Si la Commission européenne a insisté sur l’importance du numérique dans l’agriculture européenne, son intégration à la nouvelle mouture de la PAC reste incertaine du fait du recentrement des financements sur les états membres.
« L’innovation aura une place de choix dans la future politique agricole commune (PAC) » assurait Phil Hogan, commissaire européen en charge de l’agriculture. L’homme d’état irlandais n’a jamais fait de secret sur sa volonté de défendre une « meilleure utilisation des intrants tels que les engrais, des machines autonomes (robots et tracteurs sans conducteur) » et des « changements dans la chaîne d’approvisionnement (notamment le marketing direct) ». Ces dernières années, la Commission a en effet insisté sur le fait que le secteur agricole européen devait « sauter le pas du numérique » et entrer dans l’ère de l’agriculture de précision.
Au vu de la concurrence mondiale accrue, les analystes estiment qu’il est nécessaire d’adopter au plus vire ces nouvelles technologies. En outre, la volonté européenne de réduire son emprunte environnementale ne pourra pleinement se concrétiser qu’avec le concours de ces dernières. Pourtant, Phil Hogan rappelle que « ce sont les États membres qui décideront quel soutien précis apporter et donc quel financement pour l’innovation ». Un aveu qui fait craindre que la réalité de la PAC ne reflète pas l’ambition promise par l’exécutif européen.
De nombreuses voix se sont levées pour regretter un manque de vision pour le numérique dans la PAC post-2020. En effet, chaque état ayant ses priorités propres, et compte tenu de la plus de marge de manœuvre promise aux États membres dans le nouveau texte, l’innovation risque fort d’être relayée au second plan. « L’expérience de la PAC actuelle, appliquée dans 28 États membres aux climats, méthodes de production et traditions différents, montre que Bruxelles ne peut plus déterminer ce qui doit être fait dans chaque État membre », justifie la Commission.
« Quand un agriculteur change ses pratiques, il y a toujours un risque. Par exemple, quand il passe au bio, il y a un risque, car il change de modèle de production et peut être confronté à deux ou trois années difficiles avec des pertes importantes », explique Luc Vernet, dirigeant du think-tank Farm Europe. « Si nous voulons que les agriculteurs passent au numérique, nous devons les protéger pendant une certaine période de transition ». Mais l’innovation agricole trouve également des échos au-delà du domaine social. L’industrie agro-alimentaire est elle aussi réservée quant aux propositions de la Commission.
« Dans les propositions et les discussions actuelles de la PAC, nous observons davantage une politique utilisant la numérisation et les technologies de l’information pour faciliter l’observation et la conformité qu’une politique visant à stimuler l’adoption et l’application de ces techniques révolutionnaires en agriculture », note Yara, une multinationale d’engrais et de nutrition des plantes. « Les décideurs politiques ne comprennent pas pleinement le lien entre l’agriculture numérique et la production durable » regrettait pour sa part Bruno Tremblay du groupe Bayer.
Daniel Azevedo du syndicat des agriculteurs européens Copa-Cogeca pointe aussi du doigt un manque d’ambition : « Nous reconnaissons que la DG Agri de la Commission, en collaboration avec la DG Connect, ainsi que tous les services de la DG Recherche, ont réalisé de nombreux programmes sur l’agriculture de précision », a-t-il déclaré, ajoutant toutefois que certaines questions concernant la réglementation « entravent parfois l’innovation ». La commission profitera-t-elle cet appel pour revoir sa copie ? Considérant les tensions qui entourent le débat sur la nouvelle PAC, rien n’est moins sûr.
« Si aucune direction européenne franche n’est donnée, les États membres n’auront pas la capacité de conduire le secteur dans cette direction » met en garde Luc Vernet.