A l’occasion de la pandémie Covid-19, les médias ont largement relayé l’hypothèse selon laquelle la recrudescence des maladies virales serait la conséquence de la destruction de la biodiversité et des forêts tropicales. Ce qui, chez certains, se traduit par « la nature se venge » des exactions dont elle est l’objet. Affirmer l’existence d’une relation de causalité entre ces deux événements était pour le moins prématuré si l’on en croit la synthèse scientifique réalisée par la FRB (Fondation pour la Recherche sur la Biodiversité) et dans laquelle les experts restent très prudents quant aux origines de la pandémie ! Mais dans ce même document les solutions proposées (interdire de consommer de la viande de brousse et multiplier les aires protégées où l’homme serait exclus) relèvent par contre d’une démarche typiquement écocentrée qui réduit les populations concernées au simple rôle de variables d’ajustement, une position difficilement recevable sur le plan éthique.
Limiter la croissance démographique : un problème éthique
Ces discours sur la responsabilité des hommes dans la pandémie, détournent en réalité l’attention de questions qui sont restées depuis des décennies sans réponses, et notamment celle de la démographie humaine qui est à l’origine de ces débats. Si l’on raisonne simplement, la forte croissance démographique dans les pays en développement, entraine automatiquement plus de besoins en matière d’espaces et de ressources naturelles et agricoles… Comme nous l’avons fait en Europe au Moyen Age (le grand essartage…), on gagne des territoires agricoles au détriment des zones humides et des forêts. Peut-on faire autrement et y a-t-il des solutions pour limiter la croissance démographique ? Certains parlent de contrôle des naissances … une question très sensible du point de vue éthique et politique. Quelques pays s’y sont essayé dont la Chine avec la politique de l’enfant unique qui a été peu à peu assouplie puis abandonnée, du fait de la résistance des paysans ! Elle n’a pas été entièrement inutile puisqu’elle a ralenti la progression de la population mais cette politique par ailleurs très coercitive, a montré ses limites. En Inde, ce sont les religions qui freinent la mise en place d’une planification familiale…. Alors que peut-on faire ? Soit on tente d’imposer par la force une régulation des naissances (ce qui semble difficilement réalisable…), où alors on prend acte de cette situation, et on essaie de s’y adapter en assumant les conséquences. Vaste sujet de débat, mais dans la mesure où la transition démographique tarde à se concrétiser, même si on peut faire preuve d’un peu d’optimisme pour certains pays, il semble y avoir peu de solutions alternatives crédibles ! Quelle est alors la raison pour que des scientifiques s’entêtent depuis des décennies à recommander de manière récurrente le contrôle des naissances alors qu’un tel processus reste du domaine de la fiction au niveau de son application et sans qu’ils proposent de solutions concrètes à ce problème ?
Viande de brousse et déforestation, une nécessité vitale ?
Les contacts entre humains et faune sauvage, quant à eux, ont toujours existé. Les chasseurs cueilleurs et les peuples des forêts, par exemple, se nourrissent de viande de brousse, ainsi que tous ceux qui vivent en lisière des forêts. La viande de brousse dans les pays pauvres est un élément de base de l’alimentation en l’absence d’autres ressources. Mais cela fait aussi partie d’une tradition bien ancrée dans ces pays pauvres, comme dans beaucoup de pays développés d’ailleurs.
On peut faire l’hypothèse que plus il y a d’êtres humains dans une région du globe, plus il se crée de besoins en terres agricoles (d’où la déforestation), et plus la demande en viande de brousse est importante elle aussi. Il en résulte une pression accrue sur la faune sauvage et par voie de conséquences de plus grandes probabilités de contacts ! Si par ailleurs il est acquis que plus la biodiversité est riche, plus il y a de virus, on est alors dans une situation qui semble des plus favorables au déclenchement de nouvelles épidémies. La mondialisation et l’accroissement des échanges internationaux vont se charger du reste, c’est-à-dire de la diffusion à l’ensemble du monde de maladies qui restaient autrefois circonscrites à un territoire…
Dans ce contexte qui prévaut dans plusieurs pays en développement, la destruction de la biodiversité souvent évoquée, est ainsi la conséquence d’une situation conjoncturelle due à la surpopulation et aux besoins croissants en ressources alimentaires. Ce n’est pas le résultat d’un comportement inconséquent et d’une prise de conscience insuffisante, mais c’est une nécessité vitale ! On ne peut ignorer bien entendu que s’ajoute à cela l’urbanisation et une économie prédatrice. Mais le poids relatif de cette dernière dans le phénomène de grignotage des terres, variable selon les pays, serait à mieux préciser avant d’en faire une généralisation.
La pauvreté érode la biodiversité
A cela s’ajoute un autre paramètre assez peu évoqué : la pauvreté. Car surpopulation va souvent de pair avec misère, une corrélation qui, celle-là, parait malheureusement solide ! Dans une telle situation, les ressources naturelles permettent de survivre (voir les situations environnementales dégradées autour des camps de réfugiés par exemple) et de capitaliser pour pouvoir acheter les produits technologiques que nous produisons… Ce qui explique en grande partie le braconnage qui est une véritable institution partout dans le monde malgré les législations le plus souvent inopérantes et qui sont systématiquement contournées en dépit des pénalités. Imaginer que l’on puisse régler cette question par la loi parait ici encore bien utopique ! On peut être certains que les circuits parallèles prendront le relai…
Si la pauvreté est une des grandes causes de l’érosion de la biodiversité, c’est à ce niveau qu’il faudrait agir, et pas seulement en fabriquant des slogans du type « développement durable » et « one earth one health » qui ne sont en général suivis d’aucune action concrète au niveau des pauvres mais qui donnent bonne conscience à ceux qui les manient ! Les êtres humains qui vivent dans la misère ont pour représentation du paradis nos modes de vie occidentaux. Et ils sont prêts à tout pour y accéder. L’image d’Epinal élaborée par l’anthropologie, de peuples premiers respectueux de la nature, s’est largement ébréchée (1) et résiste mal, elle aussi, à la croissance démographique.
Refuser les incantations et le néocolonialisme
Nous sommes ainsi dans une sorte de cul de sac intellectuel… qui se traduit par des propositions théoriques mais souvent inapplicables à grande échelle qui finissent par devenir des incantations à l’exemple de la régulation des naissances. C’est le cas notamment des propositions faites dans le document de la FRB (2) qui reprennent in fine les idées de certaines ONG internationales :
l’interdiction de manger de la viande de brousse sous peine de sanctions et la mise en place d’un nombre croissant d’aires protégées… dont les hommes sont exclus. Ces mesures qui peuvent superficiellement sembler logiques, ne répondent absolument pas aux problèmes de fond évoqués ci-dessus : nourrir des hommes de plus en plus nombreux, et réduire la pauvreté ! Les problèmes auxquels nous sommes ici confrontés sont éminemment politiques et ont d’importantes implications sociales. On s’interroge donc sur le décalage entre une situation connue de tous ceux qui pratiquent un peu les pays en développement, et les recommandations totalement inadaptées mais constamment réitérées de certains scientifiques, par rapport à ce cul de sac intellectuel évoqué ci-dessus. Elles contribuent, en réalité, à exacerber les clivages nord/sud, sans pour autant apporter de solutions.
Comme le disait déjà à l’UNESCO le représentant du Brésil, en 1973 (3), et la situation a peu changé… « le problème n’est pas d’exterminer illico l’espèce humaine, au nom de l’équilibre écologique, mais bien de continuer à exercer notre art d’exploiter les ressources naturelles, et le plus longtemps possible … On prône ici la réduction de l’espèce humaine, là, on préconise la diminution de la consommation quand ce n’est pas les deux à la fois… Ce qu’il y a de plus curieux dans ces conclusions, c’est que ceux qui concluent tendent généralement à administrer leurs remèdes («ne vous multipliez pas, consommez moins») à une communauté qui n’est pas la leur! ». En termes moins diplomatiques, cela s’appelle du néocolonialisme !
(1) On lira avec intérêt sur cette question l’ouvrage de l’anthropologue anglais Nigel Barley : « un anthropologue en déroute ».
(2) FRB- Mobilisation de la FRB par les pouvoirs publics français sur les liens entre Covid-19 et Biodiversité. https://www.fondationbiodiversite.fr/actualite/covid-19-et-biodiversite-mobilisation-de-la-frb-par-les-pouvoirs-publics-francais-sur-les-liens-entre-covid-19-et-biodiversite/
(3) Miguel Ozorio de Almeida, 1973. Le mythe de l’équilibre écologique ». in le courrier de l’UNESCO , n° spécial : « pour que terre demeure ».