
Ancien cadre dirigeant à EDF et Gaz de France, François Henimann est ingénieur et consultant dans le domaine de l’énergie, et justifie d’une expérience professionnelle dans les réseaux d’électricité et de gaz. Aujourd’hui en charge de l’Observatoire énergie climat de l’Institut Sapiens, il dirige ce laboratoire d’idées indépendant et non partisan, qui tient l’humanisme pour valeur fondamentale, rassemble des experts de tous horizons et a pour objectif d’éclairer le débat économique et social en France et en Europe par la diffusion de ses idées. C’est dans cette optique qu’il a bien voulu répondre à nos questions au sujet d’une note (1) sur le tarif de l’électricité publiée récemment par l’Institut.
The European Scientist : Vous avez publié récemment une étude sur le prix de l’électricité. Vous avez analysé l’évolution depuis 2021. Quels sont les principaux enseignements de vos travaux à ce jour ?
François Henimann : Le prix de l’électricité pour les ménages a bondi de 45 % entre 2021 et 2024, le tarif régulé de vente de l’électricité (TRVE) progressant de 194 à 281 €/MWh TTC. Cela en raison de la crise énergétique qui a débuté à l’été 2021 avec l’envol du prix du gaz, aggravée en 2022 par les conséquences de la guerre en Ukraine et de la chute de la production nucléaire d’EDF : au sein du prix total, la composante énergie a progressé de 59 à 150 €/MWh TTC.
Les prix de l’électricité sur le marché à terme étant revenus en 2025 à un niveau de l’ordre de 85 €/MWh TTC, le TRVE est en diminution de 15 % à 239 €/MWh TTC. Mais il subsiste une hausse de 45 €/MWh TTC depuis 2021, dont près de 20 €/MWh sont imputables au tarif de transport et de distribution de l’électricité (TURPE), qui a augmenté de 29 % depuis 2021, afin de financer les investissements de raccordement des énergies renouvelables (notamment l’éolien en mer) et des stations de recharge des véhicules électriques.
Au total, sur une facture d’électricité de 1.000 € TTC, la fourniture d’électricité représente environ 330 €, le TURPE 290 €, les taxes (TVA et accise sur l’électricité) 310 €, le solde de 70 € représentant les frais de commercialisation, dont 25 € pour financer les Certificats d’Economie d’Energie (CCE).
Les CCE étant appelés dans l’avenir à financer une bonne partie des subventions aux véhicules électriques (370 M€ pour le leasing social électrique) et de «Ma Prime Renov », en relève du budget de l’Etat, il faut craindre une forte augmentation de la part des CCE dans la facture …
TES. : Vous êtes assez critique à l’égard du tarif régulé de l’électricité. Pourquoi cela ne protège-t-il pas vraiment le consommateur ?
F.H. : Le tarif régulé de vente de l’électricité (TRVE), que seul EDF est habilité à proposer aux consommateurs, est par construction un majorant du prix de l’électricité, en raison de son mode de calcul qui doit permettre à tout fournisseur présent sur le marché de pouvoir proposer une offre plus compétitive : c’est le principe de « contestabilité », condition impérative imposée par la Commission Européenne pour conserver à titre dérogatoire un tarif régulé.
Pour se faire, la composante énergie (en-dehors de la part d’électricité nucléaire à coût fixe, qui disparaitra fin 2025) est calculée à 100 % sur les prix à terme du marché de l’électricité, sans lien direct avec les coûts moyens de production en France.
Le TRVE est donc avant tout une protection pour les fournisseurs pur traders, parasites du système, qui peuvent se positionner sur le marché sans avoir investi dans des moyens de production, ni conclu de contrats de fourniture avec des producteurs.
Comme le propose l’Autorité de la Concurrence, il est possible de remplacer le TRVE par la publication sous la responsabilité de la Commission de Régulation de l’Energie (CRE) d’un prix repère de l’électricité, qui permette au consommateur de situer les offres du marché, comme cela a été fait pour le gaz. En tout état de cause, EDF est en mesure de proposer aux consommateurs une offre fondée sur ses coûts de production.
TES. : Vous n’épargnez-pas la PPE3 et ce que vous appelez « le développement à marche forcée des ENR intermittentes ». Quel serait le modèle à suivre ?
F.H. : La compétitivité du parc de production français repose fondamentalement sur un mix d’électricité décarboné nucléaire et hydraulique, qui représente plus de 80 % de la production. La priorité est donc de prolonger la durée de vie des réacteurs nucléaires et d’assurer le renouvellement du parc, et de relancer les investissements dans le parc hydraulique, ce qui suppose de trouver une solution au conflit avec la Commission UE sur la mise en concurrence des concessions.
Le développement de l’éolien et du solaire, qui a débuté à la fin des années 2000 avec le « Grenelle de l’Environnement » est un complément utile, jusqu’à une capacité correspondant à un mix équilibré, et à condition de limiter le montant des subventions et des investissements sur les réseaux de transport et de distribution.
Or, avec une capacité en service qui atteint 25 GW d’éolien et 25 GW de solaire, soit l’équivalent en puissance de 50 réacteurs nucléaires (à comparer à 61 GW de nucléaire et 26 GW d’hydraulique), le point d’équilibre est déjà dépassé : cela se traduit par des périodes de surproduction, quasi quotidiennes en été pendant les heures méridiennes, et qui ont conduit en 2024 à effacer 30 TWh de production nucléaire (sur une production potentielle de 390 TWh), et même 1,5 TWh de production solaire et éolienne (sur une production de 70 TWh).
Dans la même année, la France a exporté 89 TWh d’électricité, ce qui montre que la capacité de production d’électricité est suffisante pour satisfaire les besoins des 10 prochaines années, y compris pour l’électrification des usages et un début de réindustrialisation.
Il n’y a donc aucune raison de multiplier par 3,5 la production solaire et éolienne en 10 ans, comme le prévoit la PPE 3, à un coût prohibitif de l’ordre de 20 milliards d’euros (Md€) par an, qui serait répercuté sur les factures d’électricité, sous forme de renchérissement du coût du MWh nucléaire, d’augmentation du TURPE et de la taxe accise sur l’électricité.
Ce coût, qui peut être comparé aux 43 Md€ annuels d’effort budgétaire présentés par le PM pour redresser les finances de la France, peut être économisé, en limitant le développement de ces énergies intermittentes hors subvention, avec des contrats d’achat privés (PPA) conclus avec des grands consommateurs (comme Google, Renault, …), et l’autoconsommation pour le solaire.
A titre d’exemple, le développement de l’éolien maritime nécessite à lui seul un investissement de 4 Md€ par an sur le réseau de transport, alors que les investissements de RTE étaient jusqu’à présent de l’ordre de 2 Md€ par an.
TES. : Quels sont vos pronostics concernant les tarifs à venir pour les prochaines années ?
F.H. : Dès 2026, le coût de la fourniture sera exposé à 100 % au prix de marché, après la fin du dispositif ARENH (Accès Régulé à l’Electricité Nucléaire Historique), avec pour seule protection la redistribution sous forme de « reversement nucléaire universel » d’une taxe sur la production nucléaire d’EDF, à des niveaux dépassant largement le coût de production : selon nos calculs, en phase avec l’étude publiée par UFC-Que choisir en février dernier (2), cela conduit à une augmentation du coût de fourniture de l’ordre de 20 %, à prix de marché à terme équivalent, et en augmente la volatilité.
La programmation du développement de l’éolien et du solaire de la PPE 3 conduirait par ailleurs à une augmentation supplémentaire du TURPE de 17 %, soit 15 €/MWh TTC, et de la taxe accise sur l’électricité de 23 €/MWh , soit au total environ 38 €/MWh TTC.
Au total, le prix de l’électricité est exposé à une hausse de 30 %, sans compter le transfert des subventions du budget de l’Etat sur les CCE (cf plus haut). Avec les conditions de marché prises en compte pour le calcul du TRVE en 2025, cela correspond à une augmentation de 239 à 312 €/MWh TTC, soit 60 % d’augmentation par rapport au niveau de 2021.
TES. : Quelles réformes préconisez-vous pour le marché français de l’électricité ? Quid du marché européen ?
F.H. : Lors de la table ronde organisée en mai dernier par la commission des affaires économiques de l’Assemblée Nationale sur les prix de l’électricité, l’association des grands consommateurs d’énergie (CLEEE) (3) a considéré que le « reversement nucléaire universel » présentait « les mêmes défauts que l’ARENH, et aucun de ses avantages », car il ne transfère pas au consommateur la compétitivité et la stabilité du coût du nucléaire.
Seuls les très gros industriels électro-intensifs sont en mesure de négocier avec EDF un Contrat d’Allocation de Production Nucléaire (CAPN) à prix compétitif sur le moyen terme, pour un volume global espéré de 30 TWh.
La réforme que nous préconisons consiste à baser de façon stable 65 % du coût de fourniture de la facture de l’ensemble des consommateurs (particuliers et entreprises) sur un véritable prix régulé de la production nucléaire, représentatif de son coût complet, calculé et réactualisé périodiquement par la CRE : selon le volume de production, ce coût est de 60 à 65 €/MWh en 2025, intégrant le financement des investissements de prolongation de durée de vie du parc, et l’amortissement de l’EPR de Flamanville.
A cet effet, il faut corriger les défaillances de la loi NOME qui a mis en place le système ARENH : le prix initial de 42 €/MWh n’a jamais été réactualisé, et aucune obligation n’était imposée aux fournisseurs pour avoir accès au sourcing d’électricité nucléaire.
Il faudrait imposer aux fournisseurs, pour avoir accès au marché aval, de s’engager auprès du producteur nucléaire régulé avec des contrats « take or pay », et de prouver, pour le volume de 35 % de fourniture en concurrence, la constitution d’un sourcing de moyen et long terme basé sur un parc de production, des contrats de type PPA auprès de producteurs, et des contrats d’achat d’électricité à terme sur le marché de gros, le tout sous la surveillance de la CRE.
Ce dispositif permet également de faire « d’une pierre deux coups » en offrant les conditions optimales de financement des nouveaux réacteurs nucléaires, car un prix régulé calculé sur le même principe que pour les investissements réseaux (TURPE) permet de minimiser les risques, et donc le coût du financement, composante déterminante du coût du MWh nucléaire.
Alors que le dispositif que la France s’apprête à soumettre à la Commission UE repose sur un prêt à taux 0 de l’Etat français à EDF pour couvrir 50 % de l’investissement des 6 premiers réacteurs EPR2, et un contrat avec complément de rémunération, comme pour l’éolien et le solaire. Mais il n’est pas précisé qui prendra en charge les intérêts du prêt – fiscalité générale ou facture d’électricité ? -, et, d’autre part, un contrat de complément de rémunération n’est pas l’outil idéal pour financer sur 80 ans un parc nucléaire : visibilité limitée dans le temps, pas de couverture des risques projet, redistribution étatique massive, et, enfin, obligation d’effacement lors des périodes de prix spot négatifs …
Le dispositif proposé n’est pas incompatible avec le marché européen (la loi NOME avait été élaborée dans ce cadre), et il est parfaitement possible de le négocier avec la Commission Européenne, conjointement avec le règlement du contentieux relatif aux concessions hydrauliques.
(1) Contribution-Institut-Sapiens-mission-parlementaire-sur-le-prix-de-lelectricite-juin-2025-1.pdf
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