« Pas de deux », comme une séquence de ballet synchronisée entre deux danseurs, ici donc, la production et la consommation d’électricité, partenaires tenus à une quasi-symétrie d’évolution, en l’absence de moyens de stockage-déstockage dynamiques de l’électricité, la qualité de cette harmonie étant matérialisée par la tenue de la fréquence du réseau.
« Ligne de crête », comme une allégorie de l’instabilité potentielle, ici donc, l’inventaire des déséquilibres fonciers qui menacent la vitale stabilité du système électrique.
Tout va très bien, tout va très bien,…
Si Prométhée a volé le feu aux Dieux de l’Olympe, la fée électricité leur a volé la lumière !
Depuis, pour que « fiat lux », il suffit d’actionner l’interrupteur et « facta est lux » ; plus rien de magique n’est ressenti dans ce geste, mais tout au contraire, un fort étonnement et une forte contrariété, si d’aventure rien ne se passait.
En première analyse et fort de ses performances, le système électrique européen interconnecté, bien rodé et fort d’expériences multiples apparaît solide, d’autant que l’appareil de production s’enrichit continument de nouvelles sources « renouvelables », que les différents réseaux nationaux renforcent leurs maillages, et qu’en France, le nucléaire existant relève la tête.
Dans l’hexagone, en particulier, nulle mise en garde contre une quelconque vulnérabilité n’apparaît crédible, car depuis le 19 décembre 1978 et la grande panne électrique (1) ayant affecté durablement une bonne partie du pays, rien de fâcheux ne s’est produit.
Crier « au loup », sans que jamais canis lupus n’ait montré son nez, décrédibilise à coup sûr le lanceur d’alerte .
A contrario, Icare interviewé en plein vol, ascendant ou descendant d’ailleurs, aurait sans doute indiqué que jusque-là, tout allait bien.
Certes, récemment, durant l’hiver 2022-23, la menace de coupures ciblées a été réelle, largement due à une faible production du parc de réacteurs EDF, ceux-ci ayant été affectés par la fissuration par corrosion sous contrainte de certaines tuyauteries importantes pour la sûreté. Depuis, il a été porté remède avec méthode et célérité à cette anomalie, non sans conséquences économiques très lourdes (coûts des réparations, pertes de production).
Cependant, durant cette période tendue, aucune coupure volontaire n’a été nécessaire pour un maintien de l’équilibre du système, bien aidé par un hiver doux et surtout par les disponibilités existant chez nos voisins, qui ont permis les importations nécessaires, souvent à prix d’or, hélas.
Une leçon, au passage, les systèmes électriques de nos voisins possèdent des marges en puissance pilotable, ce qui, à date, n’est plus le cas en France à la suite de la campagne forcenée de fermeture des dernières centrales thermiques (10 GW, auxquels il faut ajouter les 1,8 GW de Fessenheim).
A ce constat, on peut objecter la grande panne italienne du 03 octobre 2003, mais celle-ci a été provoquée, non par un sous dimensionnement de l’appareil productif national, mais par une situation d’appui trop exclusif sur des importations avantageuses, et par la coupure brutale de plusieurs feeders venant de Suisse et de France, consécutive à des orages.
Pourtant, il faut, il faut que l’on vous dise….
Cependant, pour qui cherche à s’intéresser à l’envers du décor, cette réponse instantanée au besoin, qui apparaît si naturelle et si fiable quand on actionne l’interrupteur, relève désormais au quotidien, et même à chaque instant, non de la seule performance du système, mais plutôt de la prouesse !
Mais si la performance est attendue d’un service de qualité, la prouesse fait plus souvent bon ménage avec la prise de risque qu’avec la fiabilité, pas vraiment ce qui est attendu de la gouvernance de ce maillon, vital s’il en est, pour le pays.
Or en cas de déséquilibre non résolu à temps, la sanction peut être violente, de délestages partiels, sans crier gare, jusqu’à l’effondrement complet du réseau (comme en 1978) avec possible extension aux pays voisins.
Sans vouloir minimiser les performances des électriciens d’antan, les contextes dans lequel ils planifiaient et réussissaient fort bien l’adéquation permanente « demande-offre » était lisibles et les évolutions des besoins, bien augurées, dessinaient à moyen-long terme les investissements de production nécessaires (en volume et en nature), de même que le développement des réseaux de transport et de distribution.
En ces temps (pas si anciens), la plupart des pays européens étaient électriquement autosuffisants, les interconnexions servant essentiellement au secours mutuel en cas d’incidents, même si l’abondance et le faible coût du nucléaire en France avaient transformé le pays en exportateur structurel, dévoyant quelque peu la logique précédente.
Les moyens de production, tous pilotables (hydraulique, thermique classique, turbine à combustion, nucléaire), permettaient de dédier un rôle à chacun (base, modulation, pointe, hyper pointe), appelés par ordre de coûts croissants.
Un édifice technique se construisait ainsi rationnellement, fabriquant, par là-même, la performance économique, le kWh étant facturé sur la base d’un coût marginal moyenné, optimum économique établi théoriquement, et appliqué pratiquement par Marcel Boiteux à EDF, avec le succès qu’on sait.
On déplore un tout petit rien…
Depuis, l’adjonction de plus en plus massive de sources éoliennes et photovoltaïques à l’appareil productif a radicalement changé la donne, puisqu’en sus du suivi continu des consommations, le système doit s’accommoder de l’appoint ou du retrait, parfois très rapides, de sources variables et aléatoires, sachant qu’à tout instant, demande et offre électriques doivent s’accorder.
Cette équation, en perpétuelle fluctuation, pose de redoutables problèmes techniques et économiques, et ce d’autant que les productions éoliennes et solaires sont prioritaires pour l’accès au réseau (2). Les moyens pilotables sont ainsi appelés à fonctionner en miroir des variabilités et des intermittences, techniquement et économiquement à leur détriment. Incidemment, un curieux signal pour les investissements à réaliser dans ces moyens essentiels, lesquels assurent toujours le gros de la production électrique du pays.
Les partisans de l’accroissement de la part des éoliennes et des panneaux photovoltaïques dans les mix électriques arguent qu’un volume important de ces sources, réparties sur de larges territoires, permet un foisonnement qui garantit un talon minimum de production significatif, car : « il y a toujours du vent quelque part». Hélas, cet aphorisme ne se vérifie pas, les vents en Europe de l’Ouest ayant une fâcheuse habitude mimétique, comme les photons solaires et les saisons, pour ne pas mentionner l’alternance jour-nuit ! S’ensuivent des périodes, parfois très longues, de carences, ou d’abondances, voire de surabondances.
Il faut donc gérer dynamiquement les bouffées électriques dues au soleil et au vent, comme leurs effacements d’ailleurs, ce qui oblige les sources pilotables (hydraulique, Cycles combinés gaz, nucléaire) à réaliser des variations de puissance dont la rapidité, l’amplitude et la fréquence, vont croissantes avec la progression des flottes variables.
Certes les progrès de la météo permettent de mieux prévoir l’ensoleillement et le régime des vents, mais par exemple, par une belle matinée d’été, la cinétique rapide de montée de la production solaire n’en est pas modifiée pour autant, pas davantage que la difficulté à la gérer.
Les gradients qu’il faut accommoder, à la hausse comme à baisse, sont parfois vertigineux et les moyens pilotables, déjà sollicités aux limites de leurs plages de fonctionnement, les plus agiles étant l’hydraulique et les Cycles Combinés gaz, mais le nucléaire est de plus en plus concerné.
De longue date en France, les réacteurs ont été rendus manœuvrants grâce à un pilotage dit « en mode gris » une fonctionnalité qui n’existe nulle part ailleurs, les rendant plus facilement aptes au suivi de charge (les fluctuations de la consommation). Mais le nouveau régime de fonctionnement, décrit supra, est beaucoup plus exigeant, et si les réacteurs sont davantage mis à contribution, il est facile de comprendre qu’on s’éloigne de plus en plus de l’optimum de fonctionnement pour ces machines.
C’est une impasse technique (fatigue des matériels), économique (pertes de production, désorganisation des plannings, sous valorisation de l’investissement) et écologique (sans gain aucun en matière de rejets de GES), mais faut-il rappeler ces évidences ?
Un incident, une bêtise….
Compte tenu de la taille gigantesque de ses parc éoliens et solaires, l’Allemagne est confrontée, de façon superlative, aux mêmes problématiques et s’appuie, pour faire face aux intermittences, sur un parc thermique (charbon lignite et Cycles Combinés gaz) dimensionné pour être autoportant.
Pourtant, régulièrement, le système ne peut s’accommoder des foucades éoliennes et solaires qu’en inondant ses voisins de ses surplus, à vil prix, voire parfois en les payant, avec à la clé une congestion et une déstabilisation des réseaux adjacents. Il arrive même que les productions éoliennes et solaires du nord de l’Allemagne (zone de génération) transitent vers le sud du pays (zone de consommation) en passant « subrepticement » par la France, par la Suisse ou par la Pologne. En effet, les lignes THT allemandes, dont le renforcement est entravé par de fortes oppositions locales, ne sont pas suffisantes pour acheminer ces flux gigantesques.
Cette situation illustre bien les désordres qu’engendrent un développement à marche forcée des sources renouvelables, sans études d’impact approfondies, en particulier concernant la stabilité d’ensemble.
Or, la stabilité d’un réseau dépend directement de l’inertie que le système oppose aux fluctuations, cette inertie se réifiant dans les masses tournantes des turboalternateurs des centrales thermiques, nucléaires et hydrauliques.
A l’opposé , éoliennes et panneaux PV, aux productions instantanées éminemment variables, sont connectées au réseau par le truchement d’interfaces électroniques (redresseurs et onduleurs) dépourvues d’inertie.
Les éléments précédents indiquent clairement qu’une trop forte proportion de sources variables sans apport inertiel, peut donc mettre en péril la stabilité du réseau. Le chiffre de 40% en production face à la consommation instantanée (3), semble faire consensus, mais instantanément, la proportion de sources variables en lice peut être beaucoup plus importante, jusqu’à 70%, ce qui ne va pas sans questions.
Pour illustrer la fragilité du système, il n’est pas nécessaire de se situer dans des conditions extrêmes de consommation et de mobilisation de toutes les sources disponibles, il suffit de se figurer, par exemple, un WE d’été ensoleillé. Dans cette situation, la faible consommation électrique peut quasiment être satisfaire par le solaire et l’éolien, sans le recours à des sources pilotables, sans inertie donc, une situation préoccupante avec fort risque d’instabilité. La sécurité du réseau commandera qu’on engage alors des sources apportant de l’inertie, mais elles fonctionneront a minima, loin de leurs optima techniques et économiques.
Quant au dimensionnement des flottes pilotables, il doit être tel que celles-ci puissent assurer seules les besoins et en toutes circonstances (par exemple : une fin de jour de semaine en hiver, en absence de vent, situation qui n’a rien d’exceptionnel).
Mais au fur et à mesure que s’accroît la part des sources variables dans le mix électrique, la production moyenne des flottes pilotables diminue, obérant davantage la rentabilité de ces moyens capitalistiques (nucléaire, Cycles Combinés gaz), or leur dimensionnement global ne peut être réduit, compte tenu de la défaillance postulée de l’ensemble des sources intermittentes.
Mais à part ça, tout va très bien…
Le développement des parcs éoliens et solaires est dynamique dans toute l’Europe, politiquement tiré par le respect des quotas contraignants du « Green Deal », paramètres globaux qui font fi des limites pratiques inhérentes à leur atteinte, preuve qu’aucune étude d’impact sérieuse n’a été réalisée.
Se contenter d’un « l’intendance suivra » est bien inconséquent, et l’exemple des risques induits sur la stabilité des réseaux électriques, abordé supra, est, parmi d’autres, une illustration des conséquences délétères de ce dogmatisme, en l’occurrence, peu éclairé !
Il est clair, par contre, que les performances (en dynamique et en volume) demandées aux moyens pilotables qui assurent l’équilibre du réseau tiennent de plus en plus de la gageure et, incidemment, ne sont nullement rémunérées en conséquence. Les moyens pilotables continuent, en effet, d’assurer gratuitement les « services réseau », c’est-à-dire le maintien de la fréquence et de la tension, au prix d’exercices de plus en plus périlleux. Mais cette performance contrainte, pour remarquable qu’elle soit, est foncièrement malsaine et on ne peut que s’étonner, mais surtout que s’inquiéter, du silence assourdissant des acteurs concernés.
Se limitant volontairement à la question de la stabilité des réseaux, dans un contexte d’adjonction sauvage de moyens non pilotables, le développement précédent ne fait que quelques allusions aux aspects du marché de l’électricité qui s’épuise à chercher à valoriser en temps réel une production éminemment fluctuante et déconnectée des besoins, avec en particulier, des situations de prix négatifs qui se multiplient à l’envi, symptômes émergeants d’un malaise profond et de dysfonctionnements structurels, qu’on ne peut plus ignorer et qui posent clairement la question de la possibilité même d’un marché de l’électricité.
Dans la nature, la ligne de crête surplombe en effet des précipices, et l’ analogie électrique, faite ici, n’est nullement fortuite.
Image par Vladislav83 de Pixabay
1 : pour mémoire, cette panne s’était produite à une époque où les marges du système étaient conjoncturellement faibles (croissance rapide des besoins et flotte nucléaire en cours de construction..), dans une configuration géographique singulière des besoins (froid dominant sur l’Ouest du pays) et consécutivement à la surcharge d’une ligne THT Est-Ouest (en France, les sources de production étant majoritairement situées à l’Est du pays).
2 : Si on décide politiquement de s’appuyer sur des sources électriques aléatoires, il apparaît logique de favoriser leur accès au réseau lorsqu’elles produisent, mais la règle du « merit order » basé sur le coût marginal de production (nul dans le cas du soleil et du vent) les qualifie d’emblée, que le besoin existe ou non, et les productions sont rémunérées hors marché ou compensées.
Compte tenu des volumes générés et des importantes dynamiques de production, les contrats récents prévoient l’interruption des fournitures en cas d’effondrement des cours, avec une compensation financière basée sur un manque à produire forfaitaire, particulièrement avantageux.
Pour les contrats anciens, les productions surabondantes, qui contribuent à l’effondrement des cours, ne sont pas interrompues et restent rémunérées dans les termes (profitables) des contrats !
3 : Etude AIE-RTE (01 2021) : Conditions and Requirements for the Technical Feasibility of aPower System with a High Share of Renewables in France Towards 2050
EDF R&D 06 2015 : Technical and economic analysis of the european electricity system with 60% RES
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