
La technophobie a toujours existé, mais bien loin de disparaitre avec les progrès de la technologie, le sentiment semble s’être renforcé, comme en prouve les réactions fortes contre les OGM ou encore la 5G. Comment la rationalité pourra-t-elle échapper à cette vague de croyances qui emporte tout sur son passage ?
Petite histoire de la technophobie
La technophobie peut s’entendre comme le rejet de la technologie, par peur ou conviction que la balance bénéfice/risque n’est pas favorable à l’être humain. Cette phobie des technologies n’est néanmoins pas un phénomène nouveau : au moment du développement du rail, on pensait que les passagers d’un wagon propulsé à une vitesse de 80 km/h ne pouvaient survivre à leur périple ; François Arago craignait que le transport en train des soldats ne les efféminât et que le passage de convois de voyageurs sous un tunnel ne provoquât des fluxions de poitrine… Même son de cloche au début de l’électrification : qui ne sourirait pas de nos jours de ces pancartes apposées sous les interrupteurs engageant les utilisateurs à allumer les ampoules électriques sans craindre pour leur santé ?
La modernité n’est pas une garantie
Et pourtant, la technophobie, si elle porte sur d’autres sujets désormais, existe toujours. Et elle s’insère même dans une dimension nouvelle, celle de l’internet. Une fraction de la population, sortie des affres de la faim et du froid grâce aux progrès scientifiques et technologiques, peut désormais vaquer à satisfaire des besoins supérieurs, et s’évertue à collecter sur le net des informations scientifiques, plus ou moins bien comprises, et sans souvent se prémunir suffisamment du biais de confirmation. La tentation dès lors est grande pour certains, chargés d’informations qui confirment leurs présupposés, de se croire expert. Mais un expert scientifique n’est pas une encyclopédie de données : avant tout, avoir une démarche scientifique, c’est se débarrasser des préjugés de l’expérience commune (par exemple, le soleil tourne autour de la terre) et rechercher des explications moins évidentes, souvent plus complexes mais plus proches de la réalité (la terre tourne autour du soleil). Ainsi, certains non-scientifiques se gonflent d’informations mais, sans outils pour en assurer une compréhension critique, érigent avec ces informations des croyances et des dogmes, notamment sur les dangers des nouvelles technologies pour la santé humaine, le plus souvent en contradiction avec l’état réel des connaissances scientifiques. Croyances qui se concrétisent par des manifestations ou discours anti-technologiques, contre la 5G, les OGM, ou encore les LEDs, autant de technologies nouvelles accusées d’office d’affecter la santé des êtres humains.
L’arbitrage de l’espérance de vie
Pourtant, il existe un arbitre. Cet arbitre, c’est l’espérance de vie. Un homme a gagné, entre 1900 et 2000, 32 ans d’espérance de vie. Avant 1960, cette augmentation de l’espérance de vie était mue par la diminution de la mortalité infantile, elle-même liée à la lutte contre les maladies infectieuses. Des produits chimiques, aujourd’hui très décriés, comme par exemple l’eau de javel, ont joué un rôle majeur dans cette lutte contre les bactéries. Après 1960, l’augmentation de l’espérance de vie fut liée à la réduction de la mortalité des personnes âgées, elle-même essentiellement conditionnée par la baisse de mortalité des maladies cardiovasculaires, mais également par la baisse de la mortalité de la plupart des cancers. A noter également la chute brutale de la mortalité liée à la grippe saisonnière après la mise au point du vaccin au début des années 70. Le développement des technologies, en améliorant le diagnostic et le traitement médical, en améliorant les produits de l’agriculture, en aseptisant et assainissant une partie de notre environnement, permet à beaucoup d’entre nous aujourd’hui d’atteindre un âge avancé en bonne santé. En dépit de ce constat, et du bénéfice profond de la technologie pour la santé humaine, d’aucuns dénoncent de nombreuses technologies comme mortifères. Parmi les technologies particulièrement décriées, deux sont pourtant particulièrement enclines à soutenir le développement de l’Humanité : les biotechnologies OGM et la cinquième génération de téléphonie mobile, la 5G.
OGM et 5G… proies faciles des technophobes
De trop nombreuses personnes croient ainsi que les OGM sont cancérigènes (Georges Salines, 2019), sans aucune preuve scientifique et même en contradiction avec un certain nombre d’éléments : par exemple, le Maïs Monsanto 810 (MON810) est un OGM dont la réputation a été très largement écorchée et dont la culture est interdite en France. Ce Maïs synthétise une protéine insecticide qui s’attaque notamment à la pyrale. Sa culture permet de diminuer de 90% la présence de parasites tout en limitant l’épandage massif de pesticides. Mieux : la protéine naturellement synthétisée par MON810 éliminerait également des champignons pathogènes, potentiellement cancérogènes pour l’Homme et qui d’ailleurs peuvent proliférer sur les aliments issus de l’agriculture biologique, laquelle apparait comme la solution d’avenir incontournable pour les activistes occidentaux bien nourris mais qui pourrait s’avérer, si elle y était exportée, un drame pour certains pays, notamment en Afrique [ James Njologe, 2020]. Autre exemple d’un OGM sacrifié sur l’autel des croyances : le riz doré, un riz OGM développé pour pallier la carence en Vitamine A. En effet, entre 250 000 et 500 000 enfants pauvres souffrent de cécité par manque de vitamine A [Eléonore Solé, 2019], dont un dérivé (le rétinal) est un élément essentiel du cycle visuel. Ces carences en vitamine A sont consécutives à un régime alimentaire très pauvre en fruit et légume et souvent constitué de riz. Le riz doré, enrichi en Bêta-carotène (transformé par le corps en Vitamine A), pourrait constituer une avancée majeure pour traiter ces affections. Et pourtant il rencontre de nombreuses oppositions et son utilisation est largement entravée par les principes de précaution du protocole de Carthagène, ratifié par 172 pays, qui encadre le développement des biotechnologies et stipule, dans son annexe III, qu’«il ne faut pas nécessairement déduire de l’absence de connaissances ou de consensus scientifiques la gravité d’un risque, l’absence de risque, ou l’existence d’un risque acceptable ». Ce qui effectivement laisse la possibilité de clamer sans discontinuer la nécessité de données supplémentaires et de repousser ad vitam aeternam le développement du riz doré et la venue en aide aux deux cent cinquante millions d’enfants en bas âge qui souffrent d’une carence chronique en vitamine A, puisque la science ne peut pas prouver, par nature et de manière absolue, l’absence d’effets…
La 5G est une autre technologie bien mal reçue et qui pourtant pourrait permettre, demain, de rendre nos routes plus sûres via les transports autonomes et connectés. De diminuer la consommation de carburant en généralisant les visioconférences. Ou encore de permettre une réelle télémédecine, qui pourrait pallier la désertification médicale des campagnes mais dont on a aussi vu qu’elle serait une solution pertinente en temps de pandémie : mais la télémédecine, pour être envisageable, nécessite la transmission d’un nombre très importants de données médicales, en temps réel, sans délai de latence, et sans risque de saturation des réseaux. Autant d’applications qui probablement ne verront pas le jour sans la technologie 5G. Cette dernière, avant même d’avoir démontré son plein potentiel, va-t-elle cependant subir le même sort que les biotechnologies OGM et être entravée par un principe d’immobilisme ? En l’état actuel des connaissances, absolument rien n’indique pourtant que cette cinquième génération de téléphonie mobile puisse constituer un danger quelconque pour la santé humaine. Les valeurs réelles d’expositions seront très largement en-deçà des valeurs limites d’effets thermiques : une valeur de débit d’absorption spécifique (DAS) de 6W/kg (Watt par kilogramme de tissu) est nécessaire pour élever la température du corps d’un humain adulte de 1°C, et encore plus de puissance chez l’enfant dont le corps dissipe mieux la chaleur. Or, la limite imposée aux opérateurs de téléphonie vis-à-vis de la population pour l’exposition corps entier est de 0,08 W/kg, soit 75 fois moins. Il donc est inconcevable que les ondes de télécommunication, y compris les ondes de la 5G, et y compris si celles-ci se « superposent » à d’autres ondes (3G,4G, radiodiffusion, télédiffusion…), puissent entrainer une élévation de température corporelle de 1°C. Et quand bien même cela arriverait, il n’y aurait pas nécessairement mise en danger. Songez qu’un corps à l’effort (lors d’un jogging par exemple) produit une puissance de 12 W/kg, soit 150 fois plus que la puissance maximale autorisée pour la téléphonie mobile…Faudrait-il interdire le sport ? Quant aux risques à long terme, aucune étude n’atteste une augmentation de la prévalence des cancers chez les utilisateurs de téléphones portables, ni ne démontre de relation causale entre l’exposition aux ondes et une quelconque maladie des ondes. Enfin, concernant l’électrosensibilité, que certains qualifient de maladie du siècle, il fait de moins en moins de doute qu’il s’agit d’un trouble psychiatrique que l’on semble pouvoir décrire par les mécanismes classiques de la phobie [Point, 2020] et dont une des causes serait l’exposition socio-cognitive aux informations inquiétantes entourant les ondes [Poumadère & Perrin, 2010]. Et pourtant, alors que l’état actuel des connaissances ne laisse pas entrevoir d’effets sanitaires particuliers à redouter, la 5G continue d’inquiéter. Certains, tombant dans des théories marécageuses, incendient maintenant des antennes 5G qu’ils accusent de favoriser la propagation du Coronavirus. A coup de manifestations, de pétitions, et de demande de moratoires, des opposants exigent que soit prouvée, avant tout déploiement de la 5G, son innocuité totale…
De l’existence des fantômes vs la plausibilité
Comme l’a dit Bachelard, en science, on ne peut affirmer qu’il n’y aura pas de contre-exemple. Par conséquent, la science ne pourra jamais satisfaire les exigences de ces militants diverses et variés qui s’opposent aux OGM, à la 5G, et à d’autres nouvelles technologies en réclamant une preuve d’innocuité absolue. La science n’a jamais pu prouver, et ne prouvera jamais, l’inexistence des fantômes, ou des martiens, pas plus qu’elle ne pourra prouver de manière absolue l’inexistence d’effets sanitaires des OGM, des ondes des téléphones, du café, de l’eau de source, ou de de la sieste de 14h. Tout est question de plausibilité : la somme des observations réalisées et des connaissances acquises ne rend plausible ni l’existence des fantômes ni l’existence d’effets sanitaires des ondes de téléphonie. Dans une société noyée d’informations pseudo-scientifiques, cette question de la plausibilité est centrale. Il est fondamental que l’éducation aux sciences introduise la notion de plausibilité d’un phénomène. Sans cela, le précautionnisme laissera l’avenir en proie à immobilisme.
Georges Salines, Opinion et causes de cancers, Science et pseudosciences, n°327, Janvier/Mars 2019.
Eléonore Solé, Riz doré : la réglementation des OGM a déjà tué des millions d’enfants, www.futura-sciences.com
James Njoroge, Europe’s anti-science plague descends on Africa, European Scientist, 2020.
Sébastien Point, advocacy for a cognitive approach to electrohypersensitivity syndrome, Skeptical Inquirer, January/February 2020.
Poumadere, Marc & Perrin, Anne. (2010). Exposition sociocognitive et évaluation des risques : le cas de la téléphonie mobile. Radioprotection. 46. 59-73. 10.1051/radiopro/2010057.