L’ouvrage Au-delà des OGM vient de paraitre aux éditions Presses des Mines. Il regroupe des textes signés Catherine Regnault-Roger, Louis-Marie Houdebine, Agnès Ricroch (Dir.), Jean-Claude Pernollet (préface), Claudine Franche, Marcel Kuntz, Brigitte Laquièze, Jean-Yves Le Déaut, Catherine Procaccia et Virginie Tournay. European Scientist a interviewé cinq des auteurs. Un ouvrage qui se situe en plein dans l’actualité du débat sur le nouvel arrêté préjudiciel décidé par la CJUE au mois de Juillet.
European Scientist (à tous) : Vous avez intitulé votre ouvrage collectif « Au-delà des OGM ». Cela sous-entend-il que les « organismes génétiquement modifiés » n’étaient qu’une étape dans l’histoire des biotechnologies ?
- Agnès Ricroch : Ce titre est à prendre à double-sens. D’une part, sur le plan politique, nous pensons qu’il faut dépasser la directive 2001-18 qui régule les OGM qui existe et qui n’est plus adaptée à la technologie actuelle. D’autre part sur le plan scientifique, les nouvelles techniques permettent des mutations quasiment invisibles, de nature telle que l’évolution aurait pu le faire. Ce qui ne veut pas dire que la transgenèse végétale est dépassée, on l’utilise toujours.
- Catherine Regnault Roger : C’est aussi une manière de rappeler pour nous que la modification génétique du génome existe de manière naturelle (on l’appelle plasticité du génome) depuis que les organismes vivants existent et dans le cycle de la vie, c’est bien elle qui permet leur survie par adaptation aux changements environnementaux.
- Jean-Yves Le Déaut : Le monde scientifique s’accorde pour dire que les technologies développées dans les NBT sont plus précises et présentent moins de risques que les anciennes méthodes de mutagénè La récente décision du 28/07 de la cour de justice de l’UE est donc scientifiquement aberrante et juridiquement contestable. Il y a de plus en plus de confusion entre les savoirs établis et les manipulations d’opposants aguerris. Mais n’est-il pas plus dangereux de manipuler les esprits que de modifier les gènes?
ES : La polémique sur les OGM était essentiellement due à l’opposition entre deux visions du vivant, dont l’une – celle des opposants – sacralisait la barrière des espèces. Les nouvelles biotechnologies permettent-elles d’échapper à cette opposition idéologique ?
- Agnès Ricroch : En fait tout dépend de la réglementation. Il y a peu de temps, des anti-OGM ont fauché un champ de tournesols qu’ils considéraient comme mutants, alors que ceux-ci n’étaient pas des OGM, la mutation était parvenue naturellement par évolution. Certains voudraient mettre tous les mutants dans la même catégorie « OGM». Il est tout de même frappant qu’en janvier 2018, les nouvelles techniques de mutagenèse ciblée n’étaient pas considérées comme dépendantes de la directive 2001-18 qui régule les OGM, alors qu’en juillet 2018, la CJUE a changé totalement d’avis. C’est dommageable, les nouvelles techniques de mutagenèse ciblée sont des techniques démocratiques (accessible à un plus grand nombre de laboratoires), car elles sont peu chères mais à condition qu’il n’y ait pas de réglementation lourde donc coûteuse. Or, l’Europe semble souffrir de « précautionnisme » (un recours excessif au principe de précaution).
- Catherine Regnault Roger : L’argument avancé, la sacralisation de la barrière des espèces, n’est qu’un aspect de cette controverse. Et il est largement dépassé car les recherches ont avancé dans le domaine de l’évolution et de l’adaptabilité des écosystèmes. Aujourd’hui, l’hostilité aux OGM se nourrit d’un refus sociétal remettant en cause le modèle de société que développe la mondialisation. Or les nouvelles biotechnologies donnent de nouveaux outils pour lutter contre les maladies humaines orphelines, les épidémies mondiales, pour le bien-être animal et la santé des plantes.
- Jean-Yves Le Déaut : La question du franchissement de la barrière des espèces reste posée mais c’est au Haut Conseil des Biotechnologies (HCB) d’évaluer les risques sanitaires et environnementaux liés à la culture d’OGM. Depuis 20 ans aucune alerte n’a été lancée par le HCB. Les nouvelles biotechnologies ont davantage de possibilités puisqu’elles permettent d’intervenir très précisément au niveau d’un ou plusieurs gènes spécifiques en les détruisant, en les inactivant, en les remplaçant par un gène de la même espèce ou d’une autre espèce.
ES : Vous affirmez qu’avec les méthodes de sélection classique, il fallait 5 ans pour connaitre les performances laitières d’un taureau. Les nouvelles biotechnologies permettent de disposer de ces connaissances à toutes les étapes de la vie du taureau. Une opération qui fait gagner en précision, en temps et en argent. Pouvez-vous expliquer ?
- Louis Marie Houdebine : Les différentes techniques mises en œuvre au cours du temps pour améliorer les races des animaux domestiques sont basées sur l’utilisation des meilleurs géniteurs apparus spontanément dans les troupeaux. Ces mutations spontanées sont rares. Ceci impose l’utilisation d’un nombre d’animaux élevé et variable selon les espèces. La sélection traditionnelle de vaches est particulièrement lente car la reproduction chez cette espèce est elle-même lente. Lorsque la sélection porte sur des gènes exprimés seulement dans le lait le choix des taureaux ne donne que peu d’information sur la présence des allèles choisis. Il faut donc dans cette situation 5 années pour obtenir des troupeaux de vaches possédant les allèles attendus. Par opposition le remplacement de gènes ciblé permet d’obtenir des vaches possédant des allèles choisis en une seule génération.
ES: Pouvez-vous nous présenter en quoi consistent les nouvelles techniques d’éditions du génome. Vous affirmez que les plantes obtenues par ces techniques ne sont pas distinguables de plantes classiques. Que voulez-vous dire ?
- Agnès Ricroch : Pour que tout le monde comprenne je vais donner une image simple. L’ADN est composé de 4 lettres. Les gènes sont des mots composés. On peut ajouter ou retirer des lettres ou remplacer une lettre. On fait en sorte que certains caractères s’expriment et d’autres restent silencieux. Les nouvelles biotechnologies nous permettent de faire des opérations d’une très grande précision. En utilisant une nucléase, on peut couper l’ADN à l’endroit que l’on souhaite. Ces technologies s’adressent aux plantes dont on a décodé entièrement le génome, ce qui facilite la chose. On a une espèce de ciseau qui permet de couper l’ADN à des endroits très précis, d’enlever et d’ajouter des bouts. La technologie dite CRISPR notamment permet, comme on dit, d’éditer le génome, c’est-à-dire de le réécrire. On dispose d’outils qui reconnaissent une suite de lettres et permettent ensuite d’en échanger. Pour vous donner quelques idées des réalisations possibles, on a pu faire une pomme qui ne brunit pas après avoir été coupée. On a également domestiqué des tomates sauvages ou encore renforcé chez certaines plantes des résistances à des ravageurs… Les nouvelles solutions biotechnologies sont très nombreuses et les applications sont prometteuses. Nous n’en sommes qu’au début. C’est une chance pour l’Europe de rester dans la course. Il serait dommage que la règlementation bloque les chercheurs.
ES : Dans le top 10 des principaux pays qui cultivent des PGM dans le monde, on ne trouve pas un seul pays européen. Est-ce la faute à une réglementation trop stricte ? Vous affirmez entre-autre que la Commission européenne accepte désormais qu’une réglementation ne repose plus sur les seuls critères scientifiques mais sur les positions politiques ou idéologiques des gouvernants. Comment a-t-on pu en arriver là ? Vous pensez que cette réglementation n’est plus adaptée aux nouvelles techniques, pourquoi ?
- Catherine Regnault-Roger : La réglementation mise en place dans l’UE traduit cette décision. La réglementation européenne est l’une des plus sévères au monde. Elle visait à l’origine à encadrer, à sécuriser l’emploi des OGM mais elle bride en fait le développement et l’utilisation des PGM dans la plupart des pays européens, car aux avis scientifiques s’ajoute une phase politique de votes des Etats membres et du Parlement européen qui donnent lieu à des débats dans lesquels les considérations scientifiques ne sont pas au cœur des réflexions. C’est ce que traduit d’ailleurs la dernière directive en date (UE) 2015/412 que vous évoquez. Alors oui, il faut revoir la réglementation européenne qui n’est plus adaptée car la connaissance scientifique dans le domaine s’est enrichie au cours des 20 dernières années.
ES : Vous affirmez qu’il y a plus de projets en biotechnologie végétale en République tchèque qu’en France et que la Grande Bretagne reste en tête. Il reste donc encore un espoir de développement des Biotech au sein du continent européen ? Récemment la CJUE a rendu un arrêt préjudiciel dans lequel elle affirme que les organismes obtenus par le biais de la mutagenèse étaient des OGM et qu’en tant que tels ils devaient être soumis aux mêmes principes que ces derniers » De votre côté, vous appelez à un changement radical de la directive 2001/18
- Marcel Kuntz : La première Directive européenne en 1990 et celle de 2001 affirment, dans leur esprit, permettre la libre diffusion des OGM reconnus sûrs. Ce dernier point se réfère au principe de précaution. Ce qui signifie dans la réalité que, lorsqu’un thème devient médiatiquement « controversé » (comprendre : attaqué par les organisations « écologistes »), il faudra démontrer le risque zéro, ce qui est bien sûr impossible. Ce fut un choix idéologique de se focaliser sur les risques – en oubliant qu’ils sont réduits voire négligeables lorsque l’on réalise une évaluation des risques approfondie – et d’ignorer les bénéfices. Ces Directives définissent juridiquement ce qui est une « modification génétique », ce qui ne l’est pas, et ce qui l’est tout en étant exempté de réglementation. Le législateur a ainsi visé une seule technique, la dernière en date, la transgénèse. On a amené les citoyens à penser que seule cette technique « modifiait » les gènes. Alors que scientifiquement les modifications génétiques sont partout. Cette réglementation porte sur la méthode d’obtention d’un produit biotechnologique, et non sur les caractéristiques du produit (qui définissent avantages et risques). Certains ont cru que les nouvelles biotechnologies (mutagénèses ciblées) pouvaient échapper au cadre « OGM». C’est illusoire avec une réglementaire aussi fallacieuse et sur la base du précautionnisme comme idéologie dominante.
ES : Les politiques ont joué un rôle considérable dans la situation actuelle en Europe et en France plus particulièrement. Vous vous intéressez au sujet depuis le début, avec les conférences citoyennes, de nombreux rapport pour l’Opecst : quel bilan tirez-vous ? Vous venez de signer une tribune avec Catherine Procaccia dans le Monde dans laquelle vous appelez à évaluer au cas par cas les organismes obtenus par mutagénèse. Que proposez-vous pour que les nouvelles biotechnologies soient mieux perçues que les OGM par l’opinion ?
- Jean-Yves le Déaut : Les politiques ont, à mon sens démissionné, depuis plus de dix ans sur la question des OGM. Le président N. Sarkozy avait déclaré : « J’accepterai la clause de sauvegarde pour suspendre la culture du maïs MON810 (autorisée par L. Jospin) si des risques nouveaux sont avérés ». Les scientifiques n’ont vu aucun risque nouveau mais la culture a été suspendue par accord tacite avec certaines associations pour assurer la réussite du Grenelle de l’environnement…. Aujourd’hui, la France a perdu sa capacité d’expertise internationale, la commission européenne n’a pas pris ses responsabilités et cela a conduit à cette décision aberrante de la Cour de Justice de l’UE. Un appel de cent prix Nobel, passé largement inaperçu, estime que « continuer les campagnes de dénigrement des NBT constituerait un crime contre l’humanité ». En France, l’OPECST a indiqué que c’est la politique qui doit trancher sur les risques d’une technologie et que certaines techniques devraient être exemptées de la classification OGM au sens de la directive 2001/18 et pense également qu’une nouvelle législation européenne doit évaluer les produits et non les procédés. Il y a de plus en plus d’hypocrisie à autoriser les importations et interdire les cultures en Europe.
Par rapport à l’interview des auteurs « au delà des OGM » j’ai les quelques remarques suivantes à faire qui montrent une dérive le plus souvent sémantique dans la problématique des OGM.
Cette dérive s’est faite car de mon point de vue, la définition de ce qu’était un OGM n’a pas été des plus heureuses dès l’origine et pros vs antis l’ont alors appliqué chacun à leur manière.
Ainsi, si les antis parlent de mutants et d’OGM pour les tournesols fauchés …. ils ont raison puisque la définition originale des OGM telle qu’elle figure dans la 90/220 puis dans la 2001/18 précise bien que : sont des OGM les organismes obtenus par mutagenèse, culture in vitro, fusion de protoplastes … mais qu’il existe une réglementation spécifique (impliquant une évaluation) pour les seuls OGM obtenus par transgénèse !
Là où les faucheurs ont tort est que les mutants (obtenus donc par mutagenèse) ne sont pas des « OGM cachés ».
Ce sont bien des OGM mais qui sont dispensés d’évaluation.
Par dérive additionnelle, un OGM (évalué) fini par résulter d’une transgénèse par introduction d’un gène étranger !
Non, la définition initiale ne le précise pas. Il s’agit de l’introduction d’une information génétique qu’elle soit étrangère ou non à l’espèce !
Par ailleurs, dans les missions des différentes agences/commissions/Haute Autorité, il revient à l’ANSES d’évaluer les risques sanitaires.
Le HCB ayant plus pour mission les risques environnementaux !
Par ailleurs, le HCB n’existe pas depuis 20 ans, la CGB avait fêté ses 20 ans en 2006 et le HCB est né suite à la Loi sur les OGM de 2008.
Pour la « petite histoire », on peut dire qu’après plus de 20 années de cultures de PGM (1994 pour la première PGM cultivée en vue d’être consommée), on ne peut dénombrer aucun accident.
On peut donc dire que le risque (R = probabilité d’occurence d’un Danger) est toujours = 0. C’est sans doute la seule activité humaine pour laquelle le risque est toujours = 0 !
La question du franchissement d’espèce reste à expliquer plus largement auprès du grand public.
Un gène n’appartient pas à une espèce, un gène ne fait pas une espèce.
Il est fort probable qu’il n’existe pas un seul gène qui puisse signer une espèce donnée (le gène de l’hominitude n’existe pas !).
Chez tous les organismes, on peut mettre en évidence les mêmes gènes (évidemment avec des allèles parfois distincts).
Par exemple, le gène codant pour la EPSPS (enzyme inhibée par le glyphosate) est un gène ubiquitaire… on le trouve donc chez tous les organismes. Mais il est beaucoup plus facile d’aller le chercher chez un microorganisme que chez un eucaryote, en règle générale.
Au final, la provenance d’un gène d’une espèce n’a aucune importance d’autant qu’en règle générale le gène venant d’un procaryote subit des modifications pour lui adjoindre des régions de régulation qui seront reconnues par la cellule eucaryote et subira même de nombreuses modifications (mutagenèse dirigée) pour respecter la préférence des codons de l’organisme chez lequel on introduit ce gène.
Ce sont les antis qui utilisant principalement des arguments relevant de la pensée magique ont non seulement donné un caractère sacré au gène mais ont amplifié l’importance de son appartenance à une espèce donnée.
Les applications qui sont données sont possibles et d’ailleurs ont été faites avec la transgénèse ‘techniques de knock out ou anti-sens, délétion, addition…
Les enzymes de restriction (ciseaux moléculaire) permettent depuis longtemps de couper l’ADN à des endroits très précis)
La pomme et la pomme de terre qui ne brunissent pas, cela a été fait par transgénèse… les autres applications citées également !
Mais il est vrai que les NBT permettent de le faire de manière plus précise et plus ciblée (plus rapidement, moins couteux).
Ce point permet d’aborder un point essentiel concernant les mutations.
Il n’y a pas de lien entre l’importance d’une mutation (qu’elle soit ponctuelle ou allant jusqu’à la duplication d’un génome entier) et ses conséquences sur l’organisme qui la reçoit/subit (On observe toutes les situations allant de la neutralité aux effets négatifs/positifs jusqu’à la létalité).
Ce qui nous entraine vers la conclusion de Jean-Yves le Déaut qui est essentielle pour l’avenir.
Pour un avenir et une acceptation des biotechs en Europe, il faut effectivement impérativement changer la règlementation voire de réglementation.
Il faut en arriver à une évaluation du produit final et non pas se focaliser sur les techniques ayant permis de l’obtenir. Dans tous les cas, cela constituerait une démarche plus scientifique pour la sûreté du produit qui est, au final, consommé par l’homme et les animaux.
Au delà des NBT, il est vraisemblable que demain, on trouvera encore d’autres techniques permettant de faire plus rapidement ce qui est déjà fait maintenant.
Si la situation reste ce qu’elle est, il faudra alors d’interminables discussions pouvant durer des années avant qu’on ne puisse les utiliser et on peut parier, sans risque de se tromper, que ce sera dans un cadre juridique de plus en plus complexe et contraignant.
A noter que nous avons déjà des réglementations/directives européennes basées sur ce principe fondamental (Novel Foods ou Nouveaux Aliments 258/97et traçabilité 2002/178, cette dernière impliquant la responsabilité de toute la filière » de la fourche à la fourchette »).
Il suffirait de dire que, maintenant, les OGM sont tous rattachés et soumis à ces directives.