Elections européennes 2019 : la science en question
Dans le cadre des élections européennes European Scientist vous propose un tour d’horizon des experts de différents pays sur différents sujets concernant la science et la politique scientifique en Europe, afin de prodiguer un état des lieux et une analyse, utile pour la prochaine commission.
Vous êtes Député européenne depuis 1994, quel regard portez-vous sur la politique scientifique en Europe ?
Il y a au niveau européen une vraie politique de soutien à la science, à la recherche et à l’innovation, notamment à travers le fameux programme Horizon 2020, appelé à devenir Horizon Europe. Il devrait être financé à hauteur d’au moins 100 milliards d’euros pour les prochaines années. Mais au-delà, il existe au niveau européen une vraie recherche d’expertise scientifique pour tous les sujets techniques sur lesquels nous sommes emmenés à légiférer. La Commission est ainsi équipée d’un service scientifique interne, à même de fournir des conseils scientifiques indépendants.
Que pensez-vous du plan Horizon Europe ? Pensez-vous que l’on en fasse assez concernant des sujets tels que la R&D ? Quid des thématiques particulières telles que l’Intelligence Artificielle, les NBT ? L’Europe doit-elle s’investir davantage sur ces sujets et si oui comment ?
J’estime qu’il s’agit d’un programme extrêmement ambitieux et tourné vers les bonnes priorités. La Commission et le Parlement ont en effet souhaité mettre l’accent sur les défis d’avenir tels que la transformation digitale du continent. Je suis également très satisfaite que le cluster santé du nouveau programme envisage de faire de la lutte contre le cancer, notamment contre les cancers pédiatriques, une réelle priorité avec des financements fléchés. Bien sûr on peut toujours en faire plus, et les budgets que nous consacrons à ces sujets apparaissent encore bien maigres en comparaison de ce que dépensent par exemple les GAFA pour investir dans l’intelligence artificielle. Cependant, je crois que l’Europe demeure le bon échelon pour soutenir la R&D. C’est en mettant en commun nos ressources, nos talents et nos connaissances que nous parviendrons à faire progresser la science.
De nombreuses controverses ont secoué les membres au niveau sanitaire, alimentaire et agricole, notamment par rapport à l’usage des pesticides et herbicides. Pensez-vous que l’agriculture de précision est une option ? Si oui, que pourrait faire l’UE pour en favoriser l’adoption ?
Je crois d’abord qu’il est important en effet que nous repensions notre modèle de production agricole, notamment en ce qui concerne l’usage, parfois massif, de produits phytosanitaires. Il y a une réelle inquiétude de l’opinion publique, sans doute en partie exagérée mais aussi très légitime, quant au risque environnemental et de santé publique que font courir ces produits. Nous devons pouvoir répondre à ces inquiétudes sur la base de la science, sans idéologie. En ce sens, l’agriculture de précision peut bien sûr faire partie des options et je pense que l’UE peut aider les agriculteurs et producteurs à s’équiper et à s’approprier les nouveaux outils numériques. La prochaine réforme de la Politique Agricole Commune doit se saisir de ce sujet.
Dans une tribune, vous avez dénoncé la « contestation de la science comme une forme de nouvel obscurantisme ». Pensez-vous que l’Europe soit particulièrement frappée par ce phénomène ?
Je ne suis pas certaine que l’Europe soit davantage touchée par ce phénomène que d’autres régions du monde. Cette nouvelle contestation de la science est en partie rendue possible par le développement d’internet et des réseaux sociaux, qui facilitent l’accès au savoir, ce qui est une bonne chose, mais qui facilitent en parallèle la diffusion de fausses informations. Chacun se sent ainsi légitime à donner son avis sur des sujets par ailleurs très techniques, s’improvisant du jour au lendemain scientifique ou médecin. L’Europe est très touchée parce que c’est justement un continent libre et démocratique où l’information circule heureusement librement. La réponse doit être de mieux armer citoyens et décideurs politiques en renforçant l’esprit critique et la culture scientifique de chacun. Votre média joue à ce titre un rôle important.
Vous avez refusé de participer à l’audition de Greta Thunberg devant le Parlement Européen et en même temps vous pensez qu’il faut une véritable mobilisation à l’égard du réchauffement climatique. Cette position n’est-elle pas difficile à tenir ?
Pas du tout, bien au contraire ! Bien sûr qu’il faut une mobilisation urgente de tous, et de la jeunesse en particulier, contre le réchauffement climatique. Mais la réponse passe, j’en suis convaincue, par le développement technologique et l’innovation, pas par la décroissance et l’alter mondialisme ! Les discours catastrophistes de Greta Thunberg, s’ils ont le mérite de réveiller les consciences, me paraissent idéologues et contre-productifs. Si on veut mobiliser efficacement contre le réchauffement de la planète, il faut donner de l’espoir aux citoyens qui s’engagent et démontrer comment le progrès scientifique et technologique peut permettre de rendre meilleur le monde de demain.
Les autres interviews de cette série sont :
Questions à Françoise Grossetête, députée européenne
Interview de Marcel Kuntz : quel avenir pour les NBT en Europe ?
Interview avec Samuele Furfari : élections européennes
Interview de David Lacombled : le challenge de la transformation numérique
This post is also available in: EN (EN)DE (DE)