Les idées présentées dans cet article ne reflètent pas nécessairement celle de European Scientist. Il s’agit d’une tribune libre rédigée par un éminent spécialiste dans le domaine, qui contribue au débat sur la transition énergétique. Nous apportons cependant tout notre soutien au travail de Bernard Durand dont le sérieux et l’engagement ne sont plus à prouver.
Le 5 Septembre, nous informe le journal «Le Monde», s’est tenue en Allemagne une réunion de responsables politiques et industriels de très haut niveau pour tenter de trouver une réponse à la crise de l’éolien qui s’y développe actuellement[1]. Les investissements dans la construction d’éoliennes, y compris en mer, sont en effet maintenant en diminution rapide, tandis que beaucoup d’éoliennes en fin de vie devront bientôt être démantelées et remplacées. La cause principale en est bien sûr le nouveau mode de rémunération des capitaux investis, non plus par obligation d’achat à des tarifs contractuels sur des durées de 15 à 20 ans, mais par appels d’offres, méthode jugée insatisfaisante par les industriels. Il y a aussi, après une longue tolérance, le rejet croissant par les Allemands des conséquences humaines et écologiques du développement à marche forcé de l’éolien, qui retarde la réalisation des projets.
Mais le rêve allemand de ne produire l’électricité qu’à partir de sources dites renouvelables, éolien et solaire photovoltaïque principalement, et donc sans nucléaire, charbon et gaz, se heurte aussi à la réalité physique. Car c’est un objectif qui restera techniquement impossible tant que l’on ne saura pas stocker et déstocker l’électricité éolienne et solaire en quantités 100 fois plus importantes que maintenant[2] : cela pour pouvoir ajuster à la demande des consommateurs les fluctuations naturelles de l’éolien et du solaire, dites fatales ou non-pilotables parce qu’elles sont indépendantes de la volonté des hommes. On est actuellement contraint pour réaliser cet ajustement de faire appel à des centrales dites pilotables, qui produisent en contrepoint de l’éolien et du solaire photovoltaïque. Elles sont surtout nucléaires et hydroélectriques en France, à charbon et à gaz en Allemagne. L’Allemagne a certes déjà fermé 13 GW de réacteurs nucléaires, mais la puissance totale de ses centrales pilotables y est restée la même[3], une augmentation de la puissance en gaz ayant compensé la perte de puissance en nucléaire. D’où des émissions de gaz carbonique (CO2) de la production d’électricité qui depuis des années n’ont pratiquement pas baissé. Elles font de l’Allemagne le plus grand producteur de ce gaz à effet de serre en Europe.
Le choix de l’Allemagne de préférer le charbon au nucléaire pour la production d’électricité est en fait ancien. Le charbon a été la source de son remarquable développement économique à partir de 1850. L’industrie et les syndicats du charbon sont encore à l’heure actuelle très puissants en Allemagne, même si les dernières mines souterraines de charbon de bonne qualité, le « hard coal » des Américains, viennent d’être définitivement fermées. En contrepartie, les importations de ce hard coal n’ont cessé d’augmenter et atteignent maintenant 60 millions de tonnes par an. D’autre part les immenses exploitations à ciel ouvert de lignite (brown coal), charbon de très mauvaise qualité et très polluant, sont toujours là, avec des réserves correspondant à au moins un siècle d’exploitation au rythme actuel. Le nucléaire, bien que 23 GW de centrales aient été construites à la même époque que les nôtres, y a souffert constamment dans l’opinion d’une très mauvaise image, créée et entretenue dit-on pendant la guerre froide par l’Union soviétique.
Je me souviens d’une conversation à ce sujet il y a bien des années avec des étudiants allemands lors d’une « Ecole d’été » à La Rochelle. A ma question de savoir pourquoi ils préféraient le charbon au nucléaire, alors que leurs centrales nucléaires n’avaient pas fait de morts, tandis que le charbon avait provoqué tant de morts chez eux, dans les mines, mais encore plus du fait de la pollution atmosphérique associée, et maintenant menaçait le climat, ils m’ont répondu : nous sommes habitués depuis longtemps au charbon, et on ne parle jamais chez nous de ses dangers. Le nucléaire est encore trop récent, et on nous en dit constamment du mal.
Le gouvernement allemand a planifié dit-il de fermer ses centrales à charbon en 2038, ce qui est bien tard. En l’absence de nucléaire, il lui faudra les remplacer par des centrales à gaz, qui ne valent guère mieux pour le climat. Mais ce gaz sera jure-t-il du gaz « vert », c’est-à-dire du biogaz produit à partir de biomasse. Ce sera, compte-tenu des limites naturelles de la ressource en biomasse, beaucoup plus vraisemblablement du gaz russe. D’ailleurs les gazoducs nécessaires sont en construction et seront bientôt achevés. L’Allemagne aura alors des émissions de CO2 de sa production d’électricité qui auront sensiblement baissé, mais pas suffisamment, et sera devenue dépendante du gaz russe (3). Et ses émissions du principal constituant du gaz naturel, le méthane (CH4), gaz à effet de serre beaucoup plus puissant que le CO2, augmenteront, ce qui fait qu’au bilan il n’y aura probablement que peu de bénéfices pour le climat de la diminution de ses émissions de CO2.
L’Allemagne, en voulant développer à tout prix l’éolien et le solaire photovoltaïque plutôt que le nucléaire pour produire son électricité, c’est donc mise dans une impasse technique et écologique dont elle ne voit pas l’issue. Bien au contraire, elle s’y complaît. Car lors de la réunion de crise du 5 Septembre, les participants ont cherché les moyens financiers de relancer l’industrie éolienne, plutôt que de mettre fin à cette gabegie.
Le coût de ce développement est énorme, et a déjà entraîné en Allemagne un doublement du prix de l’électricité pour les ménages (2).
En fait l’Allemagne, comme chez nous l’écologie dite politique, préfère assouvir son obsession antinucléaire quel qu’en soit le prix, plutôt que faire face à l’urgence climatique, mais essaie de nous faire croire le contraire. Gardons-nous de l’imiter !
[1] https://www.lemonde.fr/economie/article/2019/09/06/en-allemagne-la-crise-de-l-eolien-menace-la-transition-energetique_5507061_3234.html
[2] https://www.sauvonsleclimat.org/fr/presentation/etudes-scientifiques/1963-intermittence-et-foisonnement
[3] https://www.europeanscientist.com/fr/opinion/cachez-ce-charbon-que-nous-ne-saurions-voir/
Suppôt du nucléaire comme il y en a beaucoup
Serge Rochain
Arguments?
Suppôt de l’éolien.
Merci à Bernard Durand pour cette excellente explication de l’impasse dans laquelle les gouvernements allemands se sont engouffrés ; sous la pression d’une opinion depuis longtemps ami-nucléaire.
Je voudrais ajouter à cette démonstration une dimension européenne. En effet, si toute l’Europe devait suivre la voie allemande, on peut assurer que pour couvrir les fréquents épisodes, sans vent et sans soleil, du Portugal aux Pays baltes, il faudrait consentir de très lourds investissements ; or bien peu de pays ont des réserves financières comparables à celles de l’Allemagne. Multiplier les ENR à production intermittente et non flexible serait de peu d’efficacité. De même, les renforcements des liaisons frontalières réclamées par l’Allemagne, alternativement surproductrice et sous-productrice, seraient alors de peu d’utilité. Restent le développement de moyens massifs de stockage-déstockage d’énergie électrique et/ou des restrictions de nos demandes d’électricité plus ou moins contraintes, au cours de ses épisodes.
Ne doutons pas que les écolos les plus rigoristes applaudissent cette perspective. Je ne suis pas sûr que la soumission de tous à des contraintes de fourniture, aléatoires et sans préavis, réunisse beaucoup de d’autres suffrages.
SH
Le développement des moyens de stockage, c’est comme l’Arlésienne: on en parle, mais on ne les voit pas venir.La raison en est simple: le seul moyen de stocker en quantités suffisantes serait le stockage d’énergie chimique , hydrogène ou méthane power-to-gas-to power. Or le rendement du cycle stockage-déstockage est alors si faible que cela implique une perte d’énergie de 70 à 80 % et donc des investissements colossaux, et une multiplication par 3 ou 4 du nombre d’éoliennes nécessaires pour produire une même quantité d’électricité. On peut d’ailleurs remarquer que la Allemands eux-mêmes ne prévoient pas d’utiliser ces systèmes dans leur planification à long terme puisqu’ils viennent d’achever les gazoducs Northstream 1 et 2 qui alimenteront en gaz russe les centrales à gaz qui commencent à fleurir pour pallier l’intermittence de l’éolien et du solaire photovoltaïque. Le Allemands sortiront peut-être un jour du charbon, mais certainement pas du gaz. Du point de vue du climat ce n’est guère une amélioration, d’autant plus qu’il y aura renforcement des émissions de méthane, gaz à effet de serre bien plus puissant que le gaz carbonique;
Excellent sujet, excellent article, fond et forme.
Une précision supplémentaire toutefois, en Allemagne comme en France, la politique de « guichet ouvert » a été transformée (au delà d’un certain niveau de puissance installée) par une procédure d’appel d’offres.
Celle-ci conduit donc à ne réserver le bénéfice du soutien qu’au lauréat et à « caler » ledit soutien (dite prime de marché ou complément de rémunération) sur la base de son offre…En général, comme vous les dites, le résultat est nettement favorable que dans le schéma précédent (guichet ouvert et prime fixe).
La conclusion, c’est que l’Allemagne n’a jamais été, n’est pas et ne sera jamais un partenaire fiable pour la France.
Tous les dirigeants français qui ont désespérément essayé de construire une entité rappelant l’Empire de Charlemagne se sont fracassés sur cette réalité.
Déjà en 1970, l’Allemagne a été déloyale dans l’application du »tarif extérieur commun », pourtant voté après la crise de la chaise vide ouverte sous de Gaulle.
Par exemple, l’Allemagne continuait à acheter des bananes en Amérique du sud, au lieu de se fournir en Martinique et en Guadeloupe, théoriquement partie intégrante de l’Europe des Six. Ce qui laissait au chômage de nombreux martiniquais et guadeloupéens qui n’auraient pas demandé mieux que fournir l’Europe en bananes de qualité à un prix compétitif. Pire, l’Allemagne ne respectait par les traités puisqu’elle achetait ces bananes d’Amérique du Sud au-dessous du tarif extérieur commun. Et ce n’est qu’un exemple parmi d’autres qui ont lourdement désavantagé l’agriculture française.
Donc depuis le début, l’Allemagne a pris ce qui servait ses intérêts dans l’union européenne tout en n’hésitant pas à contourner ses obligations quand elles l’obligeaient à des sacrifices.
Nos dirigeants politiques, sous Mitterrand, ont continué contre vents et marées à poursuivre cette chimère. Le pire, c’est que cet acharnement n’était pas naïf, nos dirigeants n’ont jamais été réellement dupes, mais ils ont espéré envers et contre tout. Leurs yeux n’ont commencé à se dessiller qu’à partir de la réunification des deux Allemagnes, c’est- à-dire l’union de la Prusse à l’Allemagne de l’Ouest.
Cet espoir est aujourd’hui moribond. On a tout cédé : par exemple le tarif extérieur commun n’existe plus, l’entrée de l’Angleterre dans le jeu l’a détruit pour ainsi dire prioritairement.
Autre exemple : les prix payés aux producteurs de viande animale.
Le prix d’un veau sur pied de bonne qualité ou d’agneaux de bonne qualité n’a de loin pas suivi l’érosion monétaire depuis 1980. D’où des aberrations anti-écologiques, comme l’usage plus ou moins clandestin d’hormones dans l’élevage pour la production de viande, achetées clandestinement en Espagne ou ailleurs.
Un agriculteur français à la tête d’un élevage de 80 brebis accompagné d’un élevage bovin de 20 à 30 têtes était encore, en 1970, un paysan aisé du haut du panier; qui pouvait investir dans ses propriétés ou à la ville Aujourd’hui, il est dans la misère, parce que la revalorisation des prix n’ayant pas suivi l’érosion monétaire (et de loin !), les »instances » européennes ont PARTOUT remplacé les justes prix à la production par des subventions (on remarquera l’analogie frappante avec le cancer éolien….) : ce même agriculteur a aujourd’hui besoin d’au moins 60 à 80 bovins s’il ne veut pas mourir financièrement ; c’est ce qu’on appelle »La PAC ». On avait encore 3 millions d’agriculteurs en France en 1980. Aujourd’hui ils peinent à atteindre 500 000, et parmi eux, beaucoup sont dans une situation financière critique, de par des dettes déraisonnables. Ce qui transforme peu à peu les structures agricoles en une juxtaposition de véritables Kholkozes. Les 2500 000 agriculteurs chassés de leurs propriétés par ces politiques sont allés grossir les rangs des chômeurs et/ou s’ajouter au fardeau des préretraites ou retraites anticipées ou pas. On remarquera ainsi la déloyauté des gémissements sur la situation financière des retraites. On crée artificiellement des assistés par des politiques qui empêchent les petits et moyens indépendants de vivre normalement, et on laisse à la charge de la collectivité l’assistanat qui seul permet à ces personnes chassées de chez elles de survivre (on ne se reclasse pas dans de nouveaux métiers à 45 ans, c’est là une vue de l’esprit !)
On se plaint des partisans du »frexit ». S’ils ont une audience, ce n’est pas parce qu’ils seraient des fascistes ou des nazis ou je ne sais quoi encore, c’est à cause des réalités ! la réalité c’est qu’aucune union sincère et fidèle entre France et Allemagne n’est possible, c’est ainsi !
A ceux qui nous expliquent que c’est une évolution »naturelle » à laquelle on ne peut rien, j’oppose l’exemple du Japon. Une autre politique agricole était possible, et mieux, est encore possible si on le voulait réellement.
Le Japon a décidé de considérer l’agriculture comme un secteur stratégique qu’il n’est pas question de mettre à mal. Il y a donc des prix garantis par l’Etat (lequel ne veut pas connaître les »prix mondiaux »), et donc, qui suivent rigoureusement l’érosion monétaire. Les petits propriétaires exploitants n’ont donc jamais été chassés de leurs terres. Ils ont réussi à vivre normalement, et même fort bien, de leur travail. La garantie de l’Etat est si solide que le riz y est une monnaie : les agriculteurs japonais peuvent s’acquitter de leurs frais de notaire et de leurs impôts, pour 25 %, en sacs de riz ! (aucun journaliste ne l’a jamais dit aux français). Le résultat est là :
1) avec trois hectares à 30 km de Tokyo, un agriculteur japonais est un investisseur immobilier à Tokyo tellement il vit bien sur son petit jardin japonais cultivé avec amour et compétence dans ses moindres mètres carrés disponibles.
2) cette prospérité rurale japonaise a fait naître une industrie de la petite motoculture qui est devenue au fil du temps, la première au monde devant même les italiens du nord, qui sont portant très performants dans ce domaine.
Le sérieux et la fiabilité de Honda a remplacé les increvables légendaires moteurs Bernard français, qui pourtant étaient longtemps ce qui se faisait de mieux dans le monde entier (je sais de nombreux moteurs Bernard qui fonctionnent encore parfaitement et qui fonctionneraient encore longtemps s’il existait des pièces détachées en quantité suffisante).
Qui ne connaît les petites et moyennes tronçonneuses Iseki, les débroussailleuses Iseki, les microtracteurs Kubota, les matériels Shindaïwa, etc, etc ?
Et maintenant, les constructeurs japonais s’attaquent aux gros matériels : le tracteur Kubota 4RM de 130 CV fait actuellement un tabac aux USA, et commence à s’implanter chez nous. D’aucuns affectent de mépriser cette percée, mais il va se passer la même chose que pour les automobiles. Iseki s’attaque aux moyennes et grosses tronçonneuses et s’est fixé comme but d’éliminer les rois Jonsered, Stihl, Husqvarna, Dolmar, etc. Les belles marques françaises ont disparu depuis longtemps, avec le naufrage dramatique des matériels Bernard.
On notera que loin d’avoir favorisé l’agriculture au détriment de l’industrie, le choix des japonais a au contraire stimulé à la fois l’un et l’autre de ces secteurs, puisque l’industrie de la petite motoculture est devenue si prospère qu’elle commence à mordre dans la grande industrie, en s’attaquant aux gros matériels agricoles qu’elle vend très bien aux USA et dans le reste du monde développé. Ainsi, les japonais ont prouvé que l’agriculture, loin d’être un fardeau pour l’industrie, peut en être un partenaire prospère.
Quand Monsieur Asselineau explique que l’Europe ne nous rend pas ce que nous lui avons donné et que nous lui donnons, ce n’est pas un discours électoraliste (la preuve : il peine à dépasser 1 % dans les scrutins réels), c’est parce qu’il a parfaitement compris la triste vérité. Dans un couple, si un seul aime l’autre, c’est le divorce assuré, à terme. Donc d’une façon ou d’une autre, par l’attitude de l’Allemagne, la France sera bien obligée de suivre son chemin à elle, ou, à défaut, de se vassaliser à l’Allemagne et de réaliser sans guerre le rêve des nazis, qui était de réserver à la France le sort d’être un parc essentiellement rural peu peuplé pour
riches retraités des vaillants aryens, ne dépassant pas 20 millions d’habitants actifs (voir le livre »Hitler m’a dit » de Rauschning).