![Lumière bleue et jeunes enfants : les LEDs sont-elles plus nocives que les autres technologies de lampes?](https://www.europeanscientist.com/wp-content/uploads/thumbs/111-11-38qj6gt0g3serycgmoi680.jpg)
Ces dernières années, des chercheurs ont pointé du doigt la rétinotoxicité potentielle de la lumière bleue émise par les LEDs blanches à des niveaux d’éclairement dits « domestiques » ce qui a suscité de nombreuses inquiétudes chez les consommateurs et les professionnels de l’éclairage. En 2017, nous démontrions que ces conclusions, tirées d’expériences réalisées sur des rongeurs, devaient être considérées avec une extrême précaution, qu’il n’y avait encore aucune évidence que la lumière produite par les LEDs blanches pouvait être dangereuse à des niveaux d’éclairements domestiques, et qu’il n’était par conséquent pas justifié de demander une révision des valeurs limites d’exposition pour la population générale[1]. Cet avis est partagé par les experts du SCHEER qui, dans un rapport rendu en juillet 2018[2], concluent qu’il n’ y a pas de preuve d’un effet délétère des LEDs en utilisation normale, tout en admettant cependant que des recherches doivent être poursuivies pour étudier l’effet de la lumière bleue sur certaines populations plus sensibles, comme les enfants en bas âge dont la plus grande transparence du cristallin aux longueurs d’ondes courtes[3] laisse penser que les LEDs pourraient être plus nocives que les autres types de lampes artificielles.
Dans ce contexte, nous nous sommes intéressés[4] au cas des enfants en très bas âge (moins de un an), dans l’objectif de comprendre l’influence de la biométrie spécifique de leur œil et de la plus grande transparence de leur cristallin sur la validité des valeurs limite d’exposition en vigueur, en regard des principales technologies de lampes accessibles au consommateur (lampes à LEDs, lampes Tungstène-Halogène, et lampes fluorescentes).
Lumière bleue et retinotoxicité: de quoi parle-t-on ?
Dans la deuxième moitié du siècle dernier, des chercheurs ont mis en évidence la possibilité d’apparition de blessures photochimiques chez le singe rhésus sous l’action d’une lumière bleue de forte intensité pendant une durée relativement courte ( de quelques secondes à quelques heures), caractérisées par la destruction de photorécepteurs et de l’épithélium pigmentaire rétinien (EPR); Ce type de blessure est athermique et se caractérise par des phénomènes de stress oxydatif : la lumière bleue, focalisée sur la rétine, qui est fortement vascularisée et oxygénée, perd son énergie dans la création d’espèce réactives de l’oxygène pouvant entrainer une peroxydation lipidique des membranes des cellules rétiniennes. Notez que ces mécanismes de destruction cellulaire sont naturellement concurrencés par l’action protectrice des anti-oxydants présents dans la rétine et le renouvellement permanent du segment externe des photorécepteurs par phagocytose dans l’EPR.
La rétinotoxicité potentielle de la lumière bleue est prise en compte dans la conception des lampes et appareils d’éclairage artificiel et les fabricants, lors de la mise sur le marché européen de leurs produits, sont tenus d’assurer leur conformité aux normes de sécurité photobiologique. Ces normes sont notamment basées sur un spectre d’action[5] décrivant l’efficacité avec laquelle les longueurs d’ondes courtes peuvent contribuer au stress oxydatif de la rétine. Ce spectre d’action est valable pour un individu adulte. La relation entre valeur d’éclairement rétinien et puissance de la source de lumière est construite sur un modèle d’œil utilisant des valeurs de pupille et de longueur focale également typiques de l’œil adulte.
Des longueurs d’ondes nocives absentes du spectre des LEDs
Chez l’être humain, la croissance de l’œil est rapide durant la première année de vie : diamètre de pupille et longueur focale des yeux des très jeunes enfants sont différents de ceux d’un adulte. L’analyse de la littérature disponible a permis de proposer un modèle d’œil basé sur des valeurs de pupille et de longueur focale typiques de l’œil du très jeune enfant : on montre alors que l’éclairement rétinien considéré comme sans risque est produit par des sources presque 3 fois moins puissantes que celles nécessaires pour produire le même éclairement sur une rétine adulte.
Un troisième paramètre rend l’œil du jeune enfant très différent de l’œil adulte : il s’agit de la transparence du cristallin. Le cristallin est une lentille transparente biconvexe, souple, située en arrière de l’iris, et qui permet l’accommodation. Chez le très jeune enfant, le cristallin est bien plus transparent aux longueurs d’ondes courtes qu’à l’âge adulte. Pour prendre en compte ce phénomène dans l’évaluation du risque photobiologique lié à une source de lumière, l’ICNIRP (International Commission on Non-Ionizing Radiation Protection) recommande d’appliquer un spectre d’action spécifique, celui de l’oeil aphake[6]. Nous avons donc comparé l’éclairement rétinien produit par trois répartitions spectrales, associées respectivement aux technologies de LEDs blanches à luminophore, de lampes Tungstène-Halogène et de lampes fluorescentes, en prenant en compte le spectre d’action aphake. Il apparaît que l’application de ce spectre d’action n’augmente pas l’éclairement rétinien en lumière bleue produit par la LED blanche testée; mais la quantité de lumière potentiellement nocive issue de la lampe fluorescente ou de la lampe Tungstène-Halogène est augmentée respectivement de 40% et 35% : la plus grande transparence de l’œil de l’enfant, modélisée par le spectre d’action de l’œil aphake, favorise en effet la transmission de longueurs d’ondes violettes absentes, par nature, du spectre des LEDs blanches, mais présentes dans les spectres des lampes Tungstène-Halogène et fluorescentes.
Des discours à nuancer
A cause d’une biométrie spécifique, l’œil des très jeunes enfants collecte plus de lumière que l’œil des adultes; L’éclairement rétinien pour une source donnée, quelle que soit la technologie, pourrait être 3 fois supérieur à celui de l’adulte, ce qui justifierait la mise en œuvre de valeurs limites d’exposition spécifiques pour certaines applications, comme les veilleuses de nuit ou les jouets. Nos observations supportent également la nécessité de prendre en compte dans les normes de sécurité photobiologique la plus grande transparence du cristallin de l’œil des très jeunes enfants, qui favorise la transmission de la lumière violette, produite notamment par les lampes fluorescentes à base de mercure ou par les lampes Tungstène-Halogène mais absente du spectre des LEDs blanches.
D’un point de vue purement spectral, les LEDs semblent donc moins dangereuses que des technologies plus anciennes, ce qui permet de nuancer certains discours réclamant leur interdiction par principe de précaution. En réalité, et comme souvent avec les objets technologiques, le risque est dans l’usage. Les LEDs s’insinuent là où les lampes Tungstène-Halogène et les lampes fluorescentes ne sont pas. On peut acheter dans le commerce de nombreux jouets équipés de LEDs blanches puissantes, qui peuvent être placés à proximité d’enfants en bas âge sans contrôle de la distance ou de la durée d’exposition. Les parents doivent donc apporter une attention particulière à l’environnement lumineux de leurs très jeunes enfants, en limitant le contact rapproché et prolongé avec des lampes, et ce quelle que soit la technologie, tout en gardant à l’esprit que la lumière de courtes longueurs d’ondes ne doit pas être supprimée de cet environnement lumineux puisqu’elle participe au processus normal de croissance de l’œil.
[1] https://www.europeanscientist.com/en/features/shouldnt-afraid-leds/
[2]https://ec.europa.eu/health/scientific_committees/consultations/public_consultations/scheer_consultation_05_en
[3] Par rayonnement de longueurs d’ondes courtes, on entend ici les rayonnements visibles inférieurs à 500 nm, ce qui inclut la lumière bleue et violette.
[4] Point S., Blue Light Hazard: are exposure limit values protective enough for newborn infants? Radioprotection (2018). https://doi.org/10.1051/radiopro/2018025
[5] Le spectre d’action de la lumière bleue décrit l’efficacité avec laquelle les différentes longueurs « bleues » peuvent provoquer un stress oxydatif au niveau de la rétine.
[6] Œil sans cristallin.
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