Deux études visant à mieux définir la population des hypersensibles électromagnétiques (EHS) en France et en Suède sont parues en 2017 et 2018.
Rappelons que depuis 2004, les expertises n’ont pas remis en cause les conclusions de l’OMS : l’hypersensibilité électromagnétique recouvre des symptômes et des souffrances réelles, mais les recherches scientifiques indiquent que l’exposition aux ondes n’en est pas la cause[1]. Les EHS sont le plus souvent des femmes. Les émetteurs les majoritairement incriminés varient selon les pays. Les études montrent une tendance accrue à l’anxiété, la dépression et la somatisation ainsi que des associations entre l’EHS et plusieurs intolérances environnementales (le plus souvent aux odeurs chimiques) ou troubles tels que fibromyalgie, acouphènes, troubles du système nerveux autonome et troubles psychosociaux[2].
L’étude de Gruber et al (2018)[3] compare les profils de sujets se déclarant hypersensibles électromagnétiques (EHS) et des sujets non-EHS (témoins) à partir des données issues d’une enquête par questionnaire menée dans la population suédoise[4].
Les paramètres examinés sont : i) le rôle des facteurs démographiques et de style de vie ; ii) la fréquence des troubles et le temps écoulé depuis leur apparition ; (iii) les stratégies d’adaptation ; (iv) la proportion des personnes répondant aux critères d’une intolérance environnementale idiopathiques liée aux champs électromagnétiques (IEI-EMF) ; et (v) les maladies associées, ou comorbidité (diagnostics de troubles psychiatriques, de troubles musculo-squelettiques du dos, de troubles fonctionnels et de migraines).
Sur un échantillon représentatif de 8.520 personnes contactées (18-79 ans) dans un comté du nord de la Suède, 3.406 (40 %) ont accepté de participer. A la question « Avez-vous des symptômes en présence de certains appareils électriques allumés pour lesquels vous pensez que la plupart des gens ne présentent pas de symptômes ? », 91 ayant répondu « oui », constituent le groupe EHS (49.7 ± 14.3 ans) et 3.250 ayant répondu « non », le groupe témoin (51.0 ± 16.9 ans).
La population du groupe EHS comporte 65 % de femmes et appartient majoritairement à la tranche d’âge 40-59 ans. Elle n’est pas significativement différente du groupe témoin concernant le niveau d’étude, le fait de fumer, de faire de l’exercice physique ou de vivre en couple ou pas. Notons que l’absence de lien avec le niveau d’éducation et le statut marital avait été rapporté en 2002 (Hillert et al., 2002)[5], tandis d’autres études menées en Suisse (Röösli et al. 2010)[6] ou aux Pays Bas (Baliatsas et al., 2014)[7] indiquaient un niveau d’éducation élevé.
Les répondants EHS s’estiment en plus mauvaise santé que les témoins. La moitié d’entre eux éprouvent tous les jours ou toutes les semaines des symptômes qu’ils attribuent aux champs électromagnétiques, en moyenne depuis 10 ans. Plus de la moitié estime que cette intolérance a débuté suite à une exposition à « forte dose » ou à long terme. Aucune explication n’est fournie permettant de savoir ce qui est entendu « exposition à forte dose ».
Ils ont un risque deux à cinq fois plus élevé de syndrome d’épuisement, trouble d’anxiété (anxiété généralisée ou trouble panique), troubles musculo-squelettiques du dos, dépression, syndrome somatique fonctionnel (fibromyalgie ou syndrome de fatigue chronique) et migraine, par rapport à la population contrôle (après ajustement des données sur le sexe et l’âge).
Comme rapportés dans d’autres études, la majorité des EHS mettent en place des stratégies d’évitement des sources suspectées d’être à l’origine de leurs maux et aménagent leur environnement électromagnétique. Il apparait qu’une personne sur cinq seulement a consulté un médecin pour ce trouble, alors qu’elles peuvent être sérieusement affectées. Les auteurs font l’hypothèse qu’elles ne s’attendent pas à trouver de l’aide. Environ 13 % d’entre elles ont suivi un traitement, sans précision sur le type de médication (conventionnelle ou alternative). La proportion des personnes répondant aux critères d’une intolérance environnementale idiopathiques (IEI-EMF) apparait plus faible que celle des EHS tels que définis dans cette étude, mais les auteurs ne précisent pas quels sont ces critères ce qui rend cette donnée peu informative. Il semblerait qu’il s’agisse des cas pour lesquels une explication médicale est clairement exclue.
L’étude de Adrianome et al (2017)[8], vise à mieux connaitre la population EHS en France, où des organisations actives regroupant ces personnes ont émergés depuis une dizaine d’années. L’enquête, porte sur les symptômes (nature, délai d’apparition), les sources incriminées et les mesures prises par les personnes EHS pour faire face. Le questionnaire a été administré à 82 volontaires, recrutés par Internet, bouche à oreille ou par l’intermédiaire d’associations et collectifs, 52 ont répondu, parmi lesquels 30 membres d’associations. Contrairement à l’étude suédoise, tous les sujets sont EHS et cette population n’est pas comparée à une population témoin.
Les femmes représentent 79 % du panel ; 92 % des participants ont un niveau d’éducation élevé (diplôme d’études secondaires ou supérieur). Des allergies alimentaires et diverses indispositions ont été rapportées, liées à d’autres facteurs environnementaux : fumée de cigarette (37 %), gaz d’échappement (35 %), air étouffant (37 %), décharges électrostatiques (35 %), odeurs de la rue (31 %) température basse (29 %) et parfums (29 %). Sur 77 symptômes répertoriés, les troubles jugés les plus intenses sont, par ordre décroissant : fatigue et épuisement, troubles du sommeil, maux de tête et acouphènes, stress, difficulté de concentration, sensibilité au bruit, anxiété, douleurs auriculaires et picotements au niveau des mains, la migraine étant le plus fréquemment cité. La symptomatologie est la même pour les hommes et les femmes. En revanche, les auteurs notent une différence significative entre les répondants issus d’associations, et ceux qui n’en font pas partie qui manifestent moins de symptômes, ce qui avait été également observé dans d’autres études.
Concernant les sources suspectées d’être à l’origine de symptômes, les réseaux sans fil arrivent en tête (80 %), devant les téléphones mobiles (64 %) et les antennes relais (50 %) tandis que les équipements électriques, le réseau électrique et les lignes à haute tension représentent respectivement 22, 18 et 12 % des sources citées par les répondants. D’autres sources suspectées ont été citées en plus de celles proposées dans le questionnaire, dont certaines n’émettant pas d’ondes (radiateurs, convecteurs, véhicules à moteurs, métaux, antennes de radiodiffusion, systèmes de surveillance, câbles électriques souterrains). Les participants disent ressentir les symptômes dès qu’ils sont exposés ou en quelques minutes, voire plusieurs heures après, et ceux-ci mettent quelques heures à plusieurs jours à se dissiper.
La majorité d’entre eux a consulté un médecin généraliste ou un spécialiste sans trouver satisfaction, ce qui conforte l’hypothèse des auteurs suédois. Les approches en psychologie comportementale et cognitive préconisées rencontrent peu de succès auprès des personnes EHS. Celles-ci adoptent plutôt une attitude d’évitement des sources d’exposition ou de réduction des niveaux expositions et font appel à des médecines alternatives.
Rappelons au passage que les médecins généralistes n’ont pas de solution satisfaisante à proposer compte-tenu de l’absence de critères de diagnostic. Une enquête menée en 2010 auprès des médecins généralistes français montrait qu’un tiers d’entre eux estimait que des personnes étaient capables de détecter de faibles niveaux de champ électromagnétique, un tiers pensait le contraire et le tiers restant n’avait pas d’opinion[9].
Conclusion
Ces deux études confortent l’état des connaissances (notamment une plus grande proportion de femmes) et apportent des informations nouvelles, comme le fait que les EHS ne fument pas plus (ou moins), et font autant d’exercice physique, que le reste de la population ; ou que les réseaux sans fil représentent une préoccupation forte en France. Les catégories socio-professionnelles varient selon les études. Un profil type n’est toujours pas défini, d’autant plus que les résultats d’enquête ne permettent pas de savoir si certains troubles diagnostiqués (anxiété notamment) sont antérieurs ou consécutifs à « l’état EHS ». De plus la comparaison entre toutes les études publiées est limitée par les différences de méthodologies employées. Les résultats obtenus sur la population EHS française sont globalement concordants avec ceux observés dans d’autres pays, cependant, l’étude porte sur un petit nombre de personnes ce qui ne permet pas une généralisation des résultats, de même l’étude suédoise concerne la population d’un comté du pays.
Pour trouver d’autres synthèses de travaux sur l’hypersensibilité publiés en 2017, voir : YearBook Santé et Environnement 2018. http://www.yearbook-ers.jle.com/
[1] OMS, 2005, Aide mémoire 296, http://www.who.int/peh-emf/publications/facts/fs296/fr/
[2] Pour une revue, voir rapport Anses 2018 “Hypersensibilité électromagnétique ou intolérance environnementale idiopathique attribuée aux champs électromagnétiques” https://www.anses.fr/fr/content/avis-et-rapport-de-lanses-relatif-%C3%A0-l%E2%80%99expertise-sur-l%E2%80%99hypersensibilit%C3%A9-%C3%A9lectromagn%C3%A9tique-ehs
[3] Gruber MJ, Palmquist E, Nordin S., Characteristics of perceived electromagnetic hypersensitivity in the general population. Scand J Psychol. 2018 Aug;59(4):422-427. doi: 10.1111/sjop.12449. Epub 2018 May 9.
[4] Palmquist, E., Claeson, A.-S., Neely, G., Stenberg, B. & Nordin, S. (2014). Overlap in prevalence between various types of environmental intolerance. International Journal of Hygiene and Environmental Health, 217, 427–434.
[5] Hillert L., Berglind N., Arnetz B. B. & Bellander T. 2002. Prevalence of self-reported hypersensitivity to electric or magnetic fields in a population-based questionnaire survey. Scandinavian Journal of Work Environment and Health, 28, 33–41.
[6] Röösli M., Mohler E. & Frei P., 2010. Sense and sensibility in the context of radiofrequency electromagnetic field exposure. Comptes Rendus Physique 11 (9-10):576-584. doi:10.1016/j.crhy.2010.10.007.
[7] Baliatsas, C., van Kamp, I., Hooiveld M., Yzermans J. & Lebret E. 2014. Comparing non-specific physical symptoms in environmentally sensitive patients: Prevalence, duration, functional status and illness behavior. J Psychosom Res 76 (5):405-13. doi: 10.1016/j.jpsychores.2014.02.008.
[8] Andrianome S., De Sèze R., Braun A. & Selmaoui B., 2017. Descriptive self-reporting survey of people with idiopathic environmental intolerance attributed to electromagnetic fields (IEI-EMF), , Ssimilarities and comparisons with previous studies. Journal of Public Health, published online 21 dec. 2017. https://doi.org/10.1007/s10389-017-0893-1.
[9] Lambrozo J., Souques M., Bourg F., Xavier G. & Perrin A., 2013. Les médecins généralistes français face aux champs électromagnétiques. La presse Médicale. 2013;42 (5), 133-143.