NGT en Europe : quand la révolution biotechnologique rencontre la prudence législative
Plusieurs articles ont éclairé les lecteurs de cette revue sur le long processus concernant un possible allégement de la réglementation européenne pour des modifications génétiques issues des nouvelles techniques biotechnologiques ou NGT (New Genomic Techniques) : une évolution devenue nécessaire non seulement pour des raisons scientifiques et économiques, mais aussi, en ces temps géopolitiques troublés, pour des impératifs de souveraineté agro-alimentaire.
Cette révision réglementaire qui s’est étalée sur six ans, a donné lieu à de multiples épisodes, dignes d’un feuilleton à rebondissement. Mais en ce mois de décembre 2025, il semblerait que d’ultimes tractations entre les partisans du progrès technologique et ceux qui prônent la décroissance de l’économie occidentale aient permis de conclure un accord au niveau du trilogue de l’Union européenne dans la nuit du 3 au 4 décembre 2025.
Rappelons que le trilogue est une réunion des trois institutions européennes participant au processus législatif. Il est composé des représentants du Parlement européen, du Conseil de l’Union européenne et de la Commission européenne pour une dernière négociation inter-institutionnelle avant que les textes définitifs soient soumis à la ratification par les États-membres et par le Parlement européen.
Le compromis intervenu début décembre a été ardemment encouragé par l’eurodéputée suédoise Jessica Polfjärd (Parti populaire européen) en charge de rapporter sur ce dossier et par le Danemark qui occupe, jusqu’à la fin du mois de décembre, la présidence tournante de l’Union européenne (UE). Répondra-t-il aux exigences du nouvel équilibre géopolitique mondial qui se met en place actuellement ? Donnera-t-il à l’UE les moyens d’assurer son indépendance agro-alimentaire ?
Les NGT, biotechnologies du XXIè siècle : une rupture technologique adoptée par de nombreux pays de tous les continents.
Les biotechnologies du XXè siècle ont été mises au point pour modifier le génome des organismes vivants afin d’apporter des réponses à plusieurs pathologies qui se manifestaient chez les êtres humains, les animaux et les plantes ou pour améliorer des procédés technologiques alimentaires, notamment liés aux fermentations. Reposant sur les avancées de la connaissance scientifique, ces biotechnologies ont permis de s’affranchir du hasard des mutations génétiques naturelles et de modifier en laboratoire le génome afin d’apporter des solutions aux problèmes soulevés. Deux techniques ont été utilisées principalement à cet effet : la mutagenèse et la transgenèse. La synthèse d’insuline humaine fabriquée par transgenèse en réacteur pour pallier la maladie du diabète en est un exemple.
Dans les années 2000, de nouvelles techniques ont été développées, plus précises et moins chères. La technique phare de cette révolution biotechnologique est CRISPR-Cas, décrite en 2012 par l’européenne Emmanuelle Charpentier et l’américaine Jennifer Doudna qui ont reçu en 2020 le prix Nobel de Chimie pour cette avancée scientifique majeure. Elle a été qualifiée de « ciseaux moléculaires » mais Jennifer Doudna, dans une image évocatrice, la compare à un « scapel chirurgical » qu’elle oppose à la transgenèse du XXè siècle qui serait un « marteau de forgeron ».

D’autres techniques, englobées dans ce qui est appelé maintenant l’édition génomique, ont été, depuis, mises au point comme « l’édition de base » en 2017 et « l’édition primaire » en 2019. Elles modifient le génome sans couper l’ADN. David Liu de l’Université d’Harvard, dont l’équipe a développé ces nouvelles techniques, souligne qu’elles s’apparentent plus à un crayon qui redessine le génome car les modifications génétiques effectuées sont minimes. Petites modifications mais progrès majeurs qui ont déjà été réalisés dans le domaine de la santé des plantes, des animaux et en médecine humaine, ainsi que j’ai eu l’occasion de le développer dans deux ouvrages récents (1) (2).
Devant les progrès scientifiques observés et ayant compris les enjeux économiques liés à la transition climatique pour nourrir une population mondiale qui continue de croître, de très nombreux pays ont décidé d’adopter des règles plus souples pour la mise sur le marché des nouveaux produits issus de l’édition génomique, surtout quand on ne peut pas les distinguer biologiquement de produits rencontrés dans la nature ou obtenus par des techniques plus classiques de sélection végétale variétale. Déjà, des huiles végétales au profil nutritionnel amélioré ou des tomates alicaments génétiquement éditées sont commercialisées aux États-Unis ou au Japon ! En effet, tous les continents sont concernés : l’Amérique du Nord et du Sud, l’Asie et la Zone pacifique, l’Afrique mais aussi le continent européen avec la Grande Bretagne qui a quitté en 2020 l’Union européenne abandonnant ainsi sa réglementation restrictive et contraignante !
Une nécessaire révision de la réglementation européenne
Les protocoles scientifiques et les procédures d’autorisation de mise sur le marché sont spécifiques pour le médical et les débats sociétaux autour des avancées technologiques thérapeutiques sont de manière générale moins vifs (sauf autour des vaccins ARNm lors de la pandémie mondiale de la COVID). En revanche, au niveau de l’agro-alimentaire, la controverse demeure vive en particulier au niveau européen.
Dans l’Union européenne, en juillet 2018, la Cour de justice (CJUE) a jugé que tout nouveau produit issu des biotechnologies NGT devait être considéré comme OGM et soumis à la réglementation européenne en vigueur, la directive 2001/18 basée sur le principe de précaution et sur des connaissances scientifiques moindre qu’aujourd’hui. Et d’ailleurs, hormis quelques centaines d’hectares de maïs transgéniques résistants à des lépidoptères ravageurs majeurs de cette culture (la pyrale et la sésamie) cultivés en Espagne et au Portugal, aucune plante transgénique (donc réglementée OGM) n’est cultivée dans l’Union européenne à ce jour. Appliquer cette réglementation aux NGT reviendrait à reproduire les mêmes entraves qui ont découragé la culture des plantes OGM en Europe. Or il est impératif de développer de nouvelles variétés de plantes génétiquement éditées plus aptes à faire face aux changements climatiques observés (tolérance à la sécheresse ou aux inondations), à mieux se défendre contre leurs bioagresseurs (insectes, maladies) ou à développer de nouvelles propriétés nutritionnelles (biofortification). Une course à l’innovation s’est engagée non seulement pour trouver des solutions afin de rendre les agricultures plus résilientes, mais aussi pour acquérir des parts de marché sur ce segment très prometteur mais aussi très concurrentiel.
Aussi, dès la fin de l’année 2018, en raison des vives réactions des nombreux acteurs de la recherche et des milieux professionnels, il a été lancé une procédure visant, non pas à changer drastiquement la réglementation européenne obsolète, – bien qu’elle repose des notions scientifiques aujourd’hui dépassées en raison des progrès accomplis dans le domaine-, mais à la réviser seulement a minima.
Un long processus de révision a été enclenché en 2919 que nous avons détaillé dans un article récent (3). Après avoir engagé une série d’études réalisées par le JCR ((Joint Research Center) sur l’état de l’art et les développements de la recherche en R&D, la Commission européenne (CE) a diligenté des enquêtes d’opinion destinées à recueillir l’avis des citoyens européens, des acteurs économiques et d’organismes divers, ces enquêtes étant réalisées avant et après la proposition de la nouvelle réglementation. On remarquera au passage qu’une de ces étapes d’enquêtes publiques a été marquée par une cyberattaque soutenue par des députés européens écologistes : elle visait à interrompre le processus et a été déjouée ! Le processus s’est donc poursuivi normalement avec un corpus de propositions très restrictives émis par la CE. Car l’allègement proposé ne concerne que certaines modifications génétiques de plantes appelées plantes NGT-1 réalisées par mutagenèse ciblée ou par cisgenèse et intragenèse, sans ajout d’ADN étranger, et avec un maximum de 20 nucléotides modifiés. Sont déjà exclues de l’allégement réglementaire, à ce stade, les modifications génétiques des plantes appelées NGT-2 qui relèvent d’autres techniques employées et de modifications génomiques plus amples. Mais ont aussi été exclues d’emblée celles concernant les micro-organismes et les animaux qui devraient être, semble-t-il, prises en considération ultérieurement.
Les opinions publiques étant favorable à une évolution de la réglementation, le débat s’est poursuivi au Parlement européen où une pluie d’amendements a infléchi le texte initial pour limiter toujours plus la portée des allégements réglementaires proposés, les ultimes négociations portant sur l’ampleur des modifications génétiques à autoriser avec une réglementation allégée, les règles de traçabilité et d’étiquetage pour les consommateurs et de brevetabilité des plantes génétiquement éditées (4).
Quelles sont les conclusions du compromis intervenu récemment ?
Un allégement réglementaire au périmètre limité
Un accord provisoire a donc été conclu sur une procédure simplifiée pour des végétaux NGT qui seraient jugés équivalents aux végétaux conventionnels. Le terme NGT serait d’ailleurs réservé aux seules techniques « qui adaptent les semences d’une manière qui peut également se produire dans la nature ou au moyen de techniques d’obtention conventionnelles » (5). Ce n’est donc pas une définition scientifique ni technique qui prévaut mais des arguments liés à des points de repère familiers.
Si l’objectif global défini se veut une réponse aux défis auxquels le secteur agroalimentaire est confronté, les modifications génomiques admises dans ce cadre allégé doivent relever de la résistance aux effets du changement climatique, comme les sécheresses ou les inondations, et d’une moindre utilisation d’engrais et de pesticides.
Sont exclus de l’allégement réglementaire les modifications génétiques concernant la tolérance aux herbicides (tel le glyphosate ou le glufosinate très employés dans le désherbage des parcelles avant semis) et la production d’une substance insecticide connue (l’exemple type étant la protéine Bt qui permet au maïs transgénique MON 810 cultivé en Europe de résister à ses ravageurs majeurs). De telles modifications génétiques classent ces végétaux ipso facto comme des plantes NGT-2, non dispensées de la réglementation OGM. Notons que le Conseil européen a également décidé que les plantes NGT devraient être interdites dans l’agriculture biologique (6).
Deux catégories de végétaux NGT-1 et NGT-2
Les végétaux NGT-1, bénéficiant de l’allégement réglementaire, seront soumis à des vérifications effectuées par les autorités nationales afin de conclure s’ils sont équivalents aux végétaux conventionnels (c’est-à-dire qu’on ne peut pas les en distinguer) au moment de la mise sur le marché, mais les produits de la génération suivante seront dispensés de ce contrôle. Les NGT-1 ne seront pas étiquetés en tant que tels sur les étalages des magasins. En revanche les semences et tout matériel de reproduction devront l’être afin de pouvoir garantir aux opérateurs qui le souhaitent une chaîne de production sans NGT.
Les végétaux NGT-2, c’est-à-dire tous les autres, seront soumis à la législation actuelle sur les OGM. Un étiquetage obligatoire de ces produits devra informer sur ce qui a été génétiquement modifié, et ceci pour toutes les modifications opérées, dans un souci d’informer complètement les utilisateurs. Les États membres pourront, à leur convenance, refuser la culture de ces végétaux ou prendre des mesures de coexistence facultative sur leur territoire entre les cultures conventionnelles, biologiques et ces cultures NGT-2, (comme cela se fait au Portugal pour le seul maïs OGM cultivé dans l’UE).
Brevetabilité des végétaux NGT
La protection de la propriété intellectuelle a fait l’objet d’âpres débats car des amendements votés au Parlement européen visaient à exclure la brevetabilité des innovations variétales NGT. Il a cependant été conclu par le trilogue que les règles en matière de brevets pour ces nouvelles plantes obtenues par NGT doivent relever de la directive de l’UE sur les biotechnologies. Les entreprises ou obtenteurs qui demanderont à bénéficier des dispositions de l’enregistrement d’une propriété intellectuelle pour un végétal NGT-1 devront fournir dans leur dossier toutes les informations sur les brevets existants ou en instance. Des licences d’utilisation de l’innovation variétale pourront être accordées selon les usages en cours. Enfin, toutes les informations devront être disponibles dans une base de données accessible au public.
L’accord provisoire précise qu’«un an après l’entrée en vigueur du règlement, la Commission publiera une étude concernant l’incidence du brevetage sur l’innovation, sur la disponibilité des semences pour les agriculteurs et sur la compétitivité du secteur des sélections végétales de l’UE » (5). Cette surveillance interviendra dans le cadre d’un suivi attentif pour remédier à tout problème incident. Un groupe réunissant des experts de l’Office européen des brevets et de l’Office communautaire des variétés végétales ainsi que de tous les États membres, sera créé afin d’étudier les effets des brevets sur les végétaux NTG au sein de l’Union.
En conclusion
Le communiqué du Conseil européen souligne que les NGT n’existaient pas en 2001 quand la réglementation sur les OGM a été adoptée par l’UE, ce qui explique que tous les végétaux NGT soient soumis à cette réglementation. Selon l’accord provisoire intervenu début décembre, les végétaux qui contiennent de petites modifications (expression soulignée dans le communiqué) de leur matériel génétique provoquée par mutagenèse ciblée, cisgenèse, ou intragenèse, sans ajout d’ADN étranger à l’espèce, bénéficieront d’une réglementation allégée. Le Conseil insiste également sur le fait que « les OGM continuent d’être réglementés par la législation de l’UE sur les OGM, qui demeure inchangée ».
Euroseeds, association professionnelle représentant autour de 70 entreprises européennes du secteur des semences, a salué cet accord en soulignant qu’il s’agissait d’un signal « dont le secteur semencier et les agriculteurs européens avaient urgemment besoin » mais elle constate aussi qu’il existe « un certain nombre d’exigences et de restrictions supplémentaires » dont ils doivent analyser « pleinement l’impact » (7).
Qu’en termes diplomatiques ces choses-là sont dites ! C’est louable de voir le verre à moitié plein, et je comprends le sentiment des professionnels qui attendent depuis six ans cet allégement de la réglementation sur les NGT. Mais à voir l’étroitesse des allégements consentis, je m’exclamerais plutôt que « la montagne accouche d’une souris » !!! Certes, l’édition génomique permet de réaliser des modifications génétiques minimes qui peuvent s’accompagner de conséquences épigénétiques marquées. Et c’est sans doute là-dessus que parie le secteur semencier européen. Mais le maintien de la réglementation européenne sur les OGM, qui date de 2001, sur les végétaux NGT-2 et ne prend pas en compte les avancées scientifiques et agronomiques des 25 dernières années, est une erreur. La position canadienne basée sur le concept de « nouveau aliment » (incluant les plantes à caractères nouveaux) avec une évaluation au cas par cas des propriétés des produits obtenus pour vérifier leur innocuité alimentaire et environnementale, est bien plus rationnelle (8). Je ne suis pas sûre que l’Union européenne, qui s’est déjà montrée réfractaire aux OGM et maintient avec la directive 2001/18 une réglementation obsolète, se donne les moyens d’adopter pleinement la révolution biotechnologique du XXIè siècle, les NGT, pour affronter la nouvelle donne économique mondiale.
Références bibliographiques
- Catherine Regnault-Roger (2022), Enjeux biotechnologiques, Presses des Mines, 204 pages
- Catherine Regnault-Roger (2024), Biotech Challenges, Springer Nature, 157 pages
- Catherine Regnault-Roger (2023) NGT : La commission européenne pratique le « en même temps » The European Scientist , 11.07.2023, NGT : La Commission européenne pratique le « En même temps »
- Catherine Regnault-Roger (2025) NGT : la nouvelle réglementation dans les turbulences parlementaires européennes The European Scientist , 1.07.2025 NGT : la nouvelle réglementation dans les turbulences parlementaires européennes
- Council of the EU (2025) New genomic techniques: Council and Parliament strike deal to boost the competitiveness and sustainability of our food systems https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2025/12/04/new-genomic-techniques-council-and-parliament-strike-deal-to-boost-the-competitiveness-and-sustainability-of-our-food-systems/
- Conseil européen (2025) Nouvelles techniques génomiques dans le domaine de la sélection végétale, https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/new-genomic-techniques-for-plant-breeding/
- Euroseeds (2025) Europe’s seed sector welcomes conclusion of NGT trilogue https://euroseeds.eu/app/uploads/2025/12/25.0869.1-Europes-seed-sector-welcomes-the-positive-conclusion-of-trilogue-negotiations-on-NGTs.pdf
- Santé Canada (2024). Réponse aux préoccupations au sujet des nouvelles orientations règlementaires relatives au Règlement sur les aliments nouveaux axées sur les produits issus de la sélection végétale. https://www.canada.ca/fr/sante-canada/services/aliments-nutrition/legislation-lignes-directrices/document-reference/reponse-preoccupations.html
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