Le 26 mai les européens pourront voter pour élire de nouveaux députés. Cette élection sera sans doute l’occasion de faire le point sur de nombreux sujets de discorde. Parmi, eux, l’agro-industrie et les nombreux problèmes qu’elle soulève parmi les états membres. Pourtant la solution à ce problème est-elle politique ? Ou passe-t-elle par le nouveau concept d’agriculture intelligente qui creuse progressivement son sillon ?
Pour une attribution plus intelligente des fonds
L’affaire commence à faire du bruit en France. Pour la période 2014-2020, l’Union européenne aurait versé près de 700 millions d’euros d’aides au développement de projets ruraux avec parmi plusieurs objectifs, l’achat de matériel agricole. La loi est stricte sur ce sujet : l’argent qui n’a pas été dépensé doit être rendu. Le problème étant qu’à quelques mois de la date butoir, la France n’aurait alloué que 4 % de la somme en question et ce, paraît-il, à cause de problèmes de lenteurs administratives et d’un logiciel. Quand on songe à quel point la modernisation de l’agriculture est un sujet stratégique, on a du mal à croire à cette histoire et on se dit qu’il est temps que les pouvoirs publics et les agriculteurs travaillent main dans la main pour faire un bon usage de ces fonds. Si une vision claire de la transformation agricole était connue à la fois des décideurs et des utilisateurs, alors on pourrait espérer que ce genre de gabegie soit évitée. Tout cela laisse songeur sur la réorganisation de la PAC post-2020, d’autant plus que comme l’affirme Phil Hogan, commissaire européen en charge de l’agriculture, « La proposition de la Commission met l’innovation et surtout la numérisation au cœur de la nouvelle PAC. Chaque État membre devra expliquer ce qu’il compte faire pour encourager l’utilisation des outils agricoles, pour améliorer l’innovation et la numérisation (agriculture de précision, utilisation de satellite). »
Pour un usage plus intelligent des intrants
Comme on l’a appris le 29 janvier 2019, la Commission européenne a obtenu la majorité qualifiée pour que le glyphosate soit autorisé cinq ans de plus, soit, jusqu’en 2022. La France, un des pays membres les plus récalcitrants, a finalement rejeté son son interdiction, mais cela n’a pas été sans créer des remous dans l’opinion. Les ONG sont montées au front et ne risquent pas d’abandonner leur cause qui semble si populaire. Faut-il rappeler qu’en France, près de 8 personnes sur 10 réclamaient une interdiction immédiate du glyphosate. Or le rejet par l’opinion publique des pesticides est une chose, la crainte des conséquences du changement climatique en est une autre : la nécessité d’économiser les ressources d’eau potable et de terre arable, d’économiser l’énergie… en bref, de faire plus avec moins pour nourrir neuf milliards d’habitants en 2050. Tous ces impératifs correspondent totalement aux objectifs de l’agriculture de précision. Comme le rappelle un une étude de prospective scientifique sur l’agriculture de précision et l’avenir de l’agriculture en Europe, rédigée par le Parlement Européen, « Les méthodes de l’agriculture de précision promettent d’augmenter la quantité et la qualité de la production agricole tout en utilisant moins d’intrants (eau, énergie, engrais, pesticides, etc.). L’objectif est de réaliser des économies de coûts, de réduire les incidences sur l’environnement et de produire des aliments en plus grande quantité et de meilleure qualité ».
Pour une législation plus intelligente sur les NBT
Depuis la directive 2001-18 l’Europe est sans doute le continent qui a la législation la plus contraignante sur les biotechnologies végétales, ce qui a eu pour conséquence de retarder le développement de celles-ci, alors que partout dans le monde leur croissance est exponentielle (à titre d’indicateur, en 2017, l’ISAAA a compté dans le monde plus de 189 millions d’hectares). Un nouvel espoir a surgi pour l’Europe avec le développement des NBT (nouvelles biotechnologies) et plus particulièrement Crispr-Cas 9. Cette nouvelle technologie mise au point en 2012, par les chercheuses Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna a permis un grand nombre d’améliorations, dont celle d’accroître la précision de l’intervention sur le génome. Elle est reconnue comme étant plus précise, plus rapide, et surtout moins chère que les techniques d’édition génomique classiques. On voit donc surgir un nouvel espoir pour les petites structures européennes de biotechnologies qui peuvent imaginer rattraper leur retard, d’autant plus que la mutagenèse qui est permise par cette technologie n’était pas soumise a priori à la loi européenne sur les OGM… mais c’était sans compter hélas sur l’arrêt préjudiciel que la CJUE a rendu au courant de l’été 2018 et qui vient changer la donne et mettre un sacré coup de frein dans l’ambition des innovateurs potentiels comme nous l’avons vu dans notre éditorial sur la Mutagenèse et la la CJUE.
Il sera difficile à l’Europe d’affirmer qu’elle s’engage dans l’agriculture de précision sans pour autant dire qu’elle encourage les NBT qui représentent un pas essentiel de cette modernisation. Il ne faudrait pas que pour des considérations idéologiques on reparte dans des débats sans fin.
Pour une recherche plus intelligente, car participative
Depuis la Green Revolution, très souvent, les agriculteurs se plaignent d’être dépendants des grands de l’agro-industrie et d’avoir perdu leur autonomie. Or avec l’agriculture de précision, contrairement à ce que certains commencent à laisser entendre, on a les moyens d’impliquer également les agriculteurs dans l’effort de recherche. Ainsi, comme l’affirme un industriel d’une grande marque de machine agricole européens, « Les moissonneuses d’aujourd’hui sont des laboratoires mobiles. Avec un GPS, elles peuvent être contrôlées avec une grande précision et collecter simultanément une grande quantité de données sur les plantes et le sol ». Mais cela se retrouve surtout au niveau de la collecte des données comme l’a expliqué dans une longue tribune pour European Scientist Philippe Stoop : « La science participative, qui fait appel aux connaissances de ses futurs utilisateurs et parties prenantes de la société civile, est une des tendances fortes de la recherche actuelle. L’INRA s’est d’ailleurs fortement impliqué dans ce domaine. Toutefois, beaucoup de travaux de science participative restent très asymétriques : ce sont souvent les chercheurs qui sont les seuls acteurs de la synthèse réalisée à partir des connaissances informelles et peu organisées des parties prenantes mobilisées pour le projet. L’agriculture connectée offre l’opportunité unique aux agriculteurs de s’approprier les sujets de recherche qui les concernent, en produisant par eux-mêmes des données aussi intelligibles pour eux que pour les chercheurs qui vont les exploiter. Au-delà de ses effets sur le travail quotidien des agriculteurs, elle a donc un grand potentiel pour rapprocher la recherche de leurs besoins, et permettre aux politiques de mieux comprendre leurs pratiques. C’est à cette condition que l’agriculture pourra répondre aux nombreuses attentes de la société à son égard. »
Pour une relation plus intelligente avec les consommateurs
La perte de confiance des consommateurs dans la chaîne de production agro-alimentaire est sans doute un des symptômes les plus marquants de notre société. Ainsi, à la question « Quelles devraient être les deux responsabilités principales des agriculteurs dans notre société ?» les Européens sondés placent en tête « Fournir de la nourriture sûre, saine et de qualité élevée » à 60 %. Or comme nous l’avions vu dans un édito, la blockchain fournit des solutions inédites pour remédier à tous ces problèmes de confiance. C’est vrai notamment pour la traçabilité des aliments, mais également pour faciliter les échanges ou encore sécuriser un système d’approvisionnement ou un cadastre… On compte d’ores et déjà un nombre considérable d’innovations de la blockchain dans le secteur agro-alimentaire et les promesses à venir sont plus qu’encourageantes.
On pourrait encore trouver de nombreuses raisons de vouloir que la politique agricole commune dans les années à venir fasse le choix de l’agriculture intelligente. Mais, à ce jour, il convient surtout d’informer les électeurs et les politiques à son sujet et de les laisser faire les bons choix.
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