
Aboulique devant les périls avérés.
En conséquence amère, voire turpide, des effets du contre-modèle énergétique allemand auquel elle s’est vouée, c’est fort dépourvue que l’Europe dévoyée et fragilisée se trouve désormais.
L’anxiété devrait s’inviter au bouquet dans un contexte géopolitique inédit, fait de menaces provenant cette fois, de tous les azimuts. Ces périls soulignent, s’il le fallait, que le colosse impréparé a des pieds d’argile, cependant, on ne voit guère poindre des remises en cause et l’Europe continue de danser sur un volcan lequel, dans l’intervalle, est devenu actif !
Le futur énergétique du « Vieux Continent » qui détermine largement les autres issues, est très préoccupant dans un contexte où les déclarations illusionnistes d’antan ne sont clairement plus de mise, mais perdurent telles !
Ainsi, nombre de copieurs impénitents des choix énergétiques allemands, dont la France des rédacteurs des nouvelles PPE et SNBC (2025-2035), continuent de s’adosser à ces chimères ; à croire que s’il n’en reste qu’un, la France de ces apprentis sorciers-là, sera ce fidèle épigone !
Il y a donc urgence à déciller une opinion publique, passive et bienveillante, devant le développement inconséquent des énergies dites « douces », volontairement ignorante de ce que ce déploiement implique effectivement, alors que sur dix années on prévoit, en France, d’en tripler la capacité, les projets allemands étant encore plus surréalistes.
Faut-il, à cet égard, rappeler que l’électricité française est déjà décarbonée à 95%, que la consommation domestique est atone pour longtemps, que les progrès de l’électrification des usages sont inertiels, que notre surcapacité électrique (hors pointes) sert surtout à décarboner la production de nos voisins ?
En réaction, nous, citoyennes et citoyens de l’Europe, géant économique essoufflé et empêtré, devrions dans un accès de lucidité, maudire les idéologies qui ont placé notre continent dans un état de large dépendance énergétique, lequel conditionne absolument son indépendance politique, laquelle est challengée comme jamais !
Certes d’élections en élections, le bon peuple obtient des têtes et voue aux gémonies ce qu’il a adoré la veille, mais il est clair qu’on assiste davantage à une captation opportuniste du désarroi, qu’à une prise de conscience rationnellement fondée.
Les conséquences létales de dévoiements persistants
Il y a bien peu encore, l’Europe donnait au monde des leçons d’écologie pratique, affichant son « Green Deal » comme l’exemple vertueux à suivre et, pétrie de certitudes, ne doutait guère de l’effet d’entraînement qu’il produirait forcément, à l’échelle de la planète, pas moins !
Mais les temps ont changé, et le voile se levant laisse apparaître un continent exsangue et vulnérable, face à une montée des périls trop longtemps et sciemment ignorée. Non seulement les fameux « dividendes de la paix » ont anesthésié l’Europe, mais les cardinaux de ses politiques se sont inexorablement éloignés des réalités techniques et économiques, lesquelles fixent tôt ou tard des rendez-vous inéluctables ; ces temps sont venus.
A moyens donnés, ce qui est toujours le cas, même à l’échelle d’un continent, les sommes extravagantes consacrées au verdissement -à marche forcée- de toutes les facettes de l’activité (domestiques, industrielles, transports), souvent avec des résultats médiocres au regard des énormes investissements consentis, vont manquer cruellement ailleurs, en particulier pour l’effort de défense d’ampleur qu’imposerait la conjonction de la menace russe et du lâchage américain, à supposer même qu’on cherchât à relever le gant.
Le passif est tel que la hauteur de la marche pourrait d’emblée décourager une Europe frileuse, impécunieuse et irrésolue, au risque de la réactualisation du slogan capitulard de l’époque de la crise des Euromissiles : « Plutôt rouges que morts » (**)
Le gaz, un anesthésiant efficace…
Au plan énergétique, plus d’intermittence électrique, fruit des développements inconsidérés des EnR, signifie le plus souvent plus de gaz, voire plus de charbon. Pour les compenser, les majors pétrolières et gazières encouragent le développement massif des champs éoliens et solaires, dans lesquels elles investissent d’ailleurs, une forme d’auto-enfermement obsidional, très profitable cependant.
En conséquence emblématique, l’Allemagne, ayant réussi à arrêter son nucléaire (et au passage, à discréditer celui des autres) et déclarant vouloir, à l’horizon de quelques décennies, sortir du lignite (le pire de ce qu’on sait faire pour produire de l’électricité), envisage-t-elle un accroissement considérable de sa flotte de centrales CCGaz.
Le pays argue, dans un assaut d’hypocrisie qui serait sidérant s’il n’en était coutumier, qu’il ne s’agit que d’un stade provisoire, les machines devant, in fine, être alimentées par de l’hydrogène vert (donc non produit à partir d’électricité nucléaire…) et transitoirement par du biogaz.
Un rapide regard sur la faisabilité même d’un tel schéma en montre l’inanité ; c’est clairement une imposture !
En attendant Godot, les nouveaux CCGaz appelleront des volumes très conséquents de gaz importé, donnant aux fournisseurs des leviers économiques, donc politiques, considérables.
…dont on ne cherche guère à se déprendre.
L’Europe continue en effet, plus de dix ans après les prémices pourtant alarmantes de la guerre d’Ukraine, et trois ans après l’invasion du pays, à importer massivement du gaz russe !
Certes, celui-ci ne nous parvient plus que marginalement par les gazoduc continentaux qui ont été fermés (sauf vers l’Autriche et la Hongrie), ni par l’artère Nord Stream, roidement sectionnée, mais sous forme de GNL, qu’une noria de méthaniers achemine, vers nos ports (Dunkerque en particulier), alimentant l’hydre rendue insatiable par des choix énergétiques inconséquents, que l’Histoire requalifiera en criminels.
Il s’agit pour l’essentiel de méthane provenant du Grand Nord russe et de shale gas américain, vendus à prix d’or ; ce qui est rare est cher !
Un affairisme EnR hautement profitable et débridé s’est appuyé opportunément sur une puissante idéologie « verte ». Parallèlement, les risques évidents inhérents à devoir se reposer largement sur la source énergétique gazière (unifilaire pour l’Allemagne, mais plus diversifiée pour la France) ont été clairement perçus, mais c’est le refus obstiné de les considérer qui constitue la faute majeure, confinant même à une cécité volontaire. On peut hélas illustrer facilement le propos par quelques éléments, aussi révélateurs que pitoyables, choisis tant en Allemagne qu’en France.
Sans vergogne aucune
L’Allemagne des gouvernements Schröder et Merkel avait sciemment décidé de cette politique d’importation gazière à outrance et à bas prix, et la remarquable machine industrielle du pays y avait largement souscrit, permettant des exportations massives (entre autres vers la Chine, les USA et l’Europe) grâce à des coûts de production qui n’étaient pas grevés par le poste énergétique.
Cette politique, qui ne manquait ni de vision ni de rationalité, avait belle allure et fonctionnait en effet « plein gaz », d’autant que pour partie, elle prenait appui sur des fabrications réalisées en Europe centrale, par une main d’œuvre qualifiée et peu onéreuse. Son succès patent ayant largement contribué à valider cette stratégie, elle s’est perpétuée sans vrai souci d’évaluer régulièrement la pertinence et la pérennité de ses fondements.
Pas davantage il n’a été question de mesurer l’impact d’un tel cavalier seul sur les partenaires européens, qui subissaient de plein fouet les effets physiques et économiques de cette politique. De même, quand la bise fût venue, c’est-à-dire quand les gazoducs ont été fermés, les Allemands ont joué solo pour négocier des contrats de substitution auprès d’autres pays producteurs de gaz.
Le chancelier Scholz et sa coalition ont poursuivi cette même politique dans un contexte où pourtant les nuages s’accumulaient à l’Est.
Alors que l’infortunée Theresa May avait dû dire, contre sa conviction « Brexit is Brexit » au jour de sa nomination comme Prime Minister, c’est au contraire en pleine adhésion à leur choix de sortir du nucléaire qu’Olaf Scholz et surtout son vice-chancelier Robert Habeck, ont mis un point final à la « parenthèse » électronucléaire allemande, une épopée de quarante années vertueuses au cours de laquelle elle a fourni jusqu’au tiers des besoins du pays, ce qui était considérable en volume et en valeur ajoutée.
Quel exemple plus parlant, en effet, que celui d’avoir refusé de reporter l’arrêt des trois derniers réacteurs nucléaires allemands, en pleine crise énergétique, alors que les prix s’envolaient, traduisant basiquement le défaut d’assiette du système.
Les « exécuteurs » se sont même déclarés fiers que leur mains n’aient pas tremblé en activant le couperet. Rappelons cependant que les études support à cette décision se sont révélées sciemment tronquées, ce qui a défrayé la chronique…mais pas plus, « Atomkraft ? Nein danke ! »restant un slogan encore très populaire Outre-Rhin, ce que le futur Chancelier Allemand, Friedrich Merz, pourrait à nouveau constater, malgré ses propos de campagne.
Ces trois réacteurs, comme leurs prédécesseurs déjà mis sur la touche ont été ni plus ni moins « politiquement » arrêtés.
Conçus, fabriqués et remarquablement exploités par les ingénieurs allemands, ces outils sont demeurés hautement profitables malgré le véritable racket fiscal (entre autres, la taxe sur le combustible neuf chargé) (***), et le carcan réglementaire ossifiant, qui étaient imposés à leur exploitation.
Ils possédaient encore un potentiel de fonctionnement de plus de vingt années, un crève-cœur quand on sait que les coûts et les durées de construction de nouvelles centrales nucléaires se sont envolés, et qu’on connait le champ d’obstacles que doit franchir un nouveau réacteur, bâti aux normes de sûreté actuelles (Classe EPR ou AP1000), avant qu’il ne puisse délivrer ses premiers kWh.
Alors, on mesure mieux l’énorme destruction nette de valeur qu’a constitué l’arrêt prématuré de ces trois derniers réacteurs, et de leurs prédécesseurs d’ailleurs.
Lorsqu’on en arrive à ce degré d’obstination idéologique (mais être écologiste, c’est d’abord et avant tout être anti-nucléaire, ce principe devant rester premier en toute circonstance), on ne fait pas que se tirer une balle dans le pied, car la détonation est entendue autour et alentours et les voisins et concurrents en tirent généralement les conclusions qui s’imposent.
Suivisme et abondement
Mais cette triste séquence terminale allemande, renvoie en France, et en miroir, à l’arrêt des deux réacteurs de Fessenheim, alors que plus rien, hors de funestes adhérences à une écologie mal pensée n’y contraignait. Formellement, les Verts n’étaient plus au gouvernement, mais force est de constater qu’ils avaient encore, directement ou indirectement, les manettes en main, bien relayés dans l’Administration et par les Syndicats (hors la CFE-CGC), dont les inquiétudes ne s’exprimaient qu’en terme de maintien global de l’emploi, et surtout pas en soutien du nucléaire.
S’agissant du mode de chauffage (pour les locaux résidentiels et industriels), la France a, de longue date, privilégié le gaz importé, à l’électricité nucléaire nationale, la réglementation énergétique (RE) favorise en effet outrancièrement le gaz, par le truchement d’une pénalisation totalement artificielle de l’électricité.
Le raisonnement fallacieux est basé sur la consommation d’énergie primaire, l’électricité, principalement issue de centrales « thermiques », se voit ainsi affectée du rendement de Carnot de la chaîne de production. La discrimination est donc énorme et cette politique construite par des gouvernants et une administration hostiles au nucléaire, et qui le demeurent (car chauffage électrique = chauffage nucléaire), a parfaitement fonctionné.
En conséquence, en France électronucléaire, 45% des logements sont chauffés au gaz, contre seulement 20% à l’électricité. Malgré les récriminations des tenants de l’électricité, les RE successives ont largement maintenu l’avantage donné au gaz, provoquant une chute drastique de la proportion du nombre de logements chauffés à l’électricité, et même les solutions performantes à base de pompes à chaleur, n’ont pu l’enrayer efficacement. En France, très loin s’en faut, l’usage du gaz n’est toujours pas perçu comme un facteur de dépendance.
Sur ce même registre, en Allemagne, la part du gaz dans le chauffage des locaux domestiques et industriels est quasi léonine, augmentant d’autant les énormes besoins en gaz du pays.
Pour rappel illustratif, en 2005 lors d’une première crise gazière entre l’Ukraine et la Russie, le flux gazier vers l’Europe de l’Ouest s’était transitoirement tari, conduisant les ménages allemands à réduire leur consommation, ceci d’autant plus que la production d’eau chaude et le fonctionnement des fours et cuisinières domestiques s’appuient aussi largement sur le gaz. Une addiction collective donc, et s’en départir sera bien difficile.
Faux sevrage ?
Un maintien de la dépendance gazière de l’Europe se révèlerait être un implacable miroir de ses irrésolutions.
Certes, l’évolution d’un système énergétique est inertiel par essence, et qu’on ait recherché efficacement des parades de court terme, est une disposition vitale, mais ce choc, outre qu’il était contenu en germe dans des politiques risquées, ne semble pas avoir suffisamment fait reconsidérer les errements anciens, lesquels épousaient un contexte révolu.
Chez La Fontaine, «Le rat qui s’était retiré du monde » pouvait fermer sa porte aux solliciteurs et se repaître dans son autarcie, mais notre Europe, jadis assise sur un bloc de charbon, qui fût le socle de sa richesse (avec sa démographie), est depuis dépourvue de ressources énergétiques propres.
Elle s’est trop longtemps complu dans des schémas de facilité « court-termistes », le programme nucléaire français, qui visait -a contrario- à garantir un certain degré d’indépendance au pays a été vilipendé, sans aménités, urbi et orbi, la France faisant office d’îlot rétrograde dans la modernité européenne et ses gouvernants de plus en plus enclins à écouter les contempteurs.
L’Exécutif Européen n’était pas en reste, semant force chausse-trapes réglementaires et financières sur la route du nucléaire français. Frans Timmermans, ancien vice-président exécutif de la Commission européenne, responsable du Pacte vert, a été un adversaire particulièrement résolu du nucléaire, mais aujourd’hui encore, contre les évidences géopolitiques, la Commission reste plus que réservée, et l’accès du nucléaire français aux schémas de financements européens, qui valent pour les EnR, est loin d’être acquis.
Récemment, les étoiles fixes des décideurs politiques ont pâli et le « floutage » de ces repères a provoqué des renversements d’alliances inédits, des accouplements baroques et des échanges surprenants de phobies et de folies.
Paradoxaux, ces temps pourraient être favorables à un véritable changement des politiques énergétiques européennes, dicté par les impératifs d’une reconfiguration stratégique inédite,
Pour bouger « que faut-il davantage ?» aurait pu dire à nouveau le rat de la fable, mais cet espoir est bien ténu.
(*) : clin d’œil au titre du livre de Robert Musil « Les désarrois de l’élève Torless », purement formel, mais pas que…
(**) : Les propos de François Mitterrand devant le Bundestag, à l’occasion du 20éme anniversaire du Traité de l’Elysée en1983, sont plus actuels que jamais. En effet, il semble bien que « les pacifistes soient (toujours) à l’Ouest et les missiles (toujours) à l’Est », comme il l’avait rappelé d’une formule qui avait fait florès, lors d’une visite d’Etat en Belgique cette même année.
(***) : laquelle taxe semble inspirer aujourd’hui le législateur français !
Tout cela est malheureusement bien vrai !
Manque seulement un petit couplet sur l’interdiction de la prospection et de l’exploitation du « gaz de schistes » … alors qu’on a du construire en urgence des terminaux pour recevoir le « gaz de schistes » américain, et payer ce gaz très cher !
Avons nous des gouvernants qui savent gouverner … faut-il attendre l’élection d’un « Trump » européen avec tous les risques associés, pour changer la donne ?