
Pendant des millénaires, les humains ont transformé les chevaux sauvages en animaux dociles, puissants et capables d’être montés. Une étude internationale, publiée dans la revue Science, révèle comment cette domestication progressive a profondément modifié le génome du cheval. Menée par une équipe franco-chinoise dirigée par Ludovic Orlando, paléogénéticien à l’université de Toulouse, elle retrace la manière dont l’élevage sélectif a façonné l’anatomie, le comportement et même les couleurs du pelage de l’animal.
Les chercheurs ont comparé les génomes de 71 chevaux anciens et modernes, analysant plus de 260 variants génétiques associés à des traits visibles comme la taille, la vitesse ou la couleur de la robe. Ces analyses, conduites en collaboration avec les universités de Genève, de Lausanne et le muséum Naturéum, ont permis d’identifier les mutations clés qui ont rendu le cheval montable et endurant. Les premières traces de cette domestication apparaissent il y a plus de 5 000 ans, dans les steppes d’Asie centrale, au nord de la mer Caspienne.
Au départ, les chevaux étaient élevés pour leur viande et leur lait. Mais les éleveurs ont vite privilégié les individus les plus calmes. Cette préférence a favorisé une mutation du gène ZFPM1, impliqué dans la gestion du stress et des comportements anxieux. « L’apprivoisement a été l’une des premières étapes de la domestication des chevaux », expliquent les auteurs, soulignant que cette mutation a permis de sélectionner des animaux plus dociles et donc plus faciles à dresser.
Une seconde mutation, cette fois dans le gène GSDMC, a joué un rôle décisif. Elle confère aux chevaux une anatomie vertébrale modifiée, un dos plus plat et une coordination motrice supérieure, rendant possible le port de cavaliers. « Ce qui est montré ici, c’est qu’en modifiant ce gène chez les souris on voit qu’elles ont une anatomie dorsale très différente, plus plate. Transposé au cheval, cela pourrait correspondre à un dos plus propice à accueillir un postérieur humain », précise Ludovic Orlando.
Les chercheurs ont également observé que cette mutation s’est répandue très rapidement : apparue de façon sporadique il y a environ 4 750 ans, elle était déjà dominante 600 ans plus tard. Pour Laurent Frantz, de l’université Ludwig-Maximilian de Munich, cette évolution marque un tournant historique : « Bien que les circonstances exactes et l’identité de ces premiers éleveurs restent un mystère, ils devaient disposer d’une vision et d’une technologie extraordinaires. Ces premiers cavaliers ont déclenché une révolution qui a changé le monde. »
Vers 900 ans avant notre ère, la sélection humaine s’oriente vers des chevaux plus grands et plus endurants, en phase avec l’émergence des premières troupes à cheval. Par la suite, d’autres mutations façonnent l’apparence de l’animal, donnant naissance aux robes blanches et brunes que nous connaissons aujourd’hui.
Tous les chevaux modernes descendent ainsi d’individus sélectionnés par l’humain pour leur force, leur docilité et leur portance. Leurs gènes portent encore la trace de cette alliance millénaire entre instinct et intelligence humaine — une coévolution qui a changé le destin des civilisations.
Illustration : Peintures rupestres basques représentant des chevaux. Par Xabier Eskisabel — http://www.argazkiak.org/photo/ekainberriko-zaldiak-2/, CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=6075574