Récemment auditionné par les Parlementaires (1), B.Doroszczuk, le Président de l’ASN (2) en profite pour adresser implicitement et parfois très explicitement d’importants messages à l’Exécutif.
Posant bien qu’il appartient « au politique » de déterminer la stratégie énergétique du pays, en particulier pour la production d’électricité, B.Doroszczuk, entre autres assertions, pointe pourtant que la procrastination systématique s’agissant de l’électronucléaire national (3) ne constitue pas une politique et conduit droit vers des lendemains périlleux.
Un trop-plein de vide
« La nature a horreur du vide », l’ineptie aristotélicienne fait pourtant sens, lorsqu’on l’applique aux politiques industrielles, à condition de distinguer entre vide…. et vide !
Ainsi, le vide quantique n’est-il pas vide, peuplé de particules qui apparaissent et disparaissent en permanence. Par analogie, le vide nucléaire, comprendre l’absence de politique cohérente en la matière, n’est pas vide non plus, sa vacuité renfermant, hélas, les ingrédients d’un délitement irréversible de la filière.
Une phalange comme le nucléaire a en effet besoin de beaucoup anticiper ses objectifs, la machine étant très inertielle. Il faut, entre autres, fabriquer les compétences requises, en heure et en nombre, préparer le tissu industriel, de réalisation des équipements (chaîne de sous-traitance comprise), tenir compte de la durée de construction des ouvrages, dont les délais procéduraux, etc….
Or, ce grand navire, plus que jamais vital pour le pays, à l’heure de la reprise post covid, du développement rapide de nouveaux usages de l’électricité et de la lutte contre le réchauffement climatique, ne se voit, de manière délibérée, assigner aucun cap !
Ainsi, alors que les travaux (vérifications, modifications), indispensables à la prolongation de la durée d’exploitation des réacteurs, devraient faire appel, durant des années, à de nombreuses compétences spécifiques et à un ensemble conséquent de moyens industriels dédiés, les acteurs potentiels sont privés de perspectives par un discours idéologique hostile, souvent insufflé au plus haut niveau de l’Etat, qui discrédite d’emblée leur contribution.
En conséquence, des entreprises délaissent l’activité nucléaire, les jeunes générations s’en détournent (Cf la fonte des effectifs étudiants de l’INSTN). Quoi de plus efficace, en effet, pour faire mourir une filière, qui demeurera pourtant, longtemps encore, le socle de notre production d’électricité, au grand dam de ses détracteurs.
Mais sans devenir tracé, comment travailler l’esprit serein, la tentation est alors grande d’aller proposer ses compétences ailleurs. Quant aux investissements, pourquoi ne pas céder aux charmes vantés-ventés des renouvelables qui offrent des rendements inégalés et pérennes.
Un nettoyage par le vide
Dans une cohérence délétère, on se complait dramatiquement à renoncer à la quatrième génération de réacteurs, à différer les décisions sur l’entreposage en piscine des combustibles usés (à La Hague), à reporter l’engagement du stockage géologique des déchets HA-VL (à Bure), à repousser le choix des futurs sites d’entreposage ou de traitement des matériaux issus de la déconstruction des réacteurs (à Fessenheim), en même temps qu’on réduit leur perspective d’exploitation, rapprochant ainsi les échéances.
Une politique de gribouille (la naïveté en moins) qui s’inscrit hélas dans le mouvement global de désindustrialisation du pays, pan d’activités dont on détourne idéologiquement les talents et les moyens.
Au cours des deux mandats présidentiels, la filière nucléaire n’a en effet reçu aucun signe encourageant, bien au contraire. Mais un vent contraire déjà levé, attisé par Fukushima, et resté très soutenu depuis, n’aurait guère permis, sauf volonté politique (qui sans surprise a fait défaut), d’afficher du positif pour le nucléaire.
Il ne faut pas froisser l’électorat vert, lequel a déjà permis, ou facilité grandement, deux élections. A cet égard, en Haut-Lieu, on voudrait bien, que le fameux adage garde sa réputation en 2022, au risque, certainement assumé, de sacrifier un atout national.
Cherche marges, impérativement
Le Président de l’ASN affiche, quant à lui, une position pragmatique, ne voulant pas que les impératifs de sûreté nucléaire se retrouvent contraints par les besoins d’un système électrique qu’on n’aurait pas suffisamment anticipés et qu’on peine déjà à satisfaire, aujourd’hui, faute de marges suffisantes.
Alors que, comme dit, le nombre d’utilisateurs ne cesse de croitre et que de nouveaux usages de l’électricité se développent rapidement (numérique, mobilité, chauffage, hydrogène,..), c’est le moment choisi, dans toute l’Europe interconnectée, pour arrêter massivement, sous la pression des écologistes, de puissantes unités pilotables (charbon, nucléaire) réduisant drastiquement les marges et mettant, magie des mots, le système sous tension.
Dans le contexte décrit, devoir compter de manière structurelle, sur des importations dont la fiabilité ne peut que diminuer, est une régression majeure pour notre pays.
Faut-il rappeler que l’avènement massif des renouvelables intermittents (soleil et vent) ne répond pas à la question, le dimensionnement de la puissance nécessaire au système électrique, ne pouvant intégrer ces contributeurs occasionnels, lesquels, l’expérience le prouve amplement, peuvent s’effacer en totalité (ce qui est évidemment vrai pour le solaire, l’est aussi pour l’éolien).
Par contre les investissements massifs faits pour équiper le pays (et toute l’Europe) d’éoliennes et de panneaux solaires, pèsent au détriment de ceux qui seraient nécessaires pour fiabiliser le système électrique (puissance, régulation) qu’il s’agisse de nucléaire (que la PPE (4) réduit méthodiquement) ou de centrales fonctionnant au gaz naturel (que la même PPE interdit encore, mais plus pour très longtemps…).
Dit autrement, le Président de l’ASN, plaide pour la reconstitution de marges fiables et bien dimensionnées (quelle qu’en soit la nature) afin de se garder la faculté de pouvoir arrêter tout réacteur, ou famille de réacteurs, qui viendraient à présenter des défauts affectant significativement leur niveau de sûreté. Cette revendication est déjà ancienne, formulée à plusieurs reprises par AC Lacoste l’un des prédécesseurs de B Doroszczuk.
De plus, comme dit supra, la flotte de réacteurs de 900 MW (32 unités) est engagée, pour les années qui viennent, dans la séquence de vérification-modification correspondant à la quatrième visite décennale (avec amélioration corrélative de leur niveau de sûreté, commensurable avec celui de l’EPR), ce qui conduira transitoirement à un taux d’indisponibilité plus élevé pour cet ensemble qui représente près de la moitié de la puissance nucléaire installée, diminuant encore les marges nécessaires au système.
L’ombre commode de l’EPR de Flamanville
Après l’arrêt politique de Fessenheim (1800 MWe), on comptait bien sur l’EPR de Flamanville (1650 MWe) pour reconstituer en partie les marges. Hélas, l’aboutissement de ce projet ressemble à un supplice par l’espoir, chaque difficulté, difficilement surmontée, laissant place à une nouvelle, Le contexte est devenu tel que l’ASN ne peut appliquer les règles que de façon maximaliste, impliquant, à chaque fois, des corrections de grande ampleur, avec incidences lourdes sur les plannings et les coûts.
L’opinion, lassée, accueille ces nouveaux déboires dans l’indifférence et ne se préoccupe plus guère de l’issue du projet. Une suspicion profonde est jetée sur notre capacité à refaire, ce que nous avions su si bien faire, même si les compétences françaises ont permis que les deux EPR chinois fonctionnent nominalement, que l’EPR Finlandais vienne de franchir une étape décisive et que le chantier d’Hinkley Point, au RU (une ruche impressionnante), progresse remarquablement.
La proposition d’EDF de construire six nouveaux réacteurs de type EPR 2 en France, vitale pour la filière, se trouve mécaniquement repoussée par les retards de l’EPR de Flamanville, même si, à l’approche des élections présidentielles et pour les raisons dites, aucune décision positive n’aurait été prise d’ici là.
Nul ne doute que ces déconvenues auront nourri d’abondance une opposition au nucléaire déjà bien vigoureuse, l’Exécutif, naturellement enclin à la procrastination dénoncée, y aura trouvé matière à conforter sa ligne, un court-termisme de bien mauvais aloi pour le pays.
Pays, qui outre sa frange activiste, ne s’intéresse guère aux enjeux portés, le filtre orienté des média étant, à cet égard, d’une redoutable efficacité.
(1) : 7 avril 2021 : Audition de M. Bernard Doroszczuk, président de l’Autorité de sûreté nucléaire devant la Commission des affaires économiques du Sénat.
27 mai 2021 : présentation du Rapport sur l’état de la sûreté nucléaire et de la radioprotection en France en 2020 aux parlementaires de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST).
(2) : ASN : autorité administrative indépendante assure, au nom de l’État, le contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection en France, pour protéger les travailleurs, les patients, le public et l’environnement des risques liés aux activités nucléaires. Elle contribue à l’information du public
(3) : L’occasion de rappeler ici, que c’est le troisième ensemble industriel du pays (allant de la petite PME, aux grandes multinationales) et que la filière, même avec pour base une licence américaine (dont le pays s’est affranchi depuis), est un exemple emblématique du « made in France ».
(4) : PPE = « Programmation Pluriannuelle de l’Energie », déclinaison réglementaire de la LTECV de 2015.
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