
Dans le texte ci-dessous, l’ingénieur André Pellen passe en revue la conclusion de l’analyse du récent Black-out. Il reprend et commente une à une les différentes phases qui schématisent la chronologie de l’accident.
Mardi 17 juin 2025, la vice-présidente et ministre espagnole de la Transition écologique et du Défi démographique, Sara Aagesen, a présenté et fait publier à grand renfort de publicité les conclusions de l’analyse du récent Blackout par un comité de 75 experts (1). Le caractère à la fois byzantin de ce rapport, destiné à tenir l’opinion publique hors de portée de la critique, et techniquement superficiel, pour priver les professionnels du matériau d’une possible contre-analyse, ne doit tromper personne sur l’empressement des autorités espagnoles à dédouaner les énergies renouvelables de la responsabilité de ce qui est arrivé à la péninsule ibérique du 28 Avril dernier.
Les professionnels, tout particulièrement les français, ne doivent surtout pas prendre cette expression d’une autorité institutionnelle pour l’autorité de la compétence, ni se tenir pour dit que la panne de courant a été causée par un problème de surtension multifactoriel, et doivent se livrer comme suit à la critique du rapport, faisant avec ce qu’il consent à leur livrer et ne manquant pas d’en revendiquer bien davantage.
[…] CHRONOLOGIE DE L’INCIDENT
Le Comité a identifié une séquence d’événements permettant d’établir une chronologie de l’incident, permettant de tirer plusieurs conclusions.
PHASE O : Instabilité de tension. Au cours des jours précédant l’incident, des fluctuations de tension ont été observées, et le matin du 28, elles ont été plus intenses que la normale.
Commentaire A.P. : Et la fréquence ?! Est-elle restée rigoureusement stable durant ces jours précédents ?
La superposition des enregistrements des deux grandeurs électriques, sur la même période, permet non seulement de répondre à cette question, mais, le cas échéant, de voir laquelle des deux perturbations a systématiquement précédé l’autre. Car un important retour d’expérience d’exploitation montre que ce sont en général les désynchronisations d’appareils de production qui perturbent la tension – et non le contraire – désynchronisations se traduisant par des perturbations de la fréquence. Ledit comité d’analyse doit donc commencer par produire ces enregistrements.
PHASE 1 : Oscillations du réseau (12h00-12h30). À 12h03, une oscillation atypique de 0,6 Hz a été enregistrée, provoquant d’importantes fluctuations de tension pendant 4,42 minutes.
Commentaire A.P. : C’est donc bien une importante oscillation de la fréquence – dont on se garde bien de préciser la cause probable évoquée par la critique ci-avant – qui, de l’aveu même du rédacteur, a provoqué d’importantes fluctuations de la tension.
Cette oscillation a contraint le gestionnaire du réseau à mettre en œuvre des mesures protocolaires pour l’atténuer, telles que l’augmentation du maillage du réseau, limité par la faible demande, ou la réduction du flux d’interconnexion avec la France. Toutes ces mesures ont atténué l’oscillation, mais ont eu pour effet secondaire d’augmenter les tensions.
Commentaire A.P. : Intéressant et révélateur : la preuve est ici quasiment apportée que, à l’origine de tout, il y a la désynchronisation d’une ou plusieurs sources de production vraisemblablement photovoltaïques et/ou éoliennes, incapables de participer au réglage primaire de fréquence d’un système électrique. Cette preuve est le maillage renforcé du réseau, la disposition d’exploitation visant spécifiquement à solidifier le plus directement possible le lien entre ces dernières et les sources censées les secourir. Sauf que, ce faisant, on a augmenté l’effet capacitif (celui attendu des condensateurs) générateur de tension élevée, en accroissant les longueurs de lignes à vide. La manœuvre a manifestement échoué et amené l’interconnexion française à se protéger des valeurs prohibitives à la fois de la fréquence et de la tension.
À 12h16, la même oscillation, bien que plus faible, a de nouveau été enregistrée, puis à 12h19, une autre oscillation, de 0,2 Hz, présentant cette fois les caractéristiques typiques de ces phénomènes européens.
Commentaire A.P. : Il y a là abus de conclusion ! « Ces phénomènes » soi-disant typiques du système électrique européen ne sont mentionnés nulle part dans l’abondant historique d’exploitation du Service des Mouvements d’énergie d’EDF. Il faut donc commencer par apporter la preuve de leur existence – au moins en France – dans les années 90 à 2000 par exemple, et, le cas échéant, par démontrer que son apparition ne coïncide pas avec l’arrivée massive un peu partout des renouvelables.
Le gestionnaire du réseau a appliqué les mêmes mesures pour atténuer les effets, ce qui a également contribué à l’augmentation de la tension.
Commentaire A.P. : Einstein les avait avertis qu’on obtient indéfiniment les mêmes résultats en apportant indéfiniment la même réponse au même problème.
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PHASE 2 : Pertes de production (12h32.57 – 12h33.18). La tension a commencé à augmenter rapidement et régulièrement, et de nombreuses déconnexions progressives des centrales électriques ont été enregistrées à Grenade, Badajoz, Ségovie, Huelva, Séville, Cáceres et dans d’autres provinces.
Commentaire A.P. : C’est ici que l’essentiel de l’analyse fait gravement défaut, une absence otant une grande part de son intérêt à ce rapport ; l’autre part tenant au constat qu’éolien et photovoltaïque sont de toute façon incapables de régler la tension d’un réseau national. Ce qui manque, donc, c’est tout bonnement la raison précise, manifestement tue ou ignorée ici de ces pertes de production. Or, ce qui précède suggère fortement qu’elle n’est autre que l’intervention implacable de la protection fréquence. Cette dernière est en effet la phase ultime de l’état de désynchronisation probablement partagé dans le parc photovoltaïque en activité, un état qui, avant d’être techniquement sanctionné, a eu le temps de faire des dégâts sur la tension. Les déconnexions progressives qui s’en sont suivies n’ont, certes, rien arrangé, mais attribuer au caractère prétendument chronique de l’instabilité de la tension européenne la responsabilité initiale de l’accident c’est faire délibérément passer les effets pour la cause.
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PHASE 3 : Effondrement (33/12/18 – 33/12/30). L’augmentation progressive de la tension a provoqué une réaction en chaîne de déconnexions dues aux surtensions, impossible à contenir, chaque déconnexion contribuant à de nouvelles augmentations de tension. Une baisse de fréquence a également été enregistrée, entraînant la perte de synchronisation avec la France, le déclenchement de l’interconnexion avec le reste du continent et du réseau électrique péninsulaire.
Commentaire A.P. : Ceci est cohérent avec le contenu précédent de la critique.
RÉTABLISSEMENT RAPIDE DE L’ALIMENTATION
L’alimentation a commencé à être rétablie grâce aux apports énergétiques des interconnexions avec la France et le Maroc, ainsi qu’à la production des centrales hydroélectriques auto-amorçantes du bassin du Duero et d’autres points de la péninsule, qui ont progressivement formé des îlots de production croissants. Ainsi, à 22h00, près de 50 % de la demande du pays était alimentée, et cette couverture a continué de croître pour atteindre 99,95 % à 7h00 le 29.
Bien que le rétablissement ait été considéré comme un modèle international, l’analyse du Comité a identifié des bonnes pratiques potentielles.
Commentaire A.P. : Ainsi, laisse-t-on implicitement penser que la participation française au rétablissement du système électrique défaillant a été d’un niveau comparable à celle d’un Maroc dont la puissance totale du parc électrogène est de 12,3 GW répartis en 6,9 GW charbon, fuel et gaz, en 1,3 hydrauliques, en 2,4 éoliens, en 0,83 solaires et en 0,8 STEP (Stations de Transfert d’Énergie par Pompage). Or, sous réserve de disponibilité complète, 9 seulement de ces 12,3 GW sont aptes au réglage primaire de fréquence et ç’aurait été un miracle que le Maroc pût n’en distraire de sa consommation personnelle ne serait-ce que la moitié, pour sécourir les Ibériques.
PRINCIPALES CONCLUSIONS
L’analyse de l’incident par le Comité conclut que la panne de courant avait une origine multifactorielle, impliquant trois facteurs :
1. Le système a montré une capacité de régulation de tension insuffisante pour deux raisons. Premièrement, le 27, avant l’incident, le gestionnaire du réseau avait programmé la mise en service de dix centrales synchrones capables de réguler la tension le 28, conformément à son calendrier. Le nombre final de centrales synchrones connectées était le plus bas depuis le début de l’année.
Deuxièmement, plusieurs des centrales capables de réguler la tension – et qui compensaient spécifiquement cette dernière, programmées à cet effet en raison de contraintes techniques – n’ont pas répondu adéquatement aux instructions de réduction de la tension de l’opérateur réseau ; certaines ont même produit de la puissance réactive, contrairement à ce qui était requis, ce qui a contribué au problème.
2. Des oscillations se sont produites. Ces oscillations – dont la première, atypique, provenait d’une installation de la péninsule Ibérique – ont nécessité des modifications de la configuration du système, augmentant les difficultés de stabilisation de la tension. Après la deuxième oscillation, le gestionnaire du réseau a demandé la mise à disposition d’une centrale électrique capable de réguler la tension, mais il lui était techniquement impossible de le faire avant la panne.
3. Des centrales de production ont été déconnectées, certaines apparemment de manière inappropriée. Certaines de ces déconnexions ont eu lieu avant le dépassement des seuils de tension réglementaires (entre 380 kV et 435 kV sur le réseau de transport), tandis que d’autres ont eu lieu une fois ces limites dépassées pour protéger les installations.
Une fois la réaction en chaîne déclenchée, les protections habituelles du système électrique n’ont pas pu arrêter ou contenir ce processus. Certaines de ces protections, comme les délestages, ont même pu contribuer au phénomène de surtension en déchargeant davantage les lignes, contribuant ainsi à la hausse des tensions, car elles servaient à compenser la baisse de production plutôt qu’à gérer la tension.
En résumé, il y avait un manque de ressources de régulation de la tension, soit parce qu’elles étaient insuffisamment programmées, soit parce que celles programmées ne fournissaient pas une puissance suffisante, soit en raison d’une combinaison des deux. Cela n’était pas dû à une pénurie dans le pays ; La capacité de production était largement suffisante pour répondre à l’incident.
Commentaire A.P. : Outre qu’on a maintenant une petite idée sur le caractère « inapproprié » de la déconnexion de certaines centrales, on peut résumer à ceci la problématique dissimulée par le bavardage conclusif ci-avant : tous les systèmes électriques du siècle dernier n’avaient nullement besoin de cet accessoire « centrales synchrones » ne fournissant aucun KWh à la clientèle, dont le coût onéreux de fabrication et d’installation vient en sus de celui du parc de production proprement dit, dont l’exploitation est délicate et dont la présence est rendue indispensable par les carences intolérables de l’éolien et du photovoltaïque en matière de réglage de la tension. Ces systèmes électriques n’en avaient pas besoin car le courant distribué ne provenait que des gros alternateurs dont c’est précisément la fonction de fournir ou d’absorber quelquefois massivement de l’énergie réactive. Cette régulation de la tension autrefois on ne peut plus naturellement intégrée est aujourd’hui sous-traitée à des « centrales synchrones » en Espagne et en Allemagne.
PRINCIPALES RECOMMANDATIONS
[…] Par ailleurs, il est proposé d’accroître la demande et la flexibilité du système électrique. Tout cela sera soutenu par la planification électrique 2025-2030, qui privilégiera la consommation industrielle, l’augmentation des capacités de stockage et une révision de la régulation des services de régulation et des contraintes techniques du système.
De même, la priorité du gouvernement visant à accroître le niveau d’interconnexion avec nos pays voisins doit être maintenue […]
Commentaire A.P. : La PPE3 n’a-t-elle pas déjà tout prévu pour pallier les frasques et les fantasmes idéologiques des Espagnols et des Portugais, tant en termes de moyens d’acheminement des puissances de secours, qu’en termes de volumes de leur production… au frais des Français ? Mais au fait, qui, dans un avenir proche, sera capable de secourir qui, après exécution compète et généralisée en UE du Green Deal, quand tous les systèmes électriques y seront peu ou prou semblables à ceux de l’Espagne et de l’Allemagne ?
Conclusion A.P. : La présente critique du rapport officiel espagnol ne peut que déboucher sur le constat qu’il sert délibérément l’imposture intenable consistant à attribuer la responsabilité du blackout du 28 avril dernier à la conjonction de plusieurs facteurs prétendument indépendants, fonctionnellement et opérationnellement, dont certains resteraient à identifier. On croit rêver quand, multifactorielle ou pas, le traitement de toute surtension ne présentait guère de problèmes au siècle dernier, en l’absence d’éolien et de photovoltaïque.
Le fait que les autorités françaises puissent gober les surréalistes conclusions de ce comité d’experts présente plus que jamais un réel danger pour les intérêts vitaux de notre pays. C’est pourquoi tous les spécialistes de ce dernier doivent aujourd’hui se sentir le devoir de prolonger ce qui est entrepris ici, à savoir tout faire pour briser une fois pour toutes la vaste opération de déminage de l’opinion publique, déployée en Espagne, au Portugal et bien au-delà en UE, commencée dès le lendemain du 28 avril 2025 (2).
Image par OpenClipart-Vectors de Pixabay
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