Pneumologue et professeur de médecine, Bertrand Dautzenberg est l’un des professionnels de santé les plus enthousiastes en faveur de la cigarette électronique, qu’il perçoit comme un outil de sevrage tabagique viable. Il a accepté de répondre aux questions d’European Scientist.
European Scientist – Monsieur le Professeur, vous avez récemment affirmé que, d’ici une vingtaine d’années, aucune cigarette ne sera commercialisée par manque de fumeurs. Pourtant, si les chiffres de la consommation européenne sont en baisse, ils demeurent à des niveaux élevés (environ 1 Européen adulte sur 4 fume). Pourriez-vous détailler les raisons d’une vision prospective si optimiste ?
Professeur Dautzenberg – Nous constatons aujourd’hui une diminution considérable de la consommation de cigarettes, en particulier chez les plus jeunes. Avant, un lycéen sur deux était fumeur. Nous approchons aujourd’hui plutôt des 15 %, soit trois fois moins. À titre d’exemple, le nombre de cigarettes vendues lors du premier plan cancer en 2001, c’était 84 milliards par an. Aujourd’hui, nous sommes autour de 32 milliards par an. Si la tendance se poursuit, si les politiques continuent à prendre les bonnes décisions en augmentant les taxes par exemple, ça continuera à baisser. Surtout, parmi les produits du tabac, la cigarette subit une image de plus en plus sale. Ce n’est plus le cow-boy qui fume. Aujourd’hui, le cow-boy qui fume a une trachéotomie et il est mort.
European Scientist – Alors que de nombreux députés européens ont souligné, dans le contexte des discussions sur le Plan Cancer de l’UE, le rôle de la vape pour sortir du tabagisme, la Commission européenne semble beaucoup plus frileuse, pour ne pas dire hostile, au vu des conclusions du récent rapport SCHEER. Ce rapport, dont la méthodologie a été critiquée, pourrait fortement influencer le futur statut de la cigarette électronique dans la directive européenne sur les produits du tabac. Quelle place devrait, selon vous, occuper la vapoteuse dans la stratégie anti-tabac de l’Union européenne ?
Professeur Dautzenberg – Sur le tabac, il y’a un accord de tous les spécialistes sur la façon de procéder. En gros, le seul ennemi, ce sont les industriels. Même du côté du politique, les idées sont aussi relativement claires sur la meilleure manière de lutter contre le tabac. Sur la vapoteuse, en revanche, les scientifiques et les médecins ont entre eux des idées très différentes. Schématiquement, tous les médecins qui soignent les patients, qui voient les fumeurs, sont à fond pour la vape et trouvent que c’est un produit merveilleux. À l’inverse, tous les gens qui sont dans leurs bureaux, à faire des études, qui reçoivent des fonds des universités américaines, sortent des papiers affirmant que la vape tue tout le monde. Ce qui est entièrement faux. Il ne faut pas oublier en revanche que le tabac tue la moitié de ses consommateurs.
Nous constatons une pullulation de publications scientifiques biaisées dès le départ, qui disent que la vape est un produit d’initiation des enfants au tabac. C’est entièrement faux ! Il y’a de plus en plus de jeunes vapoteurs et de moins en moins de fumeurs. Certains expliquent que l’on s’habitue à la gestuelle de la vape : ce n’est pas vrai. D’autres qu’avec la vapoteuse, on prend plus de nicotine : pourtant, on n’en prend jamais plus que quand on fume. Et, la plupart du temps, on diminue au fur et à mesure. Beaucoup de fumeurs sont passés à la vape et ne sont aujourd’hui ni fumeurs ni vapoteurs. Ils ont tout arrêté grâce à la vape comme substitut nicotinique.
Dans mes pratiques de tabacologie, je propose des patchs, de la varénicline… Tout comme je conseille de la vape sur mes ordonnances, en forme de conseil cependant, car c’est un produit de consommation courante, de la même manière que je suggère de la diététique ou de la pratique sportive. Mais j’intègre tout à fait la vapoteuse et c’est quelque chose qui marche très bien.
La seule étude randomisée qui a été bien faite a été publiée par Peter Hajek dans la revue New England Journal of Medicine, comparant la vapoteuse à d’autres substituts nicotiniques. Elle démontre que la vapoteuse marche mieux au bout d’un an. Pourquoi ? Tout simplement parce que la vape fait plaisir. Du coup, la moitié des gens l’utilisent encore après quatre semaines. En revanche, quand on prend des substituts nicotiniques avec des gens faiblement motivés au départ, 90 % arrêtent au bout de 4 semaines. Comme c’est un produit qui fait plaisir, il est utilisé largement et fait arrêter de fumer. Il utilise tout à fait la même nicotine qui est dans les patchs, purifiée à 99,6 % et de qualité pharmaceutique.
European Scientist – Quelle place devrait occuper la vapoteuse dans la stratégie anti-tabac de l’UE ? Considérez-vous que la communication scientifique autour de l’e-cigarette subît un déficit de clarté ?
Professeur Dautzenberg – Il y’a un déficit de clarté parce qu’il y’a un désaccord. En France, je fais partie de l’alliance contre le tabac (ACT) et nous partageons globalement une position commune. Sauf sur la vapoteuse, point sur lequel je suis en désaccord avec la moitié des gens de cette association. Quand on regarde de près, tous ceux qui soignent les patients sont d’accord avec moi. Ceux qui sont plutôt dans la théorie ne le sont pas.
Les industriels n’aident pas non plus. Les premières attaques de l’industrie du tabac, c’est quand on est passé des cigarettes brunes aux cigarettes blondes à filtre. Les industriels nous ont dit que c’était en théorie moins dangereux, d’après leurs propres recherches menées sur des machines à fumer. Mais, dans la réalité, quand on prend une cigarette qualifiée d’ultralégère, mais qu’on la fume vraiment, c’est quasiment comme une cigarette ordinaire. En gros, le corps du fumeur rendu dépendant par l’industrie du tabac veut sa dose de nicotine. Si jamais il y’en a moins à chaque bouffée, il tirera un peu plus à chaque bouffée et il finira par prendre la même dose. Après on a eu le snus (NDLR. forme de tabac en poudre se consommant par voie orale), avec l’entrée de la Suède qui l’a imposé comme une forme de réduction des risques. C’est effectivement une réduction des risques mais qui ne réduit pas la dépendance tabagique et nicotinique. Tous les produits qui délivrent de la nicotine à travers des pics induisent la dépendance à la nicotine. C’est aussi le cas du tabac chauffé, qui est la dernière arnaque de l’industrie du tabac, qui est tout aussi mauvaise qu’une cigarette.
En revanche, tous les produits qui apportent la nicotine de façon très régulière et lente, comme les patchs ou la vape sont des produits de sortie du tabac. La quantité de nicotine prise par quelqu’un qui passe de la cigarette à la vape diminue de façon colossale dans les trois mois dans 80 % des cas. En revanche, l’IQOS (NDLR. mécanisme de tabac chauffé, produit par l’industriel Philip Morris International) est quelque chose qui a été construit pour fabriquer la dépendance. L’industrie du tabac vit de la dépendance à la nicotine. Tout ce qui construit la dépendance est bon pour le marché et ils le promeuvent soigneusement. En revanche, les produits de sortie du tabac, ça ne les intéresse pas. Quand je dis que dans 20 ans, il n’y aura plus de ventes de tabac, ça signifie qu’il n’y aura plus de ventes de vape non plus dans 30 ans.
European Scientist – Plusieurs pays européens mènent des politiques antivapes assez strictes, comme le Danemark ou la Lituanie. En revanche, en Grande-Bretagne, elle est officiellement considérée comme un outil viable d’aide à la sortie du tabac. Une brochure préparée par le ministère de la Santé en France et l’Institut National du Cancer, publiée la semaine dernière, présente la cigarette électronique comme un moyen efficace de sortie du tabagisme. Comment expliquer cette différence de traitement entre les pays ?
Professeur Dautzenberg – Ce qui manque, c’est l’étude définitive qui compare la vape aux autres traitements d’arrêt du tabac et qui exhausserait la vape comme un traitement officiel. Là on n’a pas les études avec trois ans de recul. Sur ce point, on peut prendre les arguments des antivax qui affirment : « On n’a pas trois ans de recul sur les vaccins contre la Covid ». Il n’y a pourtant pas besoin d’avoir trois ans de recul pour voir qu’il y’a des pays où ça chauffe quand il n’y’a pas de vaccinés et que ça chauffe moins quand la population est bien vaccinée. Pour la vape, c’est la même chose, nous n’avons pas les études scientifiques définitives. Mais on a des études épidémiologiques qui sont déjà colossales.
On sait au niveau européen, avec les Eurobaromètres, que seulement 1 % des utilisateurs de vape n’ont jamais fumé avant de vapoter. Mais on ne sait pas encore le nombre de gens qui sont sortis du tabac selon le schéma : « Je fume, je prends la vape pendant 3 mois ou 6 mois, et je ne fume plus ». Ce chiffre-là manque et aucun pays ne l’a publié de façon claire alors que ce serait un élément important. La seule étude sur le sujet est une petite étude française réalisée dans le cadre du Mois Sans Tabac par Santé Publique France il y’a deux ans. Elle montre que la vapoteuse est le premier traitement utilisé par les Français pour arrêter de fumer sans voir le docteur. En gros, c’est un moyen de sortir du tabac par plaisir.
Avec la vape, au lieu de se traiter, on remplace une forme toxique de tabac par une autre forme de consommation courante. Ce qui a l’avantage colossal d’être bien moins toxique et qui a l’avantage supplémentaire d’être beaucoup moins addictif. Les études menées par les vapoteurs eux-mêmes montrent que quand on commence, on prend des concentrations élevées de nicotine (20 mg, 18 mg ou 15 mg de nicotine) et 6 mois après, on réduit, même si certains restent accrochés évidemment.
European Scientist – Quel rôle pourrait/devrait jouer la France et son ministre de la Santé au niveau européen ?
Professeur Dautzenberg – La France a une attitude intermédiaire. Le rapport que j’avais remis à l’ancienne ministre de la Santé Marisol Touraine en 2013 était mitigé sur la vape. J’affirmais qu’elle avait des avantages et des inconvénients et qu’il fallait fixer des règles. Ce sont toujours les règles actuelles et elles sont très bien. Avant la directive 2014, j’ai réussi à influencer le Parlement européen pour que la vapoteuse ne soit pas classée comme un médicament, car à l’époque GSK et d’autres laboratoires pharmaceutiques voulaient absolument que la vape ait le statut de médicament, ce qui aurait été une catastrophe.
Il y’a eu ensuite la directive sur les produits du tabac qui a classé la vape comme un produit apparenté au tabac, ce qui n’est pas forcément pertinent. Globalement, la traduction française des textes européens est plus favorable que la traduction anglaise, donc on peut faire plus de choses en France. Finalement, la législation européenne, si elle fait parfois râler les vapoteurs, n’est pas une catastrophe et permet d’utiliser le produit de façon tout à fait correcte.
European Scientist – En Lituanie, un projet de loi portant sur l’interdiction de la vente d’arômes fruités est en discussion. Ce projet est justifié dans le pays par des inquiétudes, imputant aux arômes fruités un rôle dans l’entrée des jeunes dans le tabac. Cette décision est-elle selon vous scientifiquement fondée ou, au contraire, n’est pas appuyée par un niveau suffisant de preuve ?
Professeur Dautzenberg – Certains pays veulent en effet supprimer les arômes. Avec une telle mesure, les gens vont trouver la vape moins intéressante et arrêter de la prendre. L’étude de Peter Hajek montre que la vape est 5 fois plus utilisée que les substituts nicotiniques, précisément car elle fait plaisir. On a presque l’impression que, vu que c’est un traitement qui fait plaisir, ce n’est pas bien, donc il ne faut plus qu’il fasse plaisir. Moi je suis un fanatique des arômes : si ça amuse les gens, s’ils ne sont pas toxiques évidemment, ça ne pose aucun problème. L’interdiction des arômes de la vape est un système qui risquent de conduire les gens à ne plus utiliser la vape et donc à continuer à fumer. Pour moi, c’est une action en faveur de la poursuite du tabagisme.
Je vois beaucoup de vapoteurs qui prennent des arômes bizarroïdes (sic.). Soyons honnêtes, les gamins qui jouent avec certains arômes, comme barbe-à-papa, ils en prennent une fois, deux fois, puis ils arrêtent. Ils essayent d’ailleurs sans nicotine et il n’y pas de recherche de dépendance. Aucun début de soupçon de démonstration montre que les arômes pourraient être néfastes dans la vape. En revanche, il y a pas mal de démonstrations qui montrent qu’une vape sympathique, facile d’accès, peu chère et agréable, c’est un produit de sortie du tabac. Attaquer la vape comme produit de sortie du tabac, objectivement, c’est renforcer l’industrie du tabac.
il faut toutefois noter que la vapeur de la e-cigarette contient des composés organiques volatils, dont des aldéhydes dangereux (formaldéhyde, acétaldéhyde) , certes beaucoup moins que les goudrons de la cigarette au tabac, mais quand même …
voir la prévention des risques des Composés Organiques Volatils (COV) , https://www.officiel-prevention.com/dossier/protections-collectives-organisation-ergonomie/risque-chimique-2/la-prevention-des-risques-professionnels-des-composes-organiques-volatils-cov