Cet article est la seconde moitié d’une étude des moyens et des enjeux de la mobilité de demain. Vous pouvez retrouver la première partie ici.
A travers les réseaux de l’hyper complexité
La question à résoudre provient d’une contradiction. Il faut concilier les contraintes d’un transport massif, rapide et peu onéreux, celui des lignes express de transports en commun pour les distances péri-urbaines sur de grands axes, avec les besoins très individuels du premier et du dernier kilomètre, nécessitant des parcours fins, dans de petites voies, aussi ramifiées qu’un réseau capillaire sanguin.
Certains ont cru trouver une réponse dans un concept très en vogue : la multimodalité. L’usage sur un même parcours de plusieurs moyens de transport : métro, train, voiture, vélo, parcours à pied, … avec autant de changements que nécessaire pour passer d’un mode à l’autre. La multimodalité relaye très bien l’une des thématiques du transport moderne : le moyen de transport importe de moins en moins, ce sont des services de mobilité que l’on achète. Etre propriétaire d’un véhicule n’est plus le paradigme central, l’on achète une prestation de mobilité, pas un véhicule. Le réseau multimodal de tous les moyens de transport répond au réseau complexe de nos vies urbaines, permet de traverser les parcours obligés aux multiples étapes de notre quotidien.
L’ode à la multimodalité a parfois pris des proportions semblables à celle chantant le village planétaire. Mais elle bute également sur des réalités très concrètes. Tout d’abord, un changement de moyen de transport, une connexion entre deux lignes, est loin d’être une opération fluide et agréable. Les jonctions entre trains, métros et bus nécessitent des trajets à pied fastidieux, dans des labyrinthes de béton, parmi une foule dense de ceux empruntant la même connexion. Chacun souhaite éviter de multiplier les changements sur son trajet. Au-delà d’un seul changement, le temps passé à la connexion devient prohibitif s’il est multiplié.
Le discours de la multimodalité oublie également que la fonction du transport ne se limite pas à se déplacer soi-même. L’on peut avoir à transporter des marchandises lourdes et encombrantes, ou bien des proches. Les voitures d’aujourd’hui hésitent entre le véhicule personnel et le véhicule utilitaire. Les sièges et cloisons rabattables et configurables à volonté ont fait fureur : il faut pouvoir transformer son véhicule personnel de la semaine en petite camionnette de transport de meubles le week-end.
En définitive, la multimodalité est une solution encore beaucoup trop rigide pour prétendre concilier la multiplicité des besoins individuels avec la rapidité des transports de masse. Ses articulations sont ankylosées. Et le polymorphisme des vecteurs de transport est insuffisant pour s’adapter à tous les usages : l’urgence des enfants à l’école ou la crèche, la course de dernière minute, le déménagement ou les courses massives des grandes zones commerciales de banlieue.
L’objet que nous recherchons est donc doué d’un polymorphisme très accompli, fluide et très rapidement adaptatif.
Imaginons à présent des voitures comme autant de « capsules » individuelles, pouvant s’engager sur des voies dédiées très rapides sur les grands axes – comme les wagons d’un train – et redevenant de petites voitures individuelles une fois sorties de ces voies accélérées.
Ceci existe déjà nous direz-vous, à travers les « HOL », high occupancy lanes en cours aux Etats-unis, qui réservent une voie à ceux qui pratiquent le vertueux covoiturage, donnant le droit d’emprunter les voies privilégies dévolues normalement aux taxis ou cars.
L’idée est similaire, mais poussant son principe au maximum de ses limites. Les HOL sont encore une convention de conduite. Elles demeurent une mode de conduite classique, faisant gagner un peu de temps, mais sans comparaison avec la rapidité et le débit de réseaux express régionaux.
Imaginons que sur les grands axes responsables des principaux flux péri-urbains, une voie soit physiquement délimitée et que la conduite soit encadrée et assistée d’une façon telle qu’il devient possible de la rendre autonome. Sur un seul corridor protégé des interactions et croisements, la conduite autonome devient un problème infiniment plus simple que celui d’une voiture sachant se débrouiller partout. Il s’agit simplement d’un contrôle longitudinal simple, accélérant lorsque la voie et libre et freinant lorsqu’un obstacle est en visibilité. Une variante de l’adaptative cruise control déjà présent sur de nombreux véhicules de série.
Sur le corridor rapide, il devient possible de faire circuler des voitures à de très grandes vitesses, 120 km/h et au-delà, les véhicules formant une file dense et rapide.
Lorsque la voiture emprunte l’un de ces corridors, elle s’assimile davantage au wagon d’un train qu’à une automobile. L’autonomie en toute sécurité est cette fois garantie, permettant de regagner pleinement le temps donné en délégation de conduite. Par ailleurs, l’infrastructure protégeant la voie et permettant le maintien des véhicules dans un guidage longitudinal strict permet d’installer des relais de connectivité mobile locaux, bien meilleurs que ceux des réseaux d’opérateurs Telecom.
La connexion avec un corridor s’effectue par un « hub », gare triant et ordonnant les véhicules pour les faire accéder à la voie. La voiture devient similaire à la capsule d’un télécabine le temps de son passage par une voie dédiée. Avant d’arriver au hub ou une fois sortie de celui-ci, la voiture redevient véhicule personnel, adapté à chaque besoin individuel.
Des capsules qui se dispersent et se rassemblent à volonté
Etendons maintenant le concept. Les capsules sont de petites voitures standardisées, de petites monospaces à quatre personnes de forme cubique. Il est possible d’arrimer à la suite deux ou trois de ces capsules, pour constituer un véhicule plus vaste. A deux capsules, cela devient une grande berline. A trois capsules, un break ou une camionnette. Les cloisons sont amovibles et les sièges rabattables : les capsules arrimées les unes aux autres ne sont pas cloisonnées, elles peuvent former un habitacle unique et spacieux.
De nombreuses combinaisons nouvelles deviennent possibles. Une grande famille (un couple et quatre enfants) habitant dans un petit village de province décide d’utiliser une triple capsule pour en faire un grand véhicule long. L’aspect modulaire de l’association des capsules permet de combiner toutes les possibilités de la possession ou de la location : selon ses moyens, la famille peut être propriétaire des trois capsules, seulement d’une ou deux et louer les autres ou louer la totalité en passant une commande en ligne.
Toute la famille tient dans la première capsule et la première moitié de la seconde. Les sièges ont été rabattus dans la deuxième moitié de la seconde et dans la troisième, libérant un grand espace de transport où des encombrants destinés à la déchetterie ont été placés, ainsi que des petits cadeaux pour les grands parents habitant une résidence médicalisée dans la grande ville la plus proche, située à 50 km. L’un des parents conduit le véhicule manuellement pendant 5 km, jusqu’au premier Hub disponible, accédant à la voie dédiée de l’autoroute qui conduit à la ville. La déchetterie est située 15 km plus loin, le long de l’autoroute. Par le corridor, ces 15km sont parcourus à grande vitesse en quelques minutes. La voiture ressort par le Hub situé plus loin, et conduite manuellement à la déchetterie où la cargaison d’encombrants est déchargée.
Après ce crochet, la voiture est reconduite au Hub et franchit les 35 km restants à grande vitesse. Avant de rentrer dans la ville, les parents conduisent la voiture manuellement jusqu’à un grand centre commercial situé à la périphérie immédiate de la ville. La famille fait ses courses, quelle charge intégralement dans la troisième capsule. Une fois les courses effectuées, le grand véhicule à trois capsules se scinde en trois modules indépendants. La première capsule devient une petite monospace que le père conduit avec deux des enfants, pour rendre visite aux grands parents avec les cadeaux. La deuxième capsule est conduite par la mère comme voiture indépendante, afin d’amener les deux autres enfants à leurs activités sportives dans la ville. La troisième capsule qui contient les courses s’auto-conduit dans le centre commercial vers une aire de stockage, sans que les parents aient à s’en préoccuper.
Les deux petits véhicules sont conduits dans la ville, où leur petite taille et leur agilité leur permet de se déplacer et de se garer facilement. Une fois les activités familiales accomplies, tout le monde se retrouve à nouveau au centre commercial. Le valet de parking automatique va chercher la troisième capsule et les trois modules sont à nouveau rendus solidaires pour constituer un grand break. La famille emprunte le corridor rapide pour revenir chez elle et décharger ses courses.
Sur ce bref cas, tous les avantages du concept apparaissent. Le polymorphisme des capsules en fait tantôt le wagon d’un train, tantôt un véhicule individuel. La capacité à les assembler et les désassembler les rend adaptables finement à tous les usages : transport massif comme visite de détail. Enfin, les défauts de la multimodalité sont comblés : chacun reste dans son siège. Il n’y a pas de changement fastidieux à gérer. Ajoutons que la standardisation des capsules les rend flexibles aux solutions d’achat et de location.
La modularité peut être poussée encore un peu plus loin. Les roues peuvent être démontées de la capsule pour être remplacées par d’autres objets de liaison au sol si l’on emprunte des hubs spéciaux. Par exemple, l’on pourrait monter des griffes d’attache à un rail de sustentation magnétique :
Les capsules de mobilité pourraient ainsi se mouvoir à des vitesses de 400 km/h, sur des voies très spécifiques reliant de très grandes métropoles. Une fois le parcours accompli, ses roues seraient remontées dans le Hub de sortie.
Les coûts d’infrastructure sont adaptés à chaque usage, épousant le polymorphisme des capsules et l’importance de l’axe de transport. Sur de petits parcours capillaires en ville, l’infrastructure est inchangée car la capsule est une voiture standard. Sur les corridors à grande vitesse, l’infrastructure est plus chère mais sans la rigidité et la lourdeur du rail : sur des voies existantes, l’on peut penser à des barrières amovibles qui transforment l’une des voies en corridor aux heures de pointe et qui la restituent en voie normale aux autres heures. L’accroissement du flux et le désengorgement des voies compensent le coût de mise en place de ces barrières amovibles. Enfin, des rails de Maglev sont évidemment une infrastructure lourde et coûteuse, que l’on ne mettra en place qu’entre deux grandes métropoles pour des enjeux commerciaux proches de celui du TGV.
La multimodalité devient complète, couvrant des trajets intra-urbains, péri-urbains et inter-urbains, sans les défauts des combinaisons de moyens de transport. Le polymorphisme de l’objet capsule le rend adaptable à des usages futurs encore non prévus. Ses modes d’arrimage standard et de reconfiguration dans les hubs peuvent le rendre compatible par la suite à des voies navigables (le fleuve est l’une des façons de contourner l’engorgement des grandes métropole) ou à des chemins suspendus de type télécabine.
De nouvelles combinaisons d’usage personnels et professionnels deviendraient possibles, utilisant les moyens commerciaux de toutes les grandes métropoles qui se verraient considérablement rapprochées, des zones d’affaires et industrielles de banlieues disposant d’espace et de besoins très spécifiques propres à chaque personne et à ses proches.
Les capsules de mobilité nous rappellent que les rêves globaux oublient trop souvent les réalités locales. Nos décisionnaires, trop formés à pratiquer l’art des généralités, se laissent surprendre lorsque leurs rêves holistiques butent contre les contraintes très concrètes du quotidien des personnes. Les insurrections modernes liées à la mobilité que nous vivons aujourd’hui paraissent archaïques en regard des visions technologiques de la mobilité du futur. Elles nous rappellent au contraire que la véritable compréhension du monde moderne ne réside pas dans le ressassement des thèmes à la mode par une technologie gadget, mais dans les lois qui régissent le parcours d’un réseau extrêmement complexe, similaire à celui du vivant. L’interpénétration des phénomène locaux et de la cohérence globale sont le propre du vivant. Comme pour les transports urbains, tout effort physiologique a un coût énergétique, similaire au coût économique du parcours de chaque ligne.
Les capsules de mobilité, parce qu’elles partent des réalités locales du quotidien des personnes, feront peut-être du village planétaire une réalité qui ne soit plus une rêverie, restituant à chacun des services et des moyens de plus en plus difficiles d’accès, non par la distance, mais par la densité extrême des contraintes que l’homme moderne doit affronter.
Cet article est intéressant et analyse bien ce concept relativement jeune.
Le transport partagé a connu une croissance sans précédent au cours des dernières années. Avec un intérêt renouvelé pour l’urbanisme et des préoccupations environnementales, énergétiques et économiques croissantes , il devient urgent de développer des solutions durables.