
2018 a été riche en matière de communication scientifique. Plus que jamais ce domaine montre sa complexité. Après bientôt une année de réflexion sur le sujet, voici quelques leçons que nous aimerions tirer.
Le progrès ne fait pas un bon titre
Reconnaître qu’il existe des distorsions entre le monde de la science, le progrès technologique et les médias est un euphémisme. Si l’on veut s’en persuader il suffit de se plonger dans Enlightenment now, le dernier ouvrage de Steven Pinker. Ce dernier met en exergue une analyse des « sentiments » exprimés dans les gros titres du New York Times entre 1945 et 2012, qui démontre que ceux-ci sont de plus en plus pessimistes. Ce qui pour l’auteur est étonnant, car la réalité est toute autre. 75 graphiques à l’appui, chapitre après chapitre, il démontre que, dans tous les domaines, les choses vont objectivement mieux et que l’idéal des Lumières se réalise progressivement. On s’interroge alors : pourquoi l’augmentation de l’espérance de vie moyenne, la diminution de la mort infantile, la diminution du nombre de famines, la diminution drastique du nombre de pauvres… ont-elles du mal à émerger dans les médias ? Pourquoi le traitement de l’information scientifique par les médias privilégie-t-il systématiquement la tonalité pessimiste ?
La problématique risque VS danger
Dans le cadre de cette focale médiatique déformante, il y a des écueils qui sont des cas d’écoles. La problématique « risque » contre « danger » est un modèle du genre. La confusion induite dans les esprits a encore de beaux jours devant elle. Un des exemples les plus parlants est sans doute celui de la couverture du journal Libération « Alerte au soja fou » parue en 1996. Il s’agit ici d’un amalgame entre la crise de la vache folle d’une part, et l’arrivée en Europe de la première cargaison de soja OGM, d’autre part. Le lien fut fermement établi dans l’esprit des lecteurs et on connaît la suite. Or les deux épisodes ne peuvent être mis au même niveau. Dans un cas, nous avons affaire au danger identifié des farines animales. Dans l’autre cas, il s’agit d’un risque potentiel. Alors que le danger nous renvoie à une stratégie de prévention, on sait sans aucun doute qu’il faut tout faire pour empêcher sa réalisation, le risque, lui, nous renvoie à l’application du principe de précaution. Il faut mener des études pour parer à toute éventualité et continuer les recherches, même si on n’a aucune certitude. L’absence de cette distinction entre ces deux notions est à l’origine, comme on sait, de nombreuses confusions et de mauvaises interprétations.
Un sujet de communication complexe : le cancer
S’il est un sujet d’étude sur lequel il est particulièrement compliqué de communiquer, c’est bien celui du cancer. Comme le montre l’épidémiologiste Catherine Hill, contrairement à une idée répandue « Il n’y a pas d’épidémie de cancer en France ; dans l’ensemble, les nombres de cancers n’augmentent que par effet démographique de l’accroissement et du vieillissement de la population. La principale exception est le cancer du poumon chez la femme.[1] » Pour étayer son raisonnement, l’auteure s’appuie sur deux indicateurs qui sont, le nombre annuel de nouveaux diagnostics et le nombre annuel de décès. Ensuite il faut étudier les « causes évitables de cancer », ce qui fait remarquer à l’épidémiologiste, qu’« il serait utile de faire un observatoire des fausses croyances en matière de facteurs de risque de cancer et un inventaire des recommandations de prévention qui ne reposent sur rien. Ce serait un contre-feu indispensable à l’abondance de recommandations infondées. » Cette remarque nous amène donc au cœur de notre problématique.
Résister au fatalisme du « tout cancérigène »
Comme on le sait, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), en tant qu’agence intergouvernementale et organisme dépendant de l’OMS, fait office de référence en termes de communication sur le sujet. À ce titre, il fait régulièrement la Une des médias avec ses monographies. Tout d’abord, il est important de rappeler que cet organisme ne produit pas lui-même d’études, mais qu’il ne fait que compiler celles-ci. Ensuite, en fonction de ces compilations (les monographies), le CIRC classe les produits analysés en cinq grandes catégories :
- Groupe 1 « cancérogènes » (par exemple les radiations solaires, la cigarette, la charcuterie),
- Groupe 2 A : « probablement cancérogènes » (par exemple, la viande rouge, le glyphosate),
- Groupe 2 B : « peut-être cancérogènes » (par exemple le café),
- Groupe 3 : « inclassables » (par exemple le thé),
- Groupe 4 : « probablement pas cancérogènes »
On comprend alors toute la difficulté pour les médias grand public de saisir la nuance entre toutes ces catégories.
Comme on l’a vu précédemment, certains médias privilégiaient les gros titres pessimistes. Ainsi, en partant d’un libellé tel que « La viande rouge est « probablement » cancérogène » on aboutit rapidement à titre choc du type « Viande et cancer : le rapport choc de l’OMS ». Aussi, à la requête Google « viande rouge » on trouve maintenant directement la suggestion « viande rouge cancérogène ».
Ensuite, on a vu qu’il existait une confusion entre risque potentiel et danger et qu’elle était très compliquée à démêlée. Il est essentiel de rappeler que les regroupements de produits du CIRC n’évoquent qu’un risque potentiel. Ainsi, si je mange de la charcuterie, cela augmente peut-être mon risque d’avoir un cancer, mais cela ne fait pas pour autant de la charcuterie un produit aussi dangereux que le tabac.
On conçoit alors toute la difficulté de faire une distinction entre ces catégories qui regroupent de manière extensive plusieurs produits et une analyse intensive de chaque produit pris séparément : deux items qui se retrouvent dans la même catégorie ne représentent intrinsèquement pas le même danger. Tout l’art d’une bonne communication scientifique sur ce sujet passe par la capacité à faire comprendre cette nuance. Aussi, on apprécie l’effort de communication mis en place par l’OMS, la maison mère du CIRC pour rassurer et renseigner l’opinion et ce, de manière vraiment très simple par le biais d’un système de questions et réponses [2].
En conclusion, on peut facilement concevoir a priori que tous les produits existants dans la nature entreront un jour dans une des catégories du CIRC…. Le « tout-cancérigène » est un concept qu’un scientifique peut concevoir de manière purement intellectuelle sans pour autant y ajouter l’affect qui le ferait sombrer dans le désespoir. Celui-ci y trouvera au contraire un moyen d’agir et de trouver des solutions pour prévenir la maladie [3]. C’est beaucoup plus difficile pour l’opinion, voire, inconcevable pour le patient qui recherche un remède. On comprend alors l’effort extraordinaire que doit mener un organisme comme le CIRC pour expliquer sans relâche le précieux travail de communication qu’il effectue.
[1] Fréquence et causes des cancers en France, Catherine Hill, SPS n° 316, avril 2016, https://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article2620.
[2] Ainsi sur le site de l’OMS, on trouve une rubrique FAQ pour répondre à la cancérogénicité de la consommation de viande rouge et de viande transformée.
Question 9. « La viande transformée a été classée comme cancérogène pour l’homme (Groupe 1). La consommation de tabac et l’amiante sont aussi classées comme cancérogènes pour l’homme (Groupe 1). Est-ce que cela signifie que consommer de la viande transformée est aussi cancérogène que fumer du tabac et être exposé à de l’amiante ?
Non, la viande transformée a été classée dans la même catégorie que d’autres agents, causes de cancer, comme le tabagisme et l’amiante (Groupe 1 du CIRC, cancérogène pour l’homme), mais cela ne signifie pas pour autant qu’ils sont tous aussi dangereux. Les classifications du CIRC décrivent la force des données scientifiques sur un agent comme étant une cause de cancer, mais n’évaluent pas le niveau du risque. » https://www.who.int/features/qa/cancer-red-meat/fr/
[3] Faut-il rappeler par exemple que les pompiers US qui ont participé au sauvetage du 9/11, ont pu être soignés et indemnisés, parce qu’on a découvert que les matières qu’ils avaient respiré avaient été classifiées par le CIRC ?
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