Le démarrage de l’EPR de Flamanville 3 fait aujourd’hui l’actualité ; pour paraphraser Elisabeth Borne lors de l’arrêt de Fessenheim, on peut dire que « c’est un grand moment pour l’écologie, il y a ceux qui en parlent et ceux qui le font ». Le Président Macron devait inaugurer le parc éolien offshore à Fécamp et en même temps assister au premier chargement de Flamanville 3 mais les visites ont été annulées pour cause d’actualité politique. Si on peut se réjouir de voir les choses aller de l’avant, on ne doit pas oublier que ce démarrage de Flamanville 3 s’inscrit dans un contexte de fermeture massive de moyens de production d’électricité très bas-carbone, pilotables, économiquement rentables et amortis en Europe par pure décision dogmatique sous l’impulsion de l’idéologie verte allemande.
Le décompte des moyens de production arrêtés et le démarrage des deux EPR européens Olkiluoto 3 et maintenant Flamanville 3 permettent de montrer qu’on est loin du compte. Loin du compte de la lutte efficace contre le réchauffement climatique. Sans compter les moyens de production très carbonés construits en remplacement en France comme en Allemagne. Le dogmatisme n’a jamais été un programme politique au service de l‘évolution de l’Humanité, c’est une certitude. Mais le bilan de cette politique plombe nos efforts de plus de 45 ans et là c’est plus inquiétant au regard de l’impact climatique. La France sauve les meubles en inondant l’Europe d’une électricité très bas-carbone et notamment l’Allemagne, la plus émettrice de CO₂ en Europe, pour sa production d’électricité, le double de la Pologne en quantité de CO₂ rejetée en 2023.
Faisons le point des moyens de production nucléaires arrêtés ces dernières années, avec un impact carbone très bas, entre 4g et 12g CO₂/kWh suivant le calcul français ou européen. En tout cas, bien moins carbonés que le solaire ( 55g CO2/kWh ), parce que les panneaux solaires sont importés d’Asie par bateaux au fuel et l’éolien terrestre et offshore, respectivement 11g et 15g CO₂/kWh. En plus, ces moyens de production délivrent une énergie aléatoirement intermittente, souvent en déphasage avec les besoins des clients et des moteurs de l’économie européenne. Raison pour laquelle les moyens de production pilotables sont requis pour garantir la demande des clients.
L’arrêt des moyens de production très bas-carbone
En France
Tout d’abord en France, il faut noter les 2 réacteurs de Fessenheim arrêtés en 2020 par pure décision électoraliste pour tenter de gagner quelques pourcentages de voix à une élection présidentielle et sans aucune raison technique ni critère de sûreté. Pour preuve, pour sa dernière année d’exploitation en 2019, l’Autorité de Sûreté Française indépendante avait même souligné dans son rapport annuel, que Fessenheim se situait dans le haut du panier des centrales les plus sûres de France. C’est donc 1800MW pilotables à 4g CO₂/kWh qui ont été sacrifiés, après 42 ans d’exploitation seulement. En même temps, il faut noter, qu’à moins de 100km de Fessenheim, continuent de fonctionner deux réacteurs suisses de même technologie REP (Réacteur à eau sous pression), certes moins puissant de 365MW chacun, depuis 1969 pour l’un et 1971 pour l’autre. Cette situation montre qu’après une durée de vie moyenne de 54 ans, sans modification de sûreté notable tous les 10 ans comme en France, des réacteurs REP peuvent toujours fonctionner à merveille.
En Belgique
Ensuite en Belgique, deux réacteurs REP ont été arrêtés par pure dogmatisme, sans pression technique, de sûreté, ni économique. Doel 3, d’abord, a été arrêté en 2022, suivi de Tihange 2 en 2023 après tout juste 40 ans de fonctionnement. Encore 2000MW à 12g CO₂/kWh en moins pour la décarbonation de notre électricité. Dans sa logique jusqu’au-boutiste en s’alignant sur l’idéologie allemande du 0% nucléaire, la ministre de l’énergie belge ne compte pas en rester là, avec une probable décision de fermeture dogmatique des 4 autres réacteurs belges en 2025 encore en parfait état de fonctionnement aujourd’hui.
En Allemagne
En 2023, de son côté, l’Allemagne a définitivement mis à l’arrêt l’intégralité de son parc nucléaire après l’arrêt des trois derniers réacteurs encore en fonctionnement, Emsland, Isar 2 et Neckarwestheim 2 pour un total de 4000 MW à 12g CO₂/KWh. Sans compter toutes les autres centrales nucléaires allemandes qui avaient été arrêtées auparavant. Depuis cet arrêt définitif, radical et dogmatique, l’Allemagne importe une quantité importante d’électricité majoritairement en provenance de l’électricité nucléaire bas-carbone française tout en émettant 10 fois plus de CO₂ que la France. En 2023, l’Allemagne a émis 20 000 Tonnes de CO₂ par heure, pour sa seule production d’électricité. Oui par heure !
Cette liste est déjà suffisamment probante pour souligner le manque à gagner pour la lutte contre le réchauffement climatique. Mais c’est sans compter avec les conséquences techniques de la logique de l’idéologique verte. Pour compenser le manque de production pilotable et le même mois de juin 2020 qui a vu l’arrêt définitif de Fessenheim, l’Allemagne a démarré une centrale à charbon à Datteln au nord de Dortmund et à 500km de Fessenheim, flambant neuve avec une puissance de 1100MW et un impact carbone de 1050g CO₂/kWh. Soit 260 fois plus que l’impact carbone de Fessenheim. En même temps et avec la même logique, la France a construit et démarré, par une filiale de TOTAL Énergie, une centrale au gaz de 440MW en mars 2022 à Landivisiau en Bretagne avec un impact carbone à 418g CO₂/kWh.
En même temps, le démarrage de moyens de production très carbonés
En pleine crise du gaz, c’est d’une vision stratégique redoutable vis-à-vis de notre indépendance énergétique ! Nos politiques français du XXIe siècle ont oublié que leurs prédécesseurs avaient décidé Fessenheim et le parc qui a suivi, justement pour sortir des énergies fossiles. En France, la transition énergétique de l’électricité, la vraie, a été soldée entre 1978 et 1999 en remplaçant l’ensemble de son parc d’énergie fossile, par un mix bas-carbone nucléaire et hydraulique. Pour s’en convaincre, le premier ministre de l’époque, Michel Rocard écrivait ceci dans un rapport du 6 septembre 1989 (1) je cite « L’essentiel des gains de CO₂ rendus possibles par la substitution du nucléaire aux combustibles fossiles est aujourd’hui acquis dans notre pays. » et plus loin « nos exportations actuelles d’électricité réduisent les émissions de CO₂ de nos voisins européens de 10 millions de tonnes de carbone par an. » Je rappelle que ce rapport a été écrit en 1989 ! Teintés d’idéologie verte, nos politiques au pouvoir aujourd’hui sont revenus sur cet acquis que les exploitants nucléaires avaient pourtant capitalisé durant 45 ans.
Quel est le bilan ? L’Europe a arrêté 7800MW de production d’électricité très bas-carbone et pilotable et a mis en service 1500MW de production l’électricité pilotable aussi mais très fortement carbonés. Avec le démarrage d’Olkiluoto 3 en 2023 et de Flamanville 3, en cours en 2024, soit 3200MW, le bilan carbone n’y est pas, même avec le déploiement des ENR. Pourquoi ? Parce que sans de vent et sans soleil, la nuit notamment, si on manque de nucléaire bas-carbone, c’est du gaz et du charbon qui alimentent le réseau électrique. C’est d’une logique technique implacable, depuis les principes de l’électricité alternative de Nikola Tesla.
Un changement de politique au niveau européen
Lutte contre le réchauffement climatique, coût de l’énergie et souveraineté énergétique : une nécessaire redistribution des cartes de la politique européenne est de plus en plus nécessaire aujourd’hui. Il ne faut pas chercher l’éco-logique dans la politique européenne. C’est d’une pure logique écolo. Et encore, si on avait baissé le coût de l’électricité. C’est l’inverse qui s’est produit ! On ne remplacera pas d’un claquement de doigt ces moyens de production d’électricité bas-carbone, en même temps sûrs, pilotables et économiquement rentables, arrêtés arbitrairement. Mais avec un bulletin de vote, il est possible de mettre un terme à une politique néfaste pour la priorité planétaire. Et comme les mesures prises contre les moyens de production, il est possible d’y mettre un terme, définitivement. Néanmoins, sans aller chercher un autre extrémisme. Il serait temps de mettre un terme, aussi, à cette logique contre productrice de remplacement d’un extrémisme par un autre par effet de balancier. La raison(2) doit l’emporter.
- « Rapport du groupe interministériel sur l’effet de serre » du 6 septembre 1989 signé par le premier ministre français, Michel Rocard https://inis.iaea.org/collection/NCLCollectionStore/_Public/50/035/50035816.pdf
- Rappel étymologique de « Homo sapiens », hominidé sage, intelligent et prudent.
Image par tomwieden de Pixabay
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Excellente remontée dans le temps – Merci
Un réseau 100% ENRi n’existe nulle part.
Il doit forcement être adossé à des pilotables
et si ces pilotables sont plus bas carbone que les ENR
=> les ENR ne servent plus du tout à rien.
A l’inverse :
Un réseau 100% bas carbone et pilotable est parfaitement viable sans ENR