Cet article est la première partie d’un diptyque sur la mutagenèse écrit par le Docteur Phillipe Joudrier.
Un débat important pour le développement des biotechnologies se déroule sous nos yeux depuis ces 12 derniers mois…
En effet, les chercheurs, partout dans le monde, mettent en œuvre de nouvelles technologies d’amélioration des plantes (NPBT : New Plant Breeding Technology). Elles ont été adoptées rapidement par les biologistes végétaux et animaux qui y ont vu la possibilité de s’affranchir de la connotation négative des OGM car ces techniques sont plus précises, plus rapides et plus fiables que toutes celles utilisées jusqu’à présent. Ce faisant, et comme souvent lors des avancées techniques, le législateur n’arrive pas à suivre et, dans le cas précis des NPBT, peut-être pour tenter de rattraper le retard, sans doute aussi par incapacité à comprendre et paresse intellectuelle, il a préféré classer tous les produits issus de ces NBT dans la réglementation actuelle sur les OGM, sans percevoir que de ce fait, il donnait un coup d’arrêt au développement de ces NBT en Europe, enfonçant une nouvelle fois les semenciers dans une réglementation devenue obsolète car fondée initialement sur des critères visant à satisfaire le discours non-scientifique des « anti-science » et opposés à tout progrès.
La mutagenèse, technique faisant principalement débat parmi ces nouvelles techniques, est le point central d’achoppement des autorités réglementaires ce qui est paradoxal puisque cette technique avait été écartée de la législation lors de l’établissement des premières réglementations sur les OGM.
La CJUE, statuant donc sur les NPBT, en est arrivé récemment à faire une distinction entre mutagenèse aléatoire pratiquée couramment depuis plus d’un siècle et non soumise à réglementation et les mutations faites de manière ciblée grâce à la mutagenèse ciblée.
Ainsi alors que la mutagenèse aléatoire n’est pas soumise à réglementation au prétexte qu’elle est « naturelle » (voire même qu’on lui donne un coup de pouce à l’aide de rayonnement ionisants ou de produits chimiques mutagènes pour les générer plus fréquemment et qu’elle est utilisée depuis presque un siècle), la mutagenèse ciblée mise en œuvre par les NBT doit se soumettre aux nombreuses réglementations et directives concernant les OGM.
Ces dernières, (la première date de 1990) avec les années sont devenues lourdes, contraignantes et très coûteuses, fondées principalement sur l’évaluation des méthodes mises en œuvre pour leur obtention et non pas, ce qui aurait constitué une approche scientifique correcte, fondée sur la sûreté du produit final.
Une autre incohérence scientifique est que les techniques de mutagenèse aléatoire provoquent plusieurs milliers de mutations au hasard dans le génome alors que les techniques de mutations ciblées (telles que celles mises en œuvre par les NPBT, de même d’ailleurs que celles conduisant à ce qui est communément appelé OGM (2001/18) via la transgénèse), n’en provoquent qu’en nombre limité. De plus, on connait les modifications, où elles se trouvent dans le génome et quels en sont les effets.
Il semble donc important d’apporter quelques précisions sur la mutagenèse et les différents types de mutation qu’elles provoquent au sein du génome d’un organisme.
En premier lieu, il est nécessaire de rappeler que les mutations sont une constante depuis que la Vie s’est créée.
Que ces mutations sont autant responsables (sinon plus) de la grande variabilité qui existe au sein du vivant (une autre cause de la variabilité étant la reproduction sexuée) et qu’elles sont aussi le moteur principal de l’Evolution ayant conduit des organismes des plus simples aux plus complexes.
Une mutation est, pour le vivant, définie comme une modification survenant au sein du génome (ADN) d’un organisme (ou d’un virus).
Dans l’environnement, les mutations sont provoquées principalement et sans doute majoritairement par les rayonnements auxquels nous sommes soumis en permanence (rayonnements ionisants Rayons-X, R-alpha, R-beta, R-gamma), le rayonnement UV, par des ondes électromagnétiques ainsi que par un grand nombre substances chimiques auxquelles nous sommes exposés en permanence.
Mais il s’en produit d’autres qui sont liées au fonctionnement même du vivant, au sein de la cellule et au cours de la vie de l’organisme (lors des divisions cellulaires : réplication de l’ADN, mitose, méiose, fusion cellulaire, activation des transposons et rétro-transposons, mécanismes de réparation de l’ADN, l’apoptose, interactions entre organismes…).
Les mutations qui surviennent peuvent être de « simples » à « importantes » au sein du génome, simples lorsqu’elles n’affectent qu’une seule base de l’ADN (substitution, addition, délétion) à importantes dès lors qu’elles vont toucher de nombreuses bases simultanément (délétions, additions importantes jusqu’à la duplication totale du génome en passant par des translocations (coupures et réassociations de séquences plus ou moins longues en d’autres endroits du génome), etc.
Chez l’homme, on dénombre actuellement de l’ordre de 8000 maladies génétiques et 2 millions de personnes en seraient porteuses et/ou atteintes (cf. site ORPHANET : www.plateforme-maladiesrares.org/index.php). La plupart de ces maladies sont dues au mauvais fonctionnement d’une enzyme en raison d’une mutation ponctuelle du gène codant cette enzyme.
Un exemple bien connu concerne la drépanocytose. C’est une maladie héréditaire, sans doute la plus fréquente dans le monde, touchant plus particulièrement certaines populations, notamment les populations d’origine sub-saharienne et équatoriale mais également les pays d’Afrique du nord, la Grèce, la Turquie, l’Arabie Saoudite et l’Inde. Ainsi chaque année environ 300 000 enfants naissent atteints de cette maladie et sans doute 50 millions de personnes en sont atteintes dans le monde. Elle est appelée également hémoglobinose S, sicklémie ou anémie à cellules falciformes. C’est l’hémoglobine, protéine assurant le transport de l’oxygène dans le sang, qui n’est pas strictement la même chez les individus malades. La mutation ponctuelle a touché une seule base du gène. Celle-ci est remplacée par une autre base. Cette seule modification a pour effet de changer le codon correspondant à l’acide glutamique en position 6 de la chaîne polypeptidique de l’hémoglobine par un codon correspondant à la valine (noté E6V). Ce seul changement d’acide aminé a pour conséquence de modifier la structure tridimensionnelle de l’hémoglobine. Cette protéine anormale d’hémoglobine (hémoglobine S ou Hb S) détruit alors les globules rouges. Elle entraîne des crises douloureuses et des troubles vaso-occlusifs, signes de graves hémolyses.
Un autre cas du même type peut être mentionné, il concerne l’hémochromatose héréditaire (HH), première maladie génétique en France. La mutation est notée C282Y (l’acide aminé cystéine (C) en position 282 dans la chaine polypeptidique est remplacé par l’acide aminé tyrosine (Y). D’autres mutations du gène hfe1 existent (H63D, S65C), mais sont moins fréquentes.
Autre exemple : les plantes transgéniques que l’on a rendu tolérantes à un herbicide donné (cas du glyphosate) sont des plantes qui ont reçu un gène codant une enzyme légèrement différente de celle naturellement présente dans la plante. Au niveau de la séquence du gène, elle ne diffère, en effet, que par quelques mutations ponctuelles qui conduisent au remplacement de quelques acides aminés par d’autres.
Dans le métabolisme général, cette enzyme intervient dans la synthèse des acides aminés aromatiques (Tryptophane, Phénylalanine, Tyrosine) présents dans la composition de pratiquement toutes les protéines. La plante ayant l’enzyme « normale » est inhibée par le glyphosate, elle n’a donc plus d’activité. La plante n’est alors plus capable de synthétiser les acides aminés aromatiques dont elle a absolument besoin pour synthétiser ses propres protéines et meurt. Par contre, l’enzyme codée par le gène que l’on a modifié (muté) et introduit dans la plante est insensible au glyphosate, elle peut donc fonctionner normalement et la plante ne meurt pas.