![Feu de forêt près de Tchernobyl : beaucoup de fumée pour rien ?](https://www.europeanscientist.com/wp-content/uploads/thumbs/pripyat-1374555_1920-3apdxrcq7q1f4nrbzu7kzk.jpg)
Il y a une semaine, on apprenait qu’un feu de forêt s’était déclenché à proximité de la centrale de Tchernobyl. André Pellen, Sébastien Richet et Jean-Philippe Vuillez tous les trois experts du nucléaire, font le point sur la situation et les risques éventuels pour la France
Le retour du nuage de Tchernobyl ?
Lors de l’accident de la centrale nucléaire de Tchernobyl, en Ukraine, le 26 avril 1986, suite à un test supposé de sûreté passive, impensable ailleurs qu’en Union Soviétique et une reprise de production très risquée, forcée par Moscou, l’explosion de vapeur du réacteur numéro 4 souleva la dalle de béton laissant l’entièreté du cœur du réacteur à l’air libre et projetant une grande quantité de particules radioactives dans l’atmosphère.
Ces dernières furent transportées vers le nord puis vers l’ouest où elles purent être mesurées. Les valeurs mesurées furent durant une courte période (trois jours) très supérieures aux valeurs de bruit de fond naturel mais sans aucune conséquence sur la santé, puisque, in fine, le total de l’exposition en France s’est situé entre 0.09 et 0.17 millisieverts (mSv) pour quelques zones géographiques (Corse et Alsace) (1).
C’est ainsi que le Professeur Pellerin annonça que le nuage était arrivé en France mais qu’il n’y avait aucun danger pour la population, message qui fut modulé par le gouvernement qui prétendit que le nuage n’était pas arrivé en France, comme le prouvent les coupures de presse de l’époque (2)…. A titre de comparaison, en 1986, les Grünen n’ont pas bougé alors que l’Allemagne avait reçu quatre fois plus de dose.
Donc, pour la France, avec le cœur du réacteur ouvert à l’air libre, une explosion de vapeur projetant tout ce qu’elle pouvait dans l’atmosphère, les valeurs totales ont été très limitées.
Incendie sur la zone d’exclusion
Dans la zone d’exclusion, qui, au passage, en était déjà une au sens militaire avant l’accident, la plupart des dépôts ont été de grosses particules ne pouvant rester en suspension dans l’atmosphère, les particules plus fines allèrent en Biélorussie dans la zone de Briansk où suite à une pluie elles furent déposées sur les sols, les rendant impropres à la culture pendant vingt-cinq ans, et en Laponie où elles contaminèrent les lichens mangés par les rennes.
Dans la zone d’exclusion, les particules plus grosses se sont essentiellement déposées sur le sol (ou elles ont simplement migré vers le bas dans le sol au gré des précipitations) et sur les écorces où elles sont restées incrustées car pratiquement insolubles.
Lors de l’incendie qui a récemment fait bruler de l’ordre de 2000 hectares, les écorces ont brulé relâchant une partie des particules, à un niveau mesurable au sein de l’incendie.
Toutefois, rien n’a pu être mesuré au-delà, les taux de dilution atmosphériques et la re-déposition des particules lourdes empêchant une migration notable de la contamination au sein même de cette région de l’Ukraine.
Est-ce là tout ce qui pourrait se passer dans le cas le plus grave ?
Bien sûr que non ! Toutefois, le sarcophage actuel, en béton, financé par le G7, couvre le réacteur en entier, donc toute la matière nucléaire (froide) actuellement située dans le réacteur y est localisée quelle que soit la situation à venir.
La remise en suspension de la contamination ne peut donc venir que de l’incendie des zones contaminées. La contamination est essentiellement due au Césium 137 et au Strontium 90 qui ont grosso modo une demi-vie de 30 ans. Il n’en reste donc que la moitié de ce qu’il y avait initialement.
De plus, il n’est pas envisageable que les forêts de la zone d’exclusion, les champs de Biélorussie et les lichens de Laponie brulent en simultanée.
Le pire scenario serait une remise en suspension de l’ensemble de la contamination de la zone d’exclusion essentiellement boisée, via la combustion des écorces.
Or ces dernières reçurent moins d’un dixième de la radioactivité émise par le réacteur et redéposée en ces lieux. Sachant qu’il ne reste plus que la moitié de cette valeur (dû au fait que la radioactivité fait disparaitre la matière, dite aussi terme source), ce sont au plus 5% de l’activité initiale qui peuvent être remis en suspension par l’incendie de l’ensemble de la zone d’exclusion.
Donc même en cas de vent d’est, la valeur, après dilution dans l’atmosphère n’atteindrait même pas le dixième de ce qui fut mesuré en 1986 en France.
Aucun effet sanitaire
Or il faut rappeler qu’il est maintenant établi que le nuage de Tchernobyl, en 1986, n’a été à l’origine d’aucun effet sanitaire ; en particulier toutes les plaintes relatives à l’apparition de cancers de la thyroïde au décours de l’accident, contre l’état français au motif qu’il n’aurait pas correctement protégé ses citoyens, ont été classées sans suite et les plaignants déboutés. Ce qui est du reste cohérent avec ce qu’on sait de la cancérogenèse, les cancers de la thyroïde dans les mois qui ont suivi l’accident étaient nécessairement préexistants. Ils ont été diagnostiqués dans le cadre bien connu de « l’effet dépistage » avec la pratique de très nombreuses échographies de la thyroïde. Les moyens de dépistage étant devenus extrêmement performants, si on recherche des cancers à large échelle, chez des sujets parfaitement asymptomatiques, on en trouve nécessairement un nombre non négligeable, qui n’auraient pour la plupart jamais donné de symptômes. L’ « effet Tchernobyl » a été précisément de déclencher ce dépistage chez un grand nombre de personnes, en l’absence de toute justification médicale.
Et cohérent également avec le fait que les cancers radio-induits nécessitent des doses minimales à l’organe concerné de 100 mGy, on en était très loin à l’époque, on n’en est que plus loin (et de beaucoup) aujourd’hui… Qui plus est, pour des doses plus élevées, l’induction d’un cancer de la thyroïde n’est démontrée que chez les enfants de moins de 15 ans, et en très grande majorité, de moins de 5 ans au moment de la contamination. On sait maintenant qu’en France, même dans les endroits où les relevés ont été au plus haut (à 3 fois l’activité naturelle habituelle des césiums 134 et 137!), les doses délivrées à la thyroïde des enfants par consommation de lait contaminé, sont restées très inférieures au seuil de dangerosité – quelques mGy au plus.
Qui plus est, à l’époque de l’accident c’est surtout l’iode 131 qui posait problème, à cause de sa volatilité et de son tropisme pour la glande thyroïde. Mais avec 8 jours de période seulement, il a depuis totalement disparu et n’existe plus dans les fumées actuelles.
Une peur infondée
D’un point de vue psychologique, il est intéressant de s’interroger sur ce sursaut d’angoisse généré par un feu de forêt, au simple motif qu’il concerne des zones contaminées par de la radioactivité… il y a 34 ans ! Les monstrueux incendies qui ont récemment ravagé l’Australie ont beaucoup ému l’opinion, à juste titre, mais à notre connaissance n’ont jamais été commentés sous l’angle de la radioactivité. Aurait-on étudié celle-ci, qu’on aurait très probablement mis en évidence dans les fumées, la présence de radionucléides… naturels ! Dans la même veine, les aérosols monstrueux générés par l‘éruption de l’Eyjafjallajökull, en 2010 en Islande, qui ont cloué les avions au sol car on craignait l’encrassement des réacteurs, contenaient deux à trois fois plus de becquerels par mètre cube que le nuage de Tchernobyl. Personne ne s’en est ému, les volcans à la différence des centrales nucléaires, étant des entités « naturelles ».
Il n’y a donc aucune raison de s‘émouvoir, non pas des incendies eux-mêmes, mais du rejet tardif de radioactivité résiduelle liées à ces incendies, qui sont typiquement un non-évènement.
(1) La limite réglementaire pour une personne du public est de 1mSv par an
(2) Certains médias seraient à l’origine de l’expression « le nuage s’est arrêté à la frontière », interprétant les déclarations lénifiantes du pouvoir selon lesquelles les conséquences sur notre territoire étaient négligeables.