine, après la découverte de l’ADN par Watson et Crick, est devenue un prolongement de la biologie moléculaire. Comprendre le mécanisme des maladies au niveau moléculaire et trouver des solutions thérapeutiques à cette échelle est l’aventure de la médecine moderne. Cette aventure s’est récemment accélérée selon la loi de Moore. Car l’Intelligence Artificielle est devenue un moteur de propulsion essentiel de l’innovation (4).

Dans ce contexte, une médecine où l’opinion et les croyances sont les bases de la pratique constitue une résistance à l’avancée scientifique.
Avant l’irruption de la biologie moléculaire la médecine était essentiellement anatomique et empirique, dominée par l’ignorance des grands mécanismes physiopathologiques s’agissant des grandes pathologies. C’est pourquoi chaque médecin se basait sur son expérience et des théories variées soit anciennes et transmises soit inventées au fil de l’exercice. C’est pourquoi un corpus de “croyances” cohabite encore avec l’irruption des évidences de la médecine moderne.
Renoncer à un pouvoir basé sur des données non scientifiques plutôt qu’adopter une pratique basée sur des évidences partagées et évolutives est difficile.
Dans le débat public, l’opinion de certaines personnes, occupant souvent des postes à vie dans des positions publiques académiques ou non, prévaut trop souvent sur les publications scientifiques, les résultats expérimentaux et en particulier sur les résultats infalsifiables des essais cliniques. Ces données, autrefois difficilement accessibles et interprétables, sont aujourd’hui consultables facilement. Le niveau de qualité est très élevé notamment dans les journaux de très haut niveau. Or ces personnes restent souvent dans une conception figée de la médecine car elles mettent en avant une vision finie et définitive des sujets médicaux. Elles affirment et expliquent tout à partir de théories plutôt que de s’attacher aux faits, aux résultats et à la probabilité de falsification des hypothèses testées.
Une médecine d’opinions dans une société ou dominent les intentions (5)
De ce point de vue une partie de la médecine française n’est pas devenue une médecine d’opinion, elle est restée une médecine trop attachée aux opinions dans un monde de plus en plus influencé par la science et pénétré par le paradigme poppérien (6) . Pour expliquer cela, il est utile de citer l’essai de Laetitia Strauch-Bonart « De la France ». Celui-ci met l’accent sur une sorte d’inclination française à privilégier l’induction plutôt que la déduction. Cette inclinaison concerne tous les secteurs du débat public. En France, certains médecins mettent trop souvent en avant leurs idées, leurs concepts, leurs théories avant les faits dans un pur schéma inductif. Ce schéma inductif est un obstacle à l’évaluation non biaisée des solutions médicales. Le dénigrement des preuves et des probabilités ou leur incompréhension est grandement explicable par le choix initial: adopter par induction une théorie puis chercher ensuite de manière sélective ce qui va la “valider”. Ce biais est assez répandu.
Comment pensent les médecins dans le monde?
L’empirisme des Écoles ayant définitivement démontré son incapacité à innover et à obtenir des résultats reproductibles, les médecins se sont organisés pour parler des sujets biologiques ou strictement cliniques avec des règles et dans la plus grande transparence entre les différentes équipes. C’est ainsi que se bâtit le corpus de connaissances et de découvertes. Dans le monde médical international, en particulier anglo-saxon, les cliniciens testent des hypothèses en concevant des expériences qui aboutissent à des faits mesurables appelés résultats. Ces résultats sont évalués grâce aux probabilités pour connaître leur validité et en particulier évaluer le risque d’erreur et les liens de causalité. Leur approche heuristique est déductive. Arrêtons nous sur cette question des hypothèses.
En France les structures économiques, politiques et sociales confortent cette prédominance des opinions sur les preuves
La réforme Debré, en 1958, a créé une exception française. La triple fonction clinique, de recherche et d’enseignement verrouillée par l’autorité hiérarchique de la chefferie de service et la nomination à vie. Il est impossible de concentrer plus les pouvoirs à la discrétion de l’État. Ce modèle si cher aux seuls intéressés est en ruine, plus personne n’en veut. Première évidence: un individu ne peut pas être très bon toute sa vie dans toutes ces fonctions. Il est hautement probable qu’il ne le soit même pas temporairement. Deuxième évidence: il peut en échange être un bon soldat du statu quo universitaire, de l’extension bureaucratique et d’une médecine d’état. Cela bloque entièrement le système. Et cet état de fait conforte chez certains médecins l’existence d’une vérité médicale définitive basée sur un avis d’autorité. Or il n’en est rien. Ce n’est pas l’opinion de sachants qui constitue une preuve, c’est l’étude critique des résultats expérimentaux et cliniques.
La pandémie et l’incertitude, le choix irrationnel de l’opinion
C’est une des raisons pour laquelle, pendant la Covid, la confiance du public a été si vite entamée. Nous sommes dans un système complètement inadapté à l’incertitude mais aussi à la médecine personnalisée, de précision, et à la médecine ambulatoire. Il est en réalité basé sur l’hospitalisation, l’opinion de sachants experts nommés à vie et l’absence d’évaluation des résultats et de la qualité des soins. Pendant la pandémie,certains sachants ont mis en avant leur “vision”, avec une allégation de certitude sans aucune base rationnelle. Les uns et les autres sont dans une forme « d’arrogance d’autorité ». Qu’il s’agisse de ceux qui ne voient rien en dehors de la médecine d’état symbolisée par l’HAS ou bien ceux qui par le même choix de raisonnement s’enferment dans des théories erronées ils sont à l’opposé de la médecine basée sur des preuves. Quand la médecine n’évolue pas ou peu cette médecine d’opinion est tenable. Dans l’accélération des découvertes que nous vivons actuellement, cette médecine d’opinion n’a plus de sens et peut même conduire à des conséquences sur nos patients. C’est en effet le patient qui assume le risque quand un soignant fait un pari au lieu d’agir avec prudence.
La principale erreur du raisonnement inductif ou plus exactement du choix de l’induction et de l’inférence dans la pratique médicale est de confondre le surgissement d’une idée avec l’évidence elle-même. Ce surgissement n’est au mieux que l’hypothèse à tester et l’évidence naît de la non falsification de l’hypothèse. Et ainsi de suite.
D’où vient ce modèle unique qui conduit au relativisme?
Un modèle unique étatique et rigide
La situation que nous connaissons en France est le résultat d’une fâcheuse exception culturelle largement alimentée par l’étatisme du système universitaire, de la pratique médicale et de facultés de médecine d’État. Il est urgent de laisser faire la recherche arbitrée par le consensus des pairs sans lien avec les chercheurs en question, il est urgent que l’Université soit diverse tout en restant fidèle à son exigence d’excellence c’est à dire de résultats. Or en raison du verrouillage du système hospitalo-universitaire les obstacles à l’innovation, à la recherche sont trop élevés pour être franchis. Quand l’innovation était rare, les externalités d’un tel système étaient faibles. Depuis que la médecine dépend avant tout de l’innovation, nous dépendons de plus en plus du flux de technologies et d’innovation qui vient de l’étranger. Cela n’est pas dû à une incapacité à se saisir des sujets de l’innovation mais à une série de freins, d’obstacles et d’interdits, certains résultant de la structure académique, nous l’avons déjà évoqué, d’autres de la superstructure administrative qui est la somme des couches défensives, “écologiques”, financières que l’état, seul maître du jeu, a empilées. Ces conditions empêchent de plus en plus le fonctionnement optimal du système de soins et de la médecine française qui est au cœur de ce dernier.
Les externalités négatives du modèle
Le blocage de toute pensée évolutive et des mécanismes rationnels et indépendants de validation de la recherche laisse un espace considérable pour la pire alternative, celle des fausses nouvelles, de la contestation du temps qu’il fait, des faits facilement observables au motif d’un “complot mondial”, d’une “paranoïa victimaire” dénonçant big pharma, les résultats des vaccins et tout cela par des gens qui n’ont jamais soigné un patient mais aussi, malheureusement, par des médecins peu scrupuleux habitués depuis longtemps à ce qu’on les croit sur parole. Il existe aussi une forme mineure tout aussi délétère de refus de la rationalité, le relativisme. Pour sortir de ce dilemme il n’est pas besoin d’une commission de la transparence (7) , forum de paroles sans action (8), il faut s’ouvrir à la société civile et libérer le monde universitaire, scientifique, médical de l’état et de ses institutions. C’est un véritable projet de Renaissance.
(1) https://www.twc.texas.gov/files/partners/dr-gorke-physically-distant-not-socially-distant-a-healed-bone-mead.docx
(2) https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fpsyg.2020.00199/full
(3)https://www.medicalnewstoday.com/articles/326281#:~:text=The%20early%20origins%20of%20trepanation,begun%20in%20the%20Stone%20Age
(4) https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/34877560/
(5)https://www.lemonde.fr/idees/article/2014/06/13/etiquetage-alimentaire-les-bonnes-intentions-ne-font-pas-de-bonnes-politiques_4437595_3232.html
(6)https://link.springer.com/article/10.1007/s11191-021-00317-9
(7) https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2021/09/29/les-lumieres-a-lere-numerique-lancement-de-la-commission-bronner
(8)https://www.atlantico.fr/article/decryptage/la-commission-bronner-verites-officielles-et-science—l-equation-impossible-guy-andre-pelouze
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