Depuis des millénaires, l’humanité a subi des épidémies dévastatrices, la dernière en date étant la « grippe espagnole » de 1919-1920. De nos jours, les « opinions publiques » ne supportent plus les morts par épidémie, contrairement aux périodes pas si lointaines de la « grippe asiatique » des années 1950 ou de la « grippe de Hong-Kong » de 1970.
Nos gouvernements sont-ils équipés pour faire face ? Manifestement non. Et ils sont encore bien loin d’une réponse satisfaisante.
Avec le « coronavirus », l’humanité se trouve confrontée à un problème inédit depuis 200 ans : l’arrêt – ou au moins un coup de frein volontaire jamais enregistré en temps de paix – de la production industrielle et de services. Nous avons en cela une image, certes partielle, de ce que certains souhaitent sous le nom de « décroissance ».
De l’impuissance, fatalisme et silence de naguère, à l’hystérie collective d’aujourd’hui
En France, la « grippe asiatique » de 1957-58 provoque au moins 15 000 décès et sans doute environ 2 millions dans le monde. La « grippe de Hong Kong », en 1968-1970, provoque 17 000 décès en France et sans doute 1 millions de morts en tout dans le monde. Les deux ont des bilans globaux très faibles par rapport à la « grippe espagnole » de 1918-1920, qui a fait sans doute nettement plus de 20 millions de morts.
A l’époque, ces épidémies passent quasiment inaperçues, et n’entraînent aucun arrêt des activités humaines, comme la plupart des épidémies précédentes, qui se passent toujours de la même façon. Les pouvoirs publics tentent d’isoler les malades, voire des régions entières dans les cas graves. En l’absence de traitements, on s’occupe surtout d’organiser prières et processions, tout en faisant ce que l’on peut pour assister les agonisants. Puis l’épidémie finit par s’arrêter « naturellement », en ayant parfois rayé du monde des vivants le tiers ou la moitié de la population.
Comme les précédentes, la pandémie « covid 19 » est une « catastrophe naturelle » au sens propre du terme. La « nature » n’a rien de spécialement bienveillant avec l’humanité, contrairement aux affirmations de quelques gourous. Elle n’en a strictement rien à faire. La pandémie n’est qu’un cas particulier de ces catastrophes, parmi les séismes, les tsunamis, les éruptions volcaniques ravageuses ou les impacts cataclysmiques de corps interplanétaires. On peut donc s’attendre à la répétition future de calamités issues de formes de vie hostiles. Ces formes peuvent avoir deux grandes caractéristiques : la contagiosité et le danger pour l’Homme. Cela va de « très contagieux et relativement peu dangereux », du type de la « covid 19 » à « très dangereux et peu contagieux » du type SIDA. Avec toutes les nuances et la quasi-certitude d’émergence ou de « réveil » un jour d’un organisme hostile « très dangereux et très contagieux ». Comme « Yersinia pestis » en son temps, qui accompagne l’humanité depuis des millénaires. Resté sans remède pendant ces mêmes millénaires, il a pu mener des « attaques » ravageuses tous les quelques siècles.
Les gouvernants aujourd’hui semblent avoir du mal à réagir face à des situations de ce genre. La France est loin d’être la seule dont les dirigeants donnent l’impression de « flotter » dans leurs décisions. Ce flottement résulte de la combinaison entre trois facteurs : moyens de communication instantanée, rôle récent d’« assureur universel » de l’Etat, et failles techniques.
D’abord, en nos temps de paix prolongée, et en l’absence de famines ou d’épidémies, l’opinion publique des pays occidentaux, ou plutôt ses « leaders », supporte de plus en plus mal les calamités. La facilité de l’information en continu par des acteurs de plus en plus nombreux augmente démesurément la visibilité desdites calamité et donc l’angoisse collective …
Habitudes de confort serein, communication instantanée et rôle d’« assureur universel » de l’Etat augmentent la pression sur les pouvoirs publics
En outre, depuis plusieurs décennies aujourd’hui, les Etats occidentaux, et particulièrement l’Etat français, sont devenus avant tout l’assureur des calamités de la vie pour chaque individu. Ils ont pour cela énormément développé les assurances individuelles obligatoires. Les volets « maladie » et « retraite » sont de loin les plus importants en flux monétaires. Ces flux monétaires sont devenus (prélèvements obligatoires, frais et prestations) la première dépense publique depuis plus de vingt ans en France. Ils représentent aujourd’hui environ 32% du PIB français.
Tout citoyen a donc pris l’habitude que l’Etat lui « vienne en aide » quand il rencontre un problème personnel. Mais la crise « covid 19 » permet de constater que l’Etat n’est pas à son aise avec des calamités collectives « graves » mais « peu fréquentes », comme l’actuelle pandémie. Il s’agit pourtant d’un danger collectif concret, contre lequel prémunir son peuple est une fonction régalienne essentielle de l’Etat. L’Etat se sent « en défaut » par rapport à l’opinion publique et donc les élus à sa tête menacés pour les prochaines élections.
Enfin, les failles techniques sont de plusieurs ordres : difficultés à détecter et isoler les personnes contaminées, définition et mise en œuvre aléatoires des méthodes prophylactiques pour les bien-portants, rapidité insuffisante de la séquence « identification – séquençage – définition de traitements – production en masse de traitements ».
D’où les mesures plus ou moins extrêmes et efficaces, mais prises dans une situation de panique pour le cas « covid 19 » depuis les débuts de la pandémie, avec des annonces qui se contredisent d’une semaine sur l’autre, quand ce n’est pas dans la journée. Selon l’habileté ou la maladresse des gouvernants, ces mesures auront des effets plus ou moins délétères sur l’économie des différents pays, la France ne semblant pas très bien placée.
Quelles sont les voies et moyens dont disposent les Etats pour combler les failles techniques ? Ils en ont plusieurs, souvent peu ou mal employées pour le moment. Les unes relèvent de la recherche scientifique mais aussi du développement technologique appliqué à la vie quotidienne, les autres de l’organisation sociale. Nous nous intéresserons surtout aux premières, scientifique et technique. Une pandémie a en effet un point commun avec les techniques : les problèmes restent les mêmes quelles que soient les organisations politiques, religieuses ou philosophiques des sociétés qui la subit. Leurs solutions sont donc techniques et largement indépendantes de ces organisations.
Il y a deux voies de progrès technologiques possibles. La première est dans l’optimisation de la lutte contre toute nouvelle forme de vie dangereuse pour l’Homme. La seconde, dans l’organisation de la prophylaxie des individus.
Faire progresser dans la durée la prophylaxie des individus : les méthodes efficaces sont « privatives de libertés »
Commençons par la prophylaxie, en principe la plus rapide et « simple » à mettre en place. L’expérience montre que la maîtrise d’une épidémie repose sur un triptyque « détection – isolement – traitement » des individus contaminés, bien avant les mesures extrêmes prises par exemple en France d’isolement de toute la population.
Il y a des solutions un peu primitives praticables dès aujourd’hui : stocks stratégiques de masques et autres matériels de protection « NBC » – comme le gel hydroalcoolique -, à distribuer en priorité aux personnels soignants et aux gens « en contact » avec le public, isolation des malades ou porteurs sains reconnus contagieux, fermeture des frontières, etc. Cela relève d’une prévoyance organisée de l’Etat, entraînant des dépenses permanentes qu’il faut régulièrement réexpliquer au citoyen ou électeur moyen entre deux épidémies. La plus ou moins grande réussite de ces démarches dépend en revanche de l’organisation politique, philosophique et humaine de la société. Par exemple, la société sud-coréenne, d’importance comparable à la société française (52 millions d’habitants) mais culturellement très différente, semble mieux réussir dans l’application de ces mesures. D’autres sociétés asiatiques telles que Viêt-Nam, Chine, Cambodge, sont dans le même cas.
La solution pérenne est nettement plus technique. Elle est dans la mise en œuvre d’une détection systématique des cas par la télésurveillance sanitaire de la population. Cela est en cours de mise en place dans les pays « riches ». Par exemple, il existe déjà des « pacemakers » qui retransmettent en continu l’état du cœur de leur hôte à une plateforme informatisée consultable par le médecin traitant sur alerte à son intention. De nombreux autres projets de « télémédecine » et de « télédiagnostic » apparaissent aujourd’hui. La privation de liberté potentiellement entraînée par ces dispositifs sera très largement compensée par l’amélioration de la prise en compte sanitaire de leurs porteurs – et de la santé publique en général. La présence à terme de capteurs permanents et communicants dans le corps de chacun permettra de savoir instantanément qui est atteint d’une pathologie donnée. Les démocraties entoureront la communication de ces informations des règles suffisantes pour assurer le maintien du niveau de liberté individuelle qu’elles souhaitent. C’est aujourd’hui le cas avec les dossiers médicaux centralisés, en cours de mise en place en France et ailleurs. Toutes les techniques permettant un déploiement massif de la télésurveillance sanitaire sont soit immédiatement disponibles, soit « dans le tuyau » de recherche et développement de nombreuses entreprises, startups biotechs ou grands groupes.
Une autre tendance, celle-ci d’organisation du travail, devrait aider. A l’occasion de la crise covid 19, de grandes entreprises ont décidé de migrer leur mode de fonctionnement par défaut vers le télétravail. Cela diminuera fortement les déplacements professionnels. C’est un retour des choses. Fin XVIIIe siècle et courant XIXe siècles, des millions de journaliers agricoles – alors l’essentiel de la population – quittent les campagnes. Ils rejoignent les concentrations industrielles, mines, aciéries, constructions mécaniques, qui ont besoin de masses non qualifiées.
D’où l’organisation actuelle des villes et agglomérations des pays occidentaux : population essentiellement salariée et structures sociales associées, ateliers, bureaux, droit du travail, transports entre coron et mine, etc. Cela était nécessaire avec les techniques du XIXe siècle. Aujourd’hui, les télécoms peuvent éliminer la présence physique au bureau pour la plupart des gens sauf ceux directement au contact de la matière. Mais demain, la manipulation à distance de la matière sera elle aussi quotidienne. On en revient au moins en partie à la situation prévalant avant l’ère industrielle, en diminuant l’exposition aux environnements contaminants.
La lutte de demain contre les organismes pathogènes émergents reste à construire : elle passe par un changement de niveau scientifique et technique
L’autre voie technologique est la lutte contre le nouvel organisme pathogène lui-même. Celle-là repose sur le développement ultra-rapide de traitements et de vaccins. Le « traitement » permet aux malades de recouvrer la santé sans séquelles, le « vaccin » protège les populations à grande échelle contre la contamination par l’hostile en question.
Aujourd’hui, on sait rapidement (quelques semaines) identifier l’organisme pathogène responsable, et séquencer son génome. Les opérations suivantes sont nettement plus délicates. Il s’agit d’identifier les points vulnérables de l’organisme assaillant, puis de trouver – ou concevoir – les molécules qui vont les frapper. Ensuite, on s’assure de l’efficacité de ces molécules contre l’hostile dans le corps humain. Enfin, on vérifie la capacité de l’organisme humain à supporter ces molécules thérapeutiques. Tous ces tests obéissent à des protocoles expérimentaux extrêmement lourds et codifiés – donc lents. Certains pays – comme la France – augmentent encore leurs délais par des procédures administratives à la valeur ajoutée discutable. Quand tout cela est réussi, on peut produire et diffuser massivement les traitements ou vaccins.
Cela demande au minimum des mois pour un traitement dans les conditions actuelles, nettement plus pour un vaccin, et parfois des décennies – par exemple avec le HIV du SIDA. Pour contrer efficacement une pandémie créée par un nouvel organisme pathologique « dangereux et contagieux », le délai de réponse souhaitable est plutôt de l’ordre de quelques semaines ou deux ou trois mois tout compris, entre la détection de la « nouvelle maladie » et la production à échelle industrielle De médicaments efficaces.
Pour réussir cette performance, il y a deux voies à accélérer. D’une part, une meilleure compréhension du vivant, pour savoir à coup sûr comment détruire un organisme hostile à partir de l’analyse de son génome. Il s’agit de recherche biologique fondamentale. D’autre part, une accélération de l’aptitude humaine à fabriquer les molécules capables de le détruire et les vecteurs capables d’amener ces molécules « au contact » de l’organisme. Là, on est plus dans de la recherche technologique appliquée, et dans la mise au point de procédés de production utilisant des machines vivantes (plantes ou animaux OGM) ou des moyens de synthèse purement chimiques.
Pour progresser sur ces voies, on n’oubliera pas les immenses bases de données constituées à partir du suivi de la population vu plus haut. On leur appliquera de l’« intelligence artificielle » aussi bien pour la compréhension du vivant et l’élaboration de stratégies anti-nuisibles que pour accélérer les processus de production. De nombreux laboratoires de recherche et startups travaillent dans ces voies. Il est urgent de les aider et encourager, en augmentant très nettement les fonds (publics ou privés) dirigés vers eux et leurs investissements.
On remarquera qu’une fois parvenu à la situation de suivi permanent des populations décrite ci-dessus, et avec l’identification rapide des organismes pathologiques émergents, la capacité de soigner les malades devient beaucoup plus efficace que la vaccination de toutes les populations, qui perd alors très largement de son intérêt.
On demande des gouvernants un peu plus enthousiastes et visionnaires pour construire la santé publique du XXIe siècle !
La capacité de l’humanité à combattre des épidémies foudroyantes futures repose donc sur un double changement de niveau. D’une part le déploiement des moyens techniques nécessaires pour suivre en temps réel le fonctionnement de l’organisme de chaque être humain pour assurer son bien-être. D’autre part le perfectionnement technologique de la destruction des organismes pathogènes émergents. L’humanité n’a pas encore fini – et de très loin – de chercher, trouver et progresser !
Alors, un peu d’enthousiasme pour se mettre au travail, bien au-delà des mesures erratiques que peut prendre au jour le jour le gouvernement français, comme de nombreux autres gouvernements, somme toute assez désemparés par cette pandémie. Il serait utile de voir et d’entendre des démarches de Recherche et Développement orientées dans ce sens, et les volumes de dépenses nationales affectées collectivement à ces sujets augmenter de façon plus que significative.
Image par PixxlTeufel de Pixabay
« la pandémie covid 19 est une catastrophe naturelle » ?!
Vous n’avez jamais entendu parler de déforestation ni de laboratoires P4 ?
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