Prix de l’énergie qui flambent, impact de la guerre en Ukraine, dépendance au gaz russe, conséquences pour la transition énergétique européenne Philippe Charlez, expert en questions énergétiques à l’Institut Sapiens et auteur de « L’Utopie de la croissance verte: Les lois de la thermodynamique » répond aux questions de EuropeanScientist
The EuropeanScientist : A plusieurs reprises vous vous êtes alarmé de la flambée des prix de l’énergie. Pouvez-vous nous en rappeler brièvement les raisons ?
Philippe Charlez : Entre février 2021 et février 2022, le baril de pétrole et la tonne de charbon ont plus doublé tandis que sur les marchés européens les cours du gaz naturel ont été multipliés par 5. Enfin, sur le marché spot de l’électricité, le MWh s’est régulièrement négocié autour de 250 euros soit six fois plus cher qu’il y a un an. Pour éviter toute explosion sociale, le gouvernement a dû, une fois de plus, mettre la main à la poche : mi-janvier, l’ensemble des mesures gouvernementales prises depuis septembre 2021 avaient déjà coûté à l’Etat la bagatelle de 22 milliards d’euros.
Nous avions dès 2020[1],[2],[3],[4] alerté quant à la situation inquiétante sur le marché des hydrocarbures soumis d’une part à une offre déclinante de gaz faute d’investissement dans l’exploration et le développement de nouveaux champs et à une demande croissante (en Europe mais surtout en Chine) pour appuyer des renouvelables largement insuffisants pour répondre à l’accroissement de ma demande électrique.
En résolvant le problème via des subventions risquant rapidement de devenir incontrôlées, le gouvernement piège le débat présidentiel et met le futur président dans une situation potentiellement explosive à l’automne 2022. Une situation qui pourrait plomber le nouveau quinquennat avant…qu’il ait commencé.
Quel candidat risquera la transparence vis-à-vis de l’opinion publique en osant proclamer haut et fort que pour financer la transition énergétique le citoyen français devra mettre généreusement la main au portefeuille. Progressivement le « quoi qu’il en coûte pandémique » va devenir un « quoi qu’il en coûte énergétique ».
TES. : La guerre en Ukraine va-t-elle accentuer cette hausse ? Comment analysez-vous la situation ?
P.C. : A la crise énergétique trouvant ses origines dans une rupture structurelle offre demande est venue se superposer une crise militaire liée au conflit russo-ukrainien. Il aura à moyen terme des conséquences majeures sur les marchés énergétiques mondiaux. Alors que le prix du gaz européen s’était légèrement relaxé depuis début février (le MWh était redescendu à 72€ le 21 février contre 100€ à la fin de l’année) à la suite de l’invasion russe, il est devenu incontrôlable culminant à près de 200€ le vendredi 3 mars soit…312$ le baril équivalent. Quant au baril de pétrole qui oscillait autour de 90$ mi-février il est monté à 118$ le 3 mars. S’il s’agit en partie d’une réaction de panique des marchés, la position énergétique clé de la Russie (3émeproducteur de pétrole avec 12% de la production mondiale et 2éme producteur de gaz naturel avec 17% de la production mondiale) laisse peu de doute quant à l’effet dévastateur de ce conflit sur les marchés de l’énergie.
L’horizon d’un double (voire triple si l’on ajoute le charbon – la Russie est aussi l’un des principaux producteurs mondiaux) embargo pour « achever » l’économie russe accentuera de façon paroxysmique la rupture offre demande déjà bien présente et conduira à des prix stratosphériques. Un gaz à 300 $ et un pétrole à 150$ doubleront le déficit du commerce extérieur pourtant déjà largement déficitaire. L’intervention systémique de l’Etat pour éviter de graves troubles sociaux augmentera sans limite une dette souveraine qui atteignait fin 2021 116% du PIB. L’inévitable spirale inflationniste augmentera significativement les taux d’intérêt rendant alors la dette insupportable. Une véritable quadrature du cercle entre sanctions, inflation, dette et conflits sociaux. Si les russes risquent de payer très cher leur folie ukrainienne, les dommages collatéraux en Europe risquent pour leur part loin d’être tout aussi douloureux.
TES. : L’Europe pourra-t-elle se passer du gaz russe ?
P.C. : L’Europe est le principal client de la Russie (40% du gaz européen provient de Russie) et la Russie son principal fournisseur. Si l’Europe imposait un embargo sur le gaz Russe, ce dernier ne pourrait pas (contrairement au pétrole qui vogue aisément sur tous les océans de la planète) trouver preneur dans la mesure où les principaux gazoducs (Brotherhood ukrainier, Yamal biélorusse et Nord Stream 1 russo/allemand) pointent exclusivement vers l’Europe. La Russie verrait alors sa rente gazière réduite à néant. En théorie très efficace, cet embargo gazier est-il pour autant réalisable. En d’autres termes, l’Europe pourrait-elle se passer du gaz Russe et à quel prix ?
Le seul substitut crédible s’appelle Gaz Naturel Liquéfié. Transitant sur les océans via des méthaniers, il suit un peu la logique du pétrole : il suffit pour importer du GNL de disposer d’un accès à la mer, d’installations portuaires dédiées et d’équipements de regazéification. De nombreux pays européens disposent de terminaux méthaniers sur la façade atlantique (Portugal, Espagne, France, Belgique, Pays-Bas), Baltique (Pologne) et méditerranéenne (Grèce, Italie, Espagne). La France possède quatre terminaux à Fos (2), Dunkerque et Montoir-en-Bretagne. Une fois regazéifié, le gaz peut alors transiter dans le réseau pour alimenter les pays européens ne possédant pas d’accès maritime comme la République Tchèque ou la Slovaquie et qui par ailleurs sont les plus dépendants vis-à-vis du gaz Russe (85% pour la Slovaquie et 100% pour la République Tchèque contre seulement 17% pour la France et 10% pour l’Espagne).
Hélas, quand on analyse les quantités, les importations gazières Russes représentent le tiers de la production mondiale de GNL. Une production provenant principalement du Qatar, du Nigéria, de Malaisie, d’Australie et des Etats-Unis mais transitant principalement vers le sud-est asiatique (Chine, Japon et Corée) qui consomme plus de 70% de la production mondiale de GNL. Les importations additionnelles de GNL vers l’Europe ne pourraient donc combler que très partiellement le déficit d’importations russe sauf à engager un combat commercial entre l’Europe et l’Asie conduisant inexorablement à des cours stratosphériques que l’on ose à peine imaginer. Une situation juteuse pour les américains nous vendant « généreusement » leur gaz de schiste liquéfié au prix fort. Sauf à accepter une sobriété énergétique douloureuse ou des prix encore deux ou trois fois plus élevés, l’embargo gazier est donc bien difficile à mettre en œuvre. Il n’est donc pas surprenant que l’arrêt du système SWIFT ait été appliqué à toutes les transactions financières exception faite…du gaz.
TES. : Selon vous, l’écologie politique a joué un rôle non négligeable dans cette dépendance gazière. Le conflit pourrait-il sonner le glas de cette idéologie ?
P.C. : Si la guerre est d’abord porteuse de brutalité, d’oppression, elle est aussi très souvent révélatrice de situations latentes occultées en temps de paix.
Notre trop forte dépendance gazière vis-à-vis de la Russie s’est certes accentuée au cours des dernières années par suite de la baisse structurelle de la production de la Mer du Nord et des Pays-Bas mais aussi et surtout à cause de choix énergétiques absurdes et purement idéologiques.
Bien que représentant un poids politique négligeable, l’écologie politique a, depuis plus de vingt ans, impacté de façon déterminante les choix énergétiques européens. Promouvant une utopique croissance verte faite de 100% de renouvelable, elle a poussé l’Europe à invertir plus de 1000 milliards d’euros dans l’éolien et le solaire tout en imposant une idéologie anti-nucléaire. Issue des mouvements pacifistes des années 1960, l’écologie politique s’avère toujours incapable de faire la différence entre nucléaire militaire et nucléaire civil. Ainsi dans son discours fondateur de Lyon du 29 janvier 2021, Yannick Jadot confirmait que « l’opposition au nucléaire n’est ni technique ni climatique, elle est politique en plus d’être morale ». Il y a deux jours, l’écologiste belge Gorges Giliknet persistait en signant dans le journal La Meuse un article intitulé « le nucléaire peut être utilisé comme une arme, pas le vent et le soleil ».
Cette posture est aujourd’hui d’autant moins tenable que certaines ONGs écologistes comme WWF, BUND et NABU auraient été en partie financées[5] par Gazprom en échange de positions antinucléaires mais aussi antigaz de schistes. Une duplicité coupable profitant en retour au géant Russe et accentuant la dépendance gazière européenne.
Rappelons que WWF a été dirigé entre 2016 et 2019 par Pascal Canfin aujourd’hui député européen LREM et président de la commission environnement au parlement européen. Et que penser de Gherard Schoeder père fondateur de l’Energiewende allemande et depuis son retrait de la politique membre influent du comité directeur de Gazprom ou de Christine Van der Straeten[6] actuelle ministre de l’énergie belge favorable à la sortie du nucléaire mais précédemment avocate dans un cabinet dont Gazprom était client.
Puisse le conflit ukrainien révéler à l’Europe sa fragilité énergétique et contribuer à redéfinir une indispensable stratégie commune. Puisse le conflit Ukrainien sonner le glas de l’écologie politique.
[1] https://www.contrepoints.org/2020/11/18/384591-hydrocarbures-pourquoi-faut-il-continuer-leur-developpement
[2] https://www.contrepoints.org/2021/04/01/394396-climat-les-ecolos-font-pression-sur-les-banques
[3] https://www.contrepoints.org/2021/05/22/398002-lagence-internationale-de-lenergie-en-guerre-contre-le-petrole-et-le-gaz
[4] https://www.contrepoints.org/2021/06/29/400554-prix-du-gaz-attention-danger
[5] https://www.contrepoints.org/2022/03/04/422715-des-ecologistes-ont-ils-ete-finances-par-le-gouvernement-russe
[6] https://lpost.be/2021/08/11/conflit-dinterets-pour-la-ministre-de-lenergie-tinne-van-der-straeten-groen/
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« ’ensemble des mesures gouvernementales prises depuis septembre 2021 avaient déjà coûté à l’Etat la bagatelle de 22 milliards d’euros. »
Non, l’Etat n’a pas déboursé un kopek.
Certes il a renoncé à la CSPE/TIFCE. Mais rappelons que cette taxe sur nos factures d’électricité est prélevée pour financer les « énergies renouvelables » , plus précisément l’écart entre leur prix d’achat fixe et le prix du marché. Or, vu le prix du marché à plus de 200 €/MWh, il n’y a actuellement rien à verser aux producteurs d’éolien et de solaire, donc la taxe aurait été prélevée indument.
En revanche, EDF dont le tarif aurait dû augmenter de 44 % en vertu du décret « Royal » qui définit son montant, lequel avait été stupidement et volontairement asservi au marché européen de l’électricité donc au prix du gaz, a été contraint à n’encaisser qu’une hausse de 4 % (bouclier tarifaire).
On pourrait dire comme B. Le Maire que « c’est normal car EDF utilise du nucléaire et pas du gaz », mais quand le marché est tombé sous 20 € lors de la crises Covid, Le Maire n’est pas venu aider EDF qui perdait alors beaucoup d’argent.
Pire, pour les consommateurs hors tarif EDF (industriels et clients de Total ou d’Engie), l’Etat a forcé EDF à céder 20 TWh supplémentaires à très bas prix (46 €) à ses concurrents pour les « aider » à ne pas (trop) augmenter leurs propres tarifs !
Conclusion : l’Etat n’a fait AUCUN effort pour financer le bouclier tarifaire. Mais il a imposé à EDF de le faire à sa place, et d’une manière inique. Point. Il faut le faire savoir.