Voici le premier article d’une série dont l’objectif est de démontrer les impossibilités techniques de certaines affirmations que l’on retrouve chez les médias, les politiques et les ONG au sujet des énergies dites renouvelables. L’auteur Eric Van Vaerenbergh est spécialiste des réseaux électriques depuis plus de vingt années, il enseigne à l’Ecole Centrale des Arts et Métiers à Bruxelles.
Sans des solutions adéquates de stockage, il est irréfléchi de déployer plus d’énergies renouvelables intermittentes non pilotables comme l’éolien et le solaire que de capacités fossiles. Il est erroné de s’attendre à ce que les nouvelles demandes électriques correspondent toujours aux périodes d’excès de production de ces énergies. Si on souhaite réduire la dépendance aux interconnexions électriques des pays voisins, il faudrait disperser les installations d’énergies renouvelables intermittentes non pilotables sur divers sites ayant des disponibilités d’énergies renouvelables à des moments variés. Or, sur une échelle régionale comme en France, en Belgique ou même en Europe, il est illusoire d’espérer une parfaite désynchronisation des conditions météorologiques. La croyance en une telle désynchronisation, souvent mise en avant par l’industrie éolienne et solaire, est malavisée et pourrait mener à des conséquences désastreuses.
La réalisation d’un bilan des capacités des énergies renouvelables intermittentes et non pilotables à ne jamais dépasser est essentielle pour assurer une décarbonation ne ruinant pas les citoyens et nos sociétés.
Épisode 1 Les éoliennes et/ou panneaux photovoltaïques réduisent-ils les émissions de CO2 des Centrales fossiles ?
Ceux qui défendent le déploiement des éoliennes et des panneaux photovoltaïques en même temps que des réacteurs nucléaires et sans nuance ne diminueront pas la consommation des énergies fossiles suffisamment.
Dans le débat sur l’électrification des biens et services, on entend souvent dire qu’il faut en plus de déployer des réacteurs nucléaires, aussi accélérer le déploiement des énergies renouvelables telles que des éoliennes et des panneaux photovoltaïques. Certains disent qu’il ne faut pas s’y opposer étant donné que ce sont des moyens de production d’électricité décarbonés qui permettent de réduire les émissions de CO2 des centrales électriques carbonées. Est-ce vraiment démontré et pertinent ?
Les différents épisodes développés dans cette série d’articles ont l’objectif d’analyser uniquement les aspects électrotechniques qui restent le point de départ avant tous choix. Cela fonctionne ou cela ne fonctionne pas. Acheter, installer, déployer une solution énergétique qui électrotechniquement ne fonctionne pas, c’est diriger une société vers une catastrophe économique et sociale.
Les choix électrotechniques ne peuvent évidemment pas faire oublier tous les autres aspects essentiels que sont:
– le nombre de vies humaines perdues par kWh produit,
– la souveraineté énergétique à long terme avec l’absence de vassalisation géopolitique par rapport à l’énergie primaire et la plus faible utilisation des interconnexions aux réseaux électriques,
– l’économie des ressources pour la solidarité planétaire,
– l’économie des espaces et la « non-bétonisation » de ceux-ci,
– les coûts,
– la production minimale de déchets aux kWh produits, voire même leur recyclage,
– les temps de construction tenant compte de tous les besoins électrotechniques à qualité de service comparable,
– la possibilité d’avoir des réserves d’énergies primaires sur plusieurs années pour pouvoir faire face aux situations les plus imprévues.
Tous ces aspects ne seront pas abordés dans les différents épisodes, ceux-ci s’écartant des aspects électrotechniques, mais en aucun cas ils ne peuvent être négligés.
Avant tout, pour la compréhension du sujet développé dans le présent épisode (et suivants), il est indispensable de distinguer les différentes énergies renouvelables par rapport à leur flexibilité (1) et leurs capacités de suivi de charge (2). L’entêtement à ne pas vouloir distinguer les différents moyens de production à partir d’énergies renouvelables, complique les débats et rend impossible la compréhension du mix énergétique optimal nécessaire.
Rappelons les différents moyens de production d’énergies électriques renouvelables (ENRx). Il y a les énergies renouvelables :
- intermittentes (3) et pilotables (4) (Ex. : Stations de transfert d’énergie par pompage, centrale marémotrice, barrage au fil de l’eau de grande puissance avec des risques d’assèchement) (ENRip),
- intermittentes et non pilotables (Éoliennes, panneaux photovoltaïques, hydroliennes de marées, centrales houlomotrices, centrales solaires par concentration, barrage au fil de l’eau de petite puissance avec des risques d’assèchement, hydroliennes fluviales avec des risques d’assèchement) (ENRinp)
- non intermittentes et pilotables (ex. :Barrages au fil de l’eau de grande puissance sans risque d’assèchement, géothermie) (ENRnip),
- non intermittentes et non pilotables (ex : Barrages au fils de l’eau de petite puissance sans risque d’assèchement, Hydroliennes fluviales sans risque d’assèchement, Centrales marée thermique, Centrales osmotiques, Hydroliennes de courants marins) (ENRninp).
Pour la facilité de la lecture, dans la suite ci-dessous, seules les appellations ENRip, ENRinp, ENRnip et ENRninp seront utilisées.
Rappelons également, même si ce n’est pas le sujet de cet épisode, mais toutes les ENRx ne sont pas suffisamment décarbonées (5), ce qui confirme la nécessité de bien distinguer de quelles ENRx on parle.
Abordons l’objet de cet épisode de manière simple dans un premier temps. Que les experts pardonnent les simplifications faites ci-dessous et les situations idéales prises comme exemple. Les propos et exemples tenus sont vulgarisés volontairement de manière à rester abordables pour arriver à sensibiliser une majorité de personnes sur l’importance de ces aspects électrotechniques essentiels. Les situations idéales prises, comme par exemple avoir une consommation constante qui n’est jamais présente en réalité, sont justement choisies pour montrer que même avec des situations idéales, les règles expliquées doivent également être respectées. Dans les figures des exemples ci-dessous, la production nucléaire est dessinée avec une production constante pour faciliter la compréhension des phénomènes électrotechniques abordés, même si en réalité certains réacteurs nucléaires peuvent faire varier leur puissance de production.
Une première vulgarisation est l’allure de la production des énergies renouvelables intermittentes et non pilotables comme les panneaux photovoltaïques et les éoliennes. Dans les Figure 1 et Figure 2 ci-après, l’allure de la production photovoltaïque et éolienne est approchée avec une production triangulaire isocèle. Cette figure géométrique est simple et c’est celle qui se rapproche le plus des profils réels de production, comme on peut le constater ci-dessous.
ANALYSE 1 : Imaginons un réseau électrique très simple, composé des trois moyens de production d’électricité suivants:
- Décarbonés nucléaires,
- Carbonés au gaz,
- Décarbonés d’ENRinp,
Prenons maintenant les hypothèses idéalistes suivantes avec la Figure 3 ci-dessous :
- Une courbe de charge (la demande d’électricité de la part des consommateurs) = 1000 MW de manière constante,
- Le niveau de production nucléaire (p2) = 500 MW de manière constante,
- Le niveau de production maximal au gaz (courbe de charge – p2) = 500 MW et assuré par 5 centrales au gaz de 100 MW,
- La puissance installée (p1-p2) des ENRinp = 100 MW,
- Le temps « t1-t3 » = 100 minutes (t2-t1 = 50 minutes). t1 étant le départ où l’énergie primaire (vent et/ou le soleil) apparaît, t2 étant le moment où il y a le plus d’énergie primaire et t3 étant le moment où il n’y en a plus du tout.
Dans ce premier exemple, si on calcule l’énergie décarbonée que les ENRinp remplacent par rapport aux centrales au gaz, on peut calculer (8) :
Prenons la situation où on doublerait la puissance installée des ENRinp à 200 MW. Ce doublement sous-entend qu’on double cette puissance de production au même endroit géographique pour que cela soit bien cette puissance double qui soit exposée aux mêmes énergies primaires que sont le vent et/ou le soleil.
Les courbes de production sont reprises en Figure 4 ci-dessous :
La production d’énergie au gaz effacée doublerait et passerait de 83,33 MWh à 166,66 MWh.
La conclusion de ce premier doublement de la puissance installée, c’est qu’on diminue les émissions de CO2 issues des centrales au gaz proportionnellement à l’augmentation de la puissance installée des ENRinp.
Si on installe 500 MW de puissance d’ENRinp, les courbes de production deviennent comme la Figure 5 ci-dessous :
La production des ENRinp de 500 MW devient si on calcule :
416,67 MWh correspondent à bien à 5 (416,67/83,33) fois plus d’énergie électrique décarbonée produite par les ENRinp de 100 MW qui ont effacé le gaz.
Jusqu’à 500 MW, on peut constater que l’énergie électrique produite au gaz est effacée proportionnellement à l’augmentation de la puissance installée des ENRinp.
Jusqu’ici, il serait erroné de prétendre que les ENRinp ne permettent pas de décarboner la production électrique faite au gaz. Mais retenons que l’effacement est totalement tributaire du bon vouloir de l’apparition de l’énergie primaire (vent et/ou soleil).
Continuons dans la même direction, doublons une fois de plus la puissance installée des ENRinp.
Si on installe 1000 MW de puissance d’ENRinp, la courbe de production des ENRinp devient comme la Figure 6 ci-dessous :
La production des ENRinp de 1000 MW devient si on calcule:
Mais à la vue des courbes de production, on peut voir un point fondamental, c’est que l’entièreté de la courbe de production des ENRinp n’efface plus l’équivalent de la production d’électricité au gaz.
La production effacée se calcule différemment (9), c’est l’équivalent de la surface d’un trapèze isocèle et non plus d’un triangle isocèle. Toute la production restante (en rouge) est de la production qui doit être stockée et où en absence de stockage suffisant ou de revente possible à un pays tier, elle doit être écrêtée (arrêtée) pour garantir l’équilibrage du réseau.
La surface du trapèze isocèle est égale à
Si on applique le calcul de la proportionnalité d’un triangle isocèle pour calculer (t2.2-t1.1) on obtient :
Donc de 500 MW à 1000 MW d’ENRinp installés, on a doublé la puissance installée.
À 500 MW on a effacé 416,67 MWh de production au gaz.
À 1000 MW on a effacé 625 MWh de production au gaz. Le prorata d’effacement du gaz n’est plus proportionnel, mais seulement de 1,5.
En doublant la puissance installée de 500 MW à 1000 MW à un même endroit géographique on a supprimé seulement (625 MWh – 416,67 MWh), soit 208,33 MWh de plus.
Si on fait l’exercice en continuant d’augmenter la puissance installée des ENRinp, on peut constater avec la Figure 7 ci-dessous que même en l’augmentant indéfiniment, on ne supprimera pas de la production de gaz en proportion. On peut même constater qu’à un certain seuil, l’augmentation de la puissance installée des ENRinp ne décarbone plus rien du tout. Cela démontre que déployer de manière non réfléchie des ENRinp, cela n’a aucun sens par rapport à l’objectif de réduire les émissions de CO2, par rapport aux inconvénients environnementaux et aux coûts ruineux que cela représente.
Avec la Figure 8 ci-dessous nous pouvons voir l’évolution de la variation de puissance par unité de temps (dMW/dt) que l’augmentation de la puissance installée des ENRinp va engendrer. Cela permet d’introduire l’épisode 2 qui va justement analyser en détail cette notion électrotechnique très importante.
Dans cet épisode 1, on voit qu’augmenter la puissance installée de manière non réfléchie et cela à un même endroit géographique exposé aux mêmes sources d’énergies primaires et au même moment, cela a des limites en l’absence de stockage performant pour arriver à valoriser la production d’énergie excédentaire.
On peut se rendre compte qu’augmenter l’effacement de la production d’énergie au gaz sera bien plus efficace si l’énergie primaire était disponible sur des temps longs. Cela permettrait avec seulement les 500 MW d’ENRinp, de décarboner de manière beaucoup plus efficace et à moindre coût. Malheureusement, seule la « nature » reste maître de cette décision. C’est un problème majeur.
Imaginons les 500 MW d’ENRinp alimentés en énergie primaire pendant un temps très long. La production des ENRinp deviendrait comme reprise en Figure 9 ci-dessous :
Certains émettent l’idée de positionner des ENRinp à des endroits géographiques différents et présentant des caractéristiques de présence d’énergie primaire à des moments différents. Mais cette idée a également ses limites.
Imaginons le besoin de 500 MW pour arriver à remplacer la production au gaz sur des temps plus longs, grâce à une multitude de lieux géographiques différents et ayant la présence d’énergie primaire à des moments jamais identiques.
Prenons idéalement l’hypothèse que :
- les énergies primaires renouvelables se présentent à 4 endroits différents (on pourrait prendre 6, 10, 20 lieux différents) et soient idéalement désynchronisées comme l’exemple en Figure 10 et Figure 11, ce qui est utopique et non réel. Chaque zone aurait son énergie primaire parfaitement désynchronisée et avec la bonne amplitude sur une période complète de 24h. Malgré que cette situation est totalement utopique, considérons-la tout de même pour démontrer que même dans cette situation idéale utopique, compter sur du foisonnement sera totalement irréaliste, démesuré et extrêmement ruineux.
Les courbes de production et la décarbonation serait optimale et permettrait d’effacer la totalité de la production au gaz, comme repris sur la Figure 10 et la Figure 11 ci-dessous.
La conséquence dans cet exemple vulgarisé, est que l’entièreté de chacun des 4 territoires devrait être recouverte de 500 MW d’éoliennes et/ou de panneaux photovoltaïques, alors que dans l’absolu, il n’y a besoin que de 500 MW en puissance installée.
Sur base de cette approche vulgarisée, idéaliste et purement théorique, on peut voir que pour effacer 500 MW de production au gaz, il faudrait installer 4 x 500 MW, soit 2000 MW d’ENRinp. Au cas où pour avoir un recouvrement de production optimal il faudrait 6 zones géographiques différentes, la puissance installée nécessaire devrait être multipliée par 6, soit 3000 MW pour un besoin de 500 MW.
Si une des zones n’est pas parfaitement désynchronisée, des excédents de production des ENRinp seront à gérer avec les observations faites ci-devant.
Conclusions générales de l’épisode premier :
Sans moyens de stockage adaptés aux énergies produites excédentaires par des énergies renouvelables intermittentes et non pilotables comme l’éolien et/ou les panneaux photovoltaïques, il est irraisonnable de déployer des puissances installées supérieures à celles des centrales fossiles devant être démantelées. Il est utopique de penser que les consommations électriques des nouveaux usages qui seront électrifiés pourront être utilisés juste au moment des productions excédentaires des ENRinp.
Dans l’hypothèse où l’on cherche à dépendre le moins possible des interconnexions électriques de ses pays voisins, si la présence des énergies primaires renouvelables permettant aux ENRinp de produire en tout temps n’est pas garantie, cela impose d’en installer sur de multiples lieux géographiques. Ces lieux doivent avoir une présence d’énergie primaire renouvelable à des moments optimalement désynchronisés et respectant la puissance installée maximale admissible. Si ces multiples endroits ne présentent pas des énergies primaires parfaitement désynchronisées, chercher à déployer 4 fois plus ou même 100 fois ou 1000 fois plus de puissance installée d’ENRinp sur le même lieu ne servira strictement à rien et restera tout aussi extrêmement ruineux. À l’échelle d’une région comme la France et/ou la Belgique, voire même de l’Europe, les conditions météorologiques ont pu démontrer à plusieurs reprises qu’il est totalement illusoire de croire en ce foisonnement désynchronisé et optimal de vents (10) (11) et/ou de soleil (12). Chercher à s’approcher de ce type de solution utopique sera catastrophique alors que c’est un argument souvent avancé par la filière industrielle des ENRinp (éolienne et photovoltaïque) et qui est totalement erroné.
Annotations
(1) La flexibilité est la capacité d’un moyen de production, de consommation ou de stockage à modifier sa courbe d’injection ou de soutirage à la demande. Le soutirage : L’injection d’électricité est assurée soit pour des moyens de production d’électricité soit par des capacités de stockage en période de décharge. Le soutirage d’électricité correspond à la consommation d’électricité des consommateurs ou des moyens de stockage en période de charge.
(2) pratique qui consiste à faire varier la puissance de fonctionnement d’un moyen de production d’électricité de façon à l’adapter aux variations de la demande des consommateurs et/ou des variations et/ou de l’intermittence de certains moyens de production d’électricité.
(3) une énergie intermittente est une énergie dont la disponibilité fluctue énormément sans qu’il soit vraiment possible de la réguler à la hausse, car à la baisse c’est faisable mettant à l’arrêt les moyens de production.
(4) La production pilotable d’électricité (dispatchable generation en anglais ; aussi appelée production modulable en France et production acheminable au Québec) comprend les sources d’énergie électrique dont la production peut être modifiée à la demande d’un opérateur de réseau électrique
(5)(page 7/28) – https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2018/02/ipcc_wg3_ar5_annex-iii.pdf
(6) https://www.energy-charts.info/charts/power/chart.htm?l=fr&c=BE&legendItems=00000000000000010000000
(7) https://www.energy-charts.info/charts/power/chart.htm?l=fr&c=BE&legendItems=00000000000100000000000
(8) Calcul de la surface d’un triangle : (B x h)/2 ou (L x l)/2 – https://www.maxicours.com/se/cours/l-aire-du-triangle/#:~:text=La%20formule%20de%20l’aire%20d’un%20triangle%20est%20%3A,B%20%C3%97%20h)%20%3A%202.
(9) Calcul de la surface d’un trapèze (b+b’) x h/2 : https://www.maxicours.com/se/cours/aires-et-volumes—formulaire/
(10) https://climate.copernicus.eu/esotc/2021/low-winds
Image par NoName_13 de Pixabay
Excelent article (cours) sur les limites de penetration du renouvelable intermittent dans le mix electrique.