Le 2 février 2018, le National Toxicology Program[1] (ou NTP), programme gouvernemental de recherche américain en toxicologie, a diffusé deux rapports [1, 2] et un communiqué de presse[2] concernant les résultats d’études expérimentales sur les effets des ondes électromagnétiques radiofréquences, respectivement chez le rat et la souris. Initiée en 2003 et réalisée avec un budget de 25 millions de dollars US sur 10 ans, l’étude est présentée comme la plus complète jamais réalisée pour évaluer les effets d’une exposition aux ondes de téléphonie mobile sur la santé des rongeurs. Ces rapports sont actuellement soumis au processus de révision par un panel de scientifiques dont les analyses sont attendues pour fin mars, et ne sont donc pas considérés comme définitifs.
L’étude
L’objectif était d’identifier des effets potentiellement cancérogènes et toxiques chez deux espèces d’animaux de laboratoire (rats et souris) exposés de manière chronique à des champs radiofréquences pour deux fréquences (900 MHz et 1900 MHz) et des modulations de signal de type téléphonie GSM[3] (système européen et américain) et CDMA[4] (système américain) correspondant à la téléphonie de 2ème et 3ème génération (2G, 3G). Sans doute en raison de la date de début du programme de recherche, les systèmes plus récents ou émergents n’ont pas été considérés (4G, 4G-LTE, 5G).
La mise au point du dispositif d’exposition a fait l’objet d’un travail considérable en amont de l’expérimentation, afin de contrôler au mieux les conditions d’exposition et limiter les biais expérimentaux. Les enceintes d’exposition (chambres réverbérantes) entraînent une situation d’exposition de la totalité du corps des animaux comparable à celle d’émetteurs lointains tels que des antennes relai (exposition dite « corps entier »).
Dans les expériences, les expositions chroniques (7 jours/7, avec alternance de 10 minutes allumé/éteint durant un total de 18 heures et 20 minutes par jour, soit 9 h d’exposition effective par jour) duraient de 28 jours jusqu’à 2 ans. Les animaux placés dans des cages étaient libres de leurs mouvements.
Les souris étaient âgées d’une dizaine de jours au début des expositions. Pour les rats, les expositions ont débuté au stade fœtal (in utero) à partir du 5° ou 6° jour de gestation (exposition des mères), puis ont continué pendant 28 jours après la naissance (lactation et après sevrage), ou durant 2 ans. Un échantillon d’animaux a été sacrifié dans chaque groupe à 14 semaines pour une étude intermédiaire. Chaque groupe était composé de mâles et femelles en nombre comparable.
Les rats ont été exposés à la fréquence 900 MHz (GSM et CDMA) avec des DAS[5] de 1,5 à 6 W/kg (voir encadré), tandis que les souris ont été exposées à la fréquence 1900 MHz (GSM et CDMA) avec des DAS de 5 à 15 W/kg pour les expériences sur 28 jours, et de 2,5 à 10 W/kg pour celles sur 2 ans. Enfin, un groupe d’animaux témoins est placé dans des conditions d’hébergement similaires, mais en l’absence d’exposition aux champs radiofréquences.
Un certain nombre de paramètres biologiques et physiologiques ont été examinés en cours d’expérience (poids du corps, paramètres sanguins, état général…). Des études recherchant une atteinte du matériel génétique, appelées études de génotoxicité[6], ont été réalisées dans des cellules du sang circulant, du cerveau et du foie après 14 semaines d’exposition. Lorsque les animaux ont été euthanasiés (à 28 jours, 14 semaines ou 2 ans) ou sont morts en cours d’expérience, les organes ont été examinés et pesés et les tissus analysés systématiquement par différentes méthodes pour rechercher des lésions (histopathologie), des modifications des fonctions génitales (qualité du sperme, œstrus, organes génitaux…), l’apparition de cancers avec, le cas échéant, analyse des tumeurs.
Les résultats
Globalement, l’exposition aux champs radiofréquences n’induit aucun effet sur les fonctions liées à la reproduction ou sur la survie des rongeurs. Les résultats sur la génotoxicité ne convergent pas vers une démonstration d’un effet particulier. Enfin, l’étude histopathologique montre quelques effets mais ces données sont de faible portée, faute de cohérence dans les résultats. On note en particulier des anomalies dans les populations témoins chez les rats mâles et chez les souris femelles.
Ainsi, les rats mâles témoins (non exposés aux champs radiofréquences) vivent moins longtemps que les rats mâles exposés. D’après les auteurs, cette surmortalité précoce (dès 75 semaines) serait due à une pathologie rénale chronique. Dans l’absolu, cela pourrait artificiellement entraîner une incidence de tumeurs (nombre de nouveaux cas par an) plus grande dans les groupes exposés, puisque le développement de pathologies cancéreuses augmente avec l’âge. Chez les souris femelles témoins, l’incidence des lymphomes est inférieure à celle habituellement observée (chez les témoins historiques[7]), contrairement aux souris exposées. Ainsi, l’augmentation de l’incidence des lymphomes chez les souris exposées par rapport aux témoins semble être, dans cette étude, la conséquence d’une baisse de l’incidence dans la population témoin. Il ne s’agit donc pas a priori d’un effet des champs radiofréquences.
Par ailleurs, une augmentation d’une tumeur du cœur, le schwanomme malin, est observée chez les rats mâles au DAS le plus élevé. Ceci pourrait être lié à une sollicitation plus soutenue du muscle cardiaque pour réguler la température corporelle du fait de l’échauffement induit dans ces conditions (inférieur à 1°C mais répété pendant 2 ans). Il est toutefois surprenant que seuls les rats mâles exposés présentent cette pathologie, qui n’est pas retrouvée chez les rats femelles, ni chez les souris mâles et femelles exposés. Chez l’homme, les schwannomes cardiaques sont généralement des tumeurs bénignes et constituent une pathologie très rare, pour laquelle une augmentation de fréquence ne manquerait pas d’être remarquée.
Enfin, les données sur le gliome étaient particulièrement attendues, s’agissant d’une tumeur cérébrale pour laquelle certaines données épidémiologiques ont suggéré une association avec une utilisation intensive du téléphone mobile (catégorie des « gros utilisateurs »). Or, l’incidence observée chez les rats et les souris mâles et femelles exposés leur vie durant, dans l’étude du NTP, reste dans la fourchette des valeurs naturellement observées pour ces lignées de rongeurs. Pour le gliome, l’étude est donc vraiment rassurante.
Les résultats peuvent-ils être extrapolés à l’usage courant de la téléphonie mobile ?
Un rapport du NTP portant sur des résultats préliminaires de l’étude chez le rat était paru en 2016 [3], accompagné d’un communiqué de presse[8]. Les auteurs concluaient que l’exposition aux champs radiofréquences de la téléphonie mobile augmentait légèrement la fréquence de deux types de tumeurs rares, cérébrales (gliomes) et cardiaques (schwannomes). Un certain nombre d’incohérences avaient alors été relevées dans les résultats (voir [4] pour exemple).
De la même façon, dans les titres des rapports, ainsi que dans le texte du communiqué de presse 2018, les champs radiofréquences de téléphonie mobile sont explicitement mentionnées, laissant penser que le programme de recherche porte sur des expositions comparables à celles des téléphones portables. Ce n’est pourtant pas le cas. La différence est majeure car lorsque tout le corps des animaux est exposé de manière homogène (exposition dite « corps entier »), le niveau d’exposition à partir duquel apparaissent les premiers effets dus à l’échauffement est de 4 W/kg. Cette constatation a servi à définir le seuil d’exposition moyen chez l’homme à 0,08 W/Kg maximum pour le public (soit 50 fois moins). En comparaison, l’exposition au téléphone portable concerne essentiellement la tête (exposition dite « locale ») et le DAS à partir duquel on observe des effets est alors de 100 W/kg pour les expositions localisées, conduisant à un seuil réglementaire de 2 W/kg chez l’Homme. L’exposition aux champs radiofréquences induit un échauffement des tissus, qui augmente avec le niveau d’exposition ; il est d’autant plus difficile à réguler par l’organisme que le volume du corps exposé augmente. Un exemple pour illustrer l’importance de cette distinction : il est moins dangereux de tremper le bout du doigt dans l’eau bouillante que de tomber dedans.
Si l’on considère les expériences réalisées chez le rat par exemple, les valeurs de DAS pour l’exposition de l’ensemble du corps était, selon les groupes de rats, de 1,5 ; 3 et 6 W/kg pendant la gestation et durant toute la vie. La réglementation limitant l’exposition corps entier chez l’Homme à 0,08 W/kg, l’exposition des rats était donc respectivement 18, 37 et 75 fois plus importante que l’exposition autorisée chez l’Homme [5].
Cette étude peut-elle remettre en cause la classification du CIRC ?
En 2011, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) concluait que les champs radiofréquences émis par les téléphones mobiles étaient des « cancérigènes possibles » (classification dite 2B) pour le gliome ou le neurinome acoustique [6].
Cette classification stipule qu’en l’absence de preuves suffisantes, les champs radiofréquences ne sont pas « certainement », ni « probablement », mais « peut-être » cancérigènes, au même titre que les cornichons au vinaigre et de nombreux autres facteurs de risque testés. Depuis 2011, plusieurs études épidémiologiques conduites dans différents pays et tout récemment en Australie [7] et au Japon [8], n’indiquent pas d’augmentation de l’incidence des tumeurs cérébrales dans la population malgré le développement massif de l’usage du téléphone mobile au cours des dernières décennies. De toute évidence, l’étude du NTP n’apporte pas de preuve scientifique suffisante pour faire évoluer cette classification sur des bases objectives.
En conclusion
A l’issue de cette étude, les auteurs ne sont pas en mesure d’affirmer que l’exposition aux champs radiofréquences étudiées provoque des effets sanitaires et ce, à des niveaux bien supérieurs à ceux rencontrés dans l’environnement. La contribution du NTP s’ajoute à de nombreuses recherches conduites dans le domaine des champs radiofréquences. Elle conforte l’état des connaissances et le fait que lorsque des effets des champs radiofréquences de la téléphonie mobile sont observés, c’est pour des niveaux d’exposition qui dépassent largement les valeurs maximales d’exposition autorisées. En pratique, ces limites ne peuvent pas être atteintes avec les technologies de communication sans fil couramment utilisées (antennes relais, téléphones mobile, Wifi…).
En communiquant dès 2016 les résultats préliminaires d’une étude réalisée dans des conditions d’exposition qui n’ont rien à voir avec à celles engendrées par la téléphonie mobile ou d’autres systèmes de communications sans fil usuels, le NTP a alimenté pendant plusieurs mois et inutilement des rumeurs et des inquiétudes, sans donner de clés de lecture à ceux qui ne sont pas spécialistes du sujet. En définitive, l’analyse finale et approfondie des résultats de cette étude est, malgré ses faiblesses, rassurante : elle n’apporte aucun élément tangible en faveur de l’existence d’effet non thermique des champs radiofréquences.
Références
[1] NTP report on Toxicology and carcinogenesis studies in HSD:Sprague Dawley SD rats exposed to whole-body radio frequency radiation at a frequency (900 MHz) and Modulations (GSM and CDMA) used by Cell phones.
https://ntp.niehs.nih.gov/ntp/about_ntp/trpanel/2018/march/tr595peerdraft.pdf
[2] NTP report on Toxicology and carcinogenesis studies in B6C3F1/N MICE exposed to whole-body radio frequency radiation at a frequency (1,900 MHz) and Modulations (GSM and CDMA) used by Cell phones. https://ntp.niehs.nih.gov/ntp/about_ntp/trpanel/2018/march/tr596peerdraft.pdf
[3] Report of Partial Findings from the National Toxicology Program “Carcinogenesis Studies of Cell Phone Radiofrequency Radiation in Hsd: Sprague Dawley® SD rats (Whole Body Exposures)”, Draft 5-19-2016. https://ntp.niehs.nih.gov/go/834451
[4] Perrin A., Lagroye I., Yardin C. Lien entre cancers et téléphones portables : la communication tendancieuse qui s’est organisée autour du rapport américain sur les ondes électromagnétiques. 2016. Atlantico.
http://www.atlantico.fr/decryptage/lien-entre-cancers-et-telephones-portables-communication-tendancieuse-qui-est-organisee-autour-rapport-americain-ondes-electro-2730285.html#jCQKJjS3WY2WO7jv.99
[5] Commission Internationale de protection contre les rayonnements non ionisants (ICNIRP), ICNIRP statement on the “guidelines for limiting exposure to time varying electric, magnetic and electromagnetic fields (up to 300 GHz)”, ICNIRP Statement (2009). http ://www.icnirp.org/documents/StatementEMF.pdf
[6] IARC Monogr Eval Carcinog Risks Hum. 2013;102(Pt 2):1-460. Non-ionizing radiation, Part 2: Radiofrequency electromagnetic fields.
[7] Chapman S et al. Has the incidence of brain cancer risen in Australia since the introduction of mobile phones 29 years ago? Cancer Epidemiol 2016 ; 42 : 199-205. doi: 10.1016/j.canep.2016.04.010
[8] Sato Y. et al, 2016, Time trend in incidence of malignant neoplasms of the central nervous system in relation to mobile phone use among young people in Japan, Bioelectromagnetics, Volume 37, Issue 5, July 2016, 282–289.
Encadré DAS – Qu’est-ce que le DAS (ou SAR) ?
Dans la gamme de fréquence allant de 10 MHz à 10 GHz, le débit d’absorption spécifique (DAS) ou specific absorption rate (SAR) pour les anglo-saxons est la grandeur qui permet de quantifier l’exposition aux ondes radiofréquences. Il s’agit de la puissance absorbée par unité de masse de matière, au niveau du corps entier ou localement (organes, milieux ou tissus biologiques), exprimée en watts par kilogramme (W/kg).
[1] National Toxicology Program https://ntp.niehs.nih.gov/
[2] https://www.niehs.nih.gov/news/newsroom/releases/2018/february2/index.cfm
[3] GSM : Global System for Mobile Communications
[4] CDMA : Code Division Multiple Access
[5] DAS : débit d’Absorption Spécifique
[6] Etude de l’intégrité des molécules d’ADN qui constituent le matériel génétique ou génome.
[7] Les données sur les témoins historiques sont des données issues des nombreuses études de cancérogenèse réalisées par le NTP et qui procure une référence permettant de pallier les aléats expérimentaux comme ceux rencontrés dans les populations contrôles de cette étude NTP.
[8] http://www.niehs.nih.gov/news/newsroom/releases/2016/may27/index.cfm
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