Un quart de siècle à dormir sur les lauriers d’un parc nucléaire amorti financièrement, sans la volonté d’un projet politique à long terme sur l’énergie sont en passe de déterminer un choix que nous n’avons pas osé faire pour raison électorale.
La disqualification de l’énergie nucléaire qui en résultera prive malheureusement la France de la seule alternative connue aux hypothèses des énergies renouvelables.
Champion du climat toutes catégories avec moins de 3,7gCO2eq/kWh Contrairement à une idée largement répandue, la comparaison de l’empreinte carbone des différentes filières tient compte de l’analyse de l’ensemble de leur cycle de vie (ACV), et prend en compte aussi bien les émissions liées à la construction des centrales, à l’extraction des combustibles, au transport et à l’enrichissement de l’uranium, au démantèlement et au stockage des déchets. La dernière étude d’EDF sur le sujet [1] l’illustre ci-dessous pour le cycle du combustible.
(Source Plaquette d’information sur l’étude EDF)
Cette étude de 88 pages répond aux exigences des normes ISO 14044 et ISO/TS14071, a été validée par un panel d’experts indépendants et prend en compte les différents gaz à effet de serre émis à chaque étape, qu’elle exprime en CO2eq, ou équivalent CO2, (sur une période de 100 ans). Notamment le fameux SF6, dont le potentiel de réchauffement global (PRG) à 100 ans est 23 500 fois supérieur à celui du CO2, selon l’Ademe, et qui est actuellement présent dans tout système électrique, éoliennes comprises.
Publiée en juin 2022, cette étude détaille chaque étape de la filière pour évaluer de très nombreux indicateurs de l’impact sur l’environnement, dont celui de l’ « épuisement des ressources », des « radiations ionisantes » et bien d’autres, comme ses effets sur le milieu aquatique ou sur les sols.
L’indicateur « Changement climatique », se focalise donc sur l’équivalent CO2 des émissions de chacune des étapes nécessaires pour produire chaque kWh.
En considérant l’ensemble du parc français pour une durée de fonctionnement de 40 ans, cet indicateur est chiffré à 3,7gCOeq/kWh.
Et moins encore (3,4gCO2eq/kWh), en cas de prolongation des centrales à 60 ans.
Ce chiffre est d’ailleurs confirmé par le GIEC (2018) qui retient respectivement 3,7g/12g/ 110g, pour minimum/médiane/maximum pour le nucléaire. Les résultats étant différents selon les pays, notamment en raison de la composante carbone de l’énergie nécessaire pour les mettre en œuvre..
Ce qui consacre d’autant mieux le nucléaire français comme le champion toutes catégories du climat, qu’aucune production fossile ou moyen de stockage complémentaire n’est nécessaire pour lisser sa production en fonction des aléas météorologiques.
L’adoubement européen
C’est la raison pour laquelle, le 2 février 2022, la Commission européenne a proposé une mesure complémentaire à la taxonomie, (nomenclature permettant de prétendre au « financement vert ») « Complementary Climate Delegated Act to accelerate decarbonisation » [2] qui inclut le nucléaire (et le gaz) parmi les technologies permettant d’accélérer la décarbonation de l’économie. Et le 6 juillet, Le Parlement européen rejetait une proposition [3] qui s’opposait à cette inclusion des activités nucléaires et gazières à la liste des activités durables sur le plan environnemental.
Pour autant, ces activités n’étaient ainsi validées qu’à titre transitoire, notamment en raison de la problématique des déchets nucléaires et des émissions du gaz.
La fermeture du cycle pour un nucléaire durable
Lors de son audition devant l’Assemblée nationale [4], l’ancien Haut commissaire à l’énergie atomique, Y. Bréchet rappelle ses précédentes conclusions (rapport 2017).
« La fermeture du cycle est une condition indispensable pour un nucléaire durable, quelle qu’en soit la proportion · Les RNR sodium sont la technologie la plus mature pour réaliser cette fermeture. · Ne pas fermer le cycle contraint le politique à faire par anticipation un choix de sortie du nucléaire, alors même qu’il n’est pas assuré que les technologies pour s’en passer soient disponibles (…) · Faire le choix de la fermeture du cycle laisse au politique, à la mesure des progrès dans les ENR, la possibilité de choisir, au lieu de se laisser forcer la main par des doctrinaires.
Voilà les informations auxquelles les décideurs politiques avaient accès, quand bien même ils n’auraient pas lu ou fait lire les rapports détaillés qui avaient précédé et que leurs conseillers techniques avaient eus en main. »
Ces perspectives, face à l’urgence climatique, sont la raison d’un retour en grâce du nucléaire français qui se trouve malheureusement confronté à 3 chantiers hors normes
- Celui de l’EPR2 qui accumule des retards après que 25 années concentrées sur la seule maintenance de ses réacteurs et la préparation à leur démantèlement aient altéré son tissu industriel.
- Celui du grand carénage [5], destiné à rénover ou remplacer les gros composants arrivant en fin de vie technique, à réaliser les modifications nécessaires à l’amélioration de la sûreté et à assurer la pérennité de la qualification des matériels après 40 ans. (Aux USA, les prolongations vont jusqu’à 80 ans [6] désormais, l’AIEA envisageant même 100 ans [7]). Ce chantier est colossal et comprend notamment la construction d’immeubles neufs pour les équipes projets, d’un village pour les prestataires et d’un local de crise. Cette prolongation du parc (long term operation, ou LTO), estimé à 50 milliards d’euros [8], n’en représente pas moins, et de très loin, la façon la plus économique de produire de l’électricité, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE) [9], toutes filières confondues. Et permet de disposer d’un parc nucléaire remis à neuf avec des exigences de sécurité encore renforcées, notamment post Fukushima.
(Source EDF)
Au 9 décembre, 8 unités de 900MW étaient revenues sur le réseau après cette modernisation.
- Et enfin, le fameux problème de corrosion sous contrainte du circuit conventionnel qui a entrainé la fermeture non planifiée des réacteurs suspectés et la découpe sacrificielle de leurs tuyauteries pour expertise Selon Actu Environnement [10], « EDF a déjà achevé la réparation de six d’entre eux. Trois étaient bien affectés par le phénomène : Chinon B3, Civaux 1 (Vienne) et Flamanville 2 (Manche). En revanche, Cattenom 4 (Moselle), Bugey 4 (Ain) et Tricastin 3 ont été réparés après des contrôles destructifs qui ont montré l’absence de CSC. Cinq autres réacteurs, sur lesquels des indications de CSC ont été détectées, sont en cours de réparation. » EDF continuera ses contrôles en 2023 et 2024 à l’occasion des arrêts programmés.
Trois travaux d’Hercule destinés à rénover et renouveler le parc de production qui avait fait de la France le principal exportateur mondial d’électricité, tout en améliorant ses exigences de sécurité, pour un coût défiant toute concurrence.
Cette situation exceptionnelle, aggravée par les conséquences de la crise sanitaire, pour les maintenances et par celles de la guerre en Ukraine, pour la restriction du recours au gaz, a amené la France, pour la première fois de son histoire, à être importateur net d’électricité sur plus de 12 mois consécutifs, entraînant un déficit commercial de 6,2 milliards d’euros sur ces 12 derniers mois [11] alors que le pays était jusqu’alors 1er exportateur mondial d’électricité quasiment chaque année depuis 1990.
Pour autant, le caractère programmable des maintenances a permis de faire pour le mieux avec ce qu’il restait, c’est à dire une remontée en puissance avec ¾ des réacteurs disponibles à l’entrée de l’hiver, contre moins de la moitié quelques mois plus tôt.
L’abandon du caractère durable
La France était pionnière mondiale de la fermeture du cycle, avec Superphénix, dont l’arrêt a été décidé en 1997 pour raison d’accord électoral entre PS et Verts, ainsi que le rappelle le rapport Montesquiou du Sénat [12], qui mentionne « Votre rapporteur constate que, en dépit des gages donnés par le Premier ministre à l’aile écologiste de sa majorité, les dissensions sur la question nucléaire persistent et se retrouvent jusqu’au niveau gouvernemental.
Cette situation risque d’aboutir à une remise en cause insidieuse du programme électronucléaire français, et d’affaiblir la voix de la France lorsque celle-ci aura à exprimer sa position sur les questions nucléaires au sein des instances européennes. » On sait désormais que la voix de la France aurait été effectivement faussée [13], 3 ans plus tard à Bruxelles, en faisant en sorte de ne pas inclure le nucléaire au sein des énergies relevant des mécanismes Kyoto de flexibilité dits « de développement propre », (MDP) à l’instar de l’éolien ou du photovoltaïque. Parmi ces mécanismes, la Mise en œuvre conjointe (MOC) permet à un pays investisseur d’obtenir des crédits d’émissions en investissant dans de tels projets de réduction ou d’évitement des émissions de GES dans un pays hôte lui même industrialisé.
Le caractère durable de la surgénération, ainsi abandonnée, se caractérise également par les 5000 ans de réserve de combustible [14] actuellement stockés par la France pour de tels réacteurs, ainsi que leur capacité à réduire les déchets [15], en quantité et en dangerosité.
Il serait irresponsable de se priver d’une telle alternative au fragile équilibre des énergies intermittentes [16], dont les problèmes semblent progresser plus vite que les coûteuses solutions destinées à les résoudre.
Sauter le l’avion en tricotant son parachute
Lors de son audition, Yves Bréchet a dénoncé en ces termes les raisons de cette «inconscience de sauter d’un avion en pariant qu’on aura tricoté le parachute qui évitera de s’écraser au sol », en condamnant le nucléaire à disparaître après son rôle uniquement ponctuel de transition « étouffé sous ses propres déchets ». Car « Actuellement, personne n’est capable de dire quelle proportion d’énergies dé-carbonées non nucléaires est compatible avec nos sociétés industrielles. On ne sait pas quelles sont les capacités de stockage réalistes, on ne sait pas les modifications indispensables du réseau de distribution, on ne sait pas quelle part de production et de consommation localisées est compatible, non seulement avec un mix énergétique donné, et enfin la production à partir d’énergies fossiles d’une électricité dé-carbonée rendue possible par un stockage de masse du CO2 est à ce jour un vœu pieux. »
Or « Ne pas fermer le cycle, c’est rendre le nucléaire non viable parce que non durable ; c’est tout simplement irresponsable, et c’est politiquement indéfendable car on prive le politique d’une marge de manœuvre et, de facto, on «décide » à sa place. »
Ce n’est pas d’une inflexion politique que la France a besoin aujourd’hui, mais du courage d’une volte face.
1 https://www.sfen.org/rgn/les-emissions-carbone-du-nucleaire-francais-37g-de-co2-le-kwh/
6 https://www.nrc.gov/reactors/operating/licensing/renewal/subsequent-license-renewal.html
7 https://world-nuclear-news.org/Articles/Nuclear-plants-could-safely-operate-for-100-years,
9 https://www.iea.org/reports/projected-costs-of-generating-electricity-2020
11 https://lekiosque.finances.gouv.fr/site_fr/NC8/Resultat_nc.asp?lanc=27160000
12 https://www.senat.fr/rap/r99-320/r99-320_mono.html
13 https://twitter.com/DocuVerite/status/1600197740411072512?s=20&t=K4BLi1zh6C96CboujZpbgg
14 https://www.sfen.org/rgn/astrid-avancee-marquante-rapide/
15 https://www.sfen.org/rgn/empreinte-ecologique-reacteurs-4e-generation/
16 https://www.europeanscientist.com/fr/opinion/leurope-sous-tension/
Image par Gerd Altmann de Pixabay
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