Bilan d’étape comparé des taxes et systèmes d’échange de quotas carbone, visant à mettre en lumière les atouts de la taxe, mais aussi le désastre de ses dérives et du dogme qui la sous-tend.
Les 3 fautes de la taxe française
Les économistes s’accordent généralement pour considérer la taxe carbone comme le meilleur moyen de réduire les émissions de CO2 sans pour autant affecter la croissance.
L’exemple de la Suède leur donne raison.
En effet, la mise en place de sa taxe carbone, actuellement la plus élevée au monde, n’a pas entravé 60% de croissance économique dans le même temps que 25% de réduction des émissions de CO2.
D’autant qu’à l’instauration de cette taxe, en 1991, le parc électrique suédois était déjà décarboné.
Trois règles sont notamment considérées nécessaires pour lui permettre une telle efficacité :
- La transparence et la pédagogie de sa mise en œuvre
- La redistribution de ses recettes
- L’interdiction de subventionner des énergies de remplacement
Pour n’en avoir respecté aucune, la taxe carbone française aura réussi à mettre durablement les Gilets Jaunes dans la rue, tandis que les objectifs climatiques s’éloignent de notre portée.
Car cette taxe s’est caractérisée par une « pédagogie du catimini », une carence de redistribution et un détournement dogmatique de son affectation qui en corrompt l’efficacité.
L’absence de pédagogie
Cette taxe sur la composante carbone des combustibles fossiles a été instaurée en 2014, sous le nom de « Contribution climat énergie » (CCE).
Sa faible valeur, de 7€/tCO2, sur fond d’effondrement du cours du pétrole au dernier trimestre, avait rendu son introduction d’autant plus discrète qu’elle n’avait pas constitué un impôt supplémentaire, une part de la taxe intérieure sur la consommation (TIC) ayant simplement été calculée pour y introduire une « composante carbone ».
Ce qui a fait dire à C. de Perthuis et A. Faure que son introduction « a été faite en catimini, sans la moindre pédagogie à l’égard des électeurs ».
Ce qui est regrettable, car le principe qui confère l’efficacité à toute taxe carbone est l’élévation progressive de son taux jusqu’à des niveaux destinés à modifier les comportements.
C’est ainsi que l’accélération ambitieuse de l’élévation de son taux a été actée dans la plus grande discrétion médiatique par l’article 9 du projet de loi de finance de 2018 malgré la mise en garde du Sénat, pour la porter à 86€/tCO2 en 2022. Son taux actuel de 44,6€/tCO2, de 2018, lui confère déjà la 4ème place des taxes carbone les plus élevées au monde, derrière la Suisse et le Lichtenstein, loin derrière les 120€/tCO2 suédois.
La carence de redistribution
Pour limiter l’impact négatif sur le plan macroéconomique, d’une élévation du coût du carbone jusqu’à des taux prohibitifs, la majorité des économistes préconisent de l’effectuer à recette fiscale constante, ainsi que le rappelle Stéphane Gloriant. C’est-à-dire en réduisant d’autres impôts à hauteur de ses recettes.
Lorsque ces réductions s’appliquent aux prélèvements les plus distorsifs, c’est-à-dire ceux qui affectent les contribuables de la manière la moins homogène, le caractère anti-redistributif de ces réductions peut être compensé par des aides aux ménages destinées à lutter contre la précarité énergétique. Car cette taxe est payée par tous, même les plus modestes.
Ce 17 janvier, 3300 économistes américains, dont 27 prix Nobel d’économie viennent de signer un appel en faveur d’une taxe carbone dont ils rappellent les 5 principes fondamentaux.
Le 5ème principe étant :
« Pour maximiser l’équité et la viabilité politique d’une taxe sur le carbone croissante, tous les revenus doivent être retournés directement aux citoyens (des Etats-Unis) par le biais de rabais forfaitaires égaux. La majorité des familles (américaines), y compris les plus vulnérables, doit bénéficier financièrement de davantage de « dividendes du carbone » que celles ci n’en paient du fait de l’augmentation des prix de l’énergie. »
Cet appel est dans le droit fil du nécessaire principe de « double dividende » qu’évoquent R.Crassous, P. Quirion F.Ghersi et E. Combet :
- D’une part, un bénéfice environnemental, lié au détournement des énergies polluantes en raison de l’incitation du signal-prix,
- Et d’autre part le second dividende du gain collectif permis par les recettes de la taxe.
Or, si la mise en place de la taxe carbone en 2014 s’était accompagnée de ce souci, le Sénat relevait déjà en 2017 son absence de caractère redistributif en constatant que : « 180 millions d’euros de dépenses supplémentaires en faveur des ménages sont censées compenser un alourdissement de 3,7 milliards d’euros de la fiscalité énergétique en 2018 pour ces mêmes ménages, ce qui n’est guère sérieux. »
Et c’est donc bien une augmentation de l’impôt qu’a représenté le passage de cette taxe à 55€/tCO2 pour 2019, dans un contexte de hausse des cours du pétrole, sur fond de réformes symboliquement désastreuses.
Pire, ce nouvel impôt frappe indistinctement et dans la plus grande injustice, ceux qui ne disposent pas d’alternative parmi les classes les moins favorisées.
Ce qui ne pouvait manquer de mettre le feu aux poudres.
Le détournement dogmatique
Cette utilisation des recettes s’écarte du principe du « double dividende » depuis 2017 en alimentant le Compte d’affectation spéciale transition énergétique (CAS TE), dans lequel la taxe carbone se trouve indistinctement mêlée avec une partie de la taxe intérieure sur la consommation des produits énergétiques (TICPE), ainsi que le soulignent C. de Perthuis et A. Faure.
Et depuis 2017, les surcoûts des énergies renouvelables électriques (EnRe), essentiellement l’éolien et le photovoltaïque, ne sont plus remboursés à EDF par les taxes sur l’électricité (CSPE), mais par biais de ce CAS TE.
Sans d’ailleurs que le montant de cette CSPE n’ait été réduit pour autant.
Or, les économistes s’accordent généralement pour considérer « qu’une taxe efficace se caractérise également par : «…(3) l’interdiction de subventionner des sources d’énergie de remplacement, y compris des sources renouvelables telles que l’énergie éolienne et solaire ».
Car si le signal-prix est d’une efficacité mécaniquement redoutable pour faire évoluer les comportements, le financement parallèle de solutions supposées pertinentes en corrompt d’autant plus les effets qu’éolien et solaire ne sont pas propices à décarboner un mix électrique qui l’est déjà à plus de 90% depuis 1995. Et n’a pas progressé depuis.
Or, ce n’est pas moins de 121 milliards d’euros, selon la Cour des Comptes, qui restent à verser pour les surcoûts des seuls contrats déjà passés avant fin 2017 dans l’éolien, le photovoltaïque et le biométhane.
En 2019, 7,3 milliards d’euros seront donc dépensés au titre du soutien aux énergies renouvelables électriques françaises, par le truchement du CAS TE, ainsi alimenté par les taxes sur les carburants. Dont la taxe carbone.
En 2016, la Cour des Comptes confirmait, en effet, que ce CAS TE serait alimenté via la TICPE « essentiellement grâce au rendement croissant associé à la contribution climat-énergie (CCE) ».
La réussite suédoise
Franziska Funke et Linus Mattauch ont publié un extrait de leur étude sur la taxe carbone dans Our World in Data. Et s’appuient sur l’exemple suédois pour monter que son prix peut être élevée, avec 139$/tCO2 en Suède, c’est-à-dire la plus élevée au monde, contre 10$/tCO2 pour la moyenne des autres systèmes, et ne pas avoir empêché l’économie suédoise de croître de 60% depuis sa mise en place en 1991.
Car cette mise en place s’est effectuée dans le cadre d’une réforme en profondeur de la fiscalité et l’élévation progressive de son taux a été contrebalancée en très large partie par la diminution des taxes sur l’énergie et le travail. Sur cette période, la Suède a réduit les émissions de son économie de 25%, alors que son parc de production d’électricité était déjà décarboné en 1990 grâce à 46,5% d’origine nucléaire et 49,8% d’origine hydraulique.
Ce qui a notamment amené la Suède à pulvériser tous les records du secteur des transports, avec plus de 38% son énergie provenant de source renouvelable.
Il convient de noter que parallèlement à la progression de sa production éolienne, qui est passée de 1,5 TWh en 2007 à 17,6 TWh en 2017, les exportations d’électricité suédoise ont augmenté de 16,1 TWh. C’est-à-dire exactement de la même quantité.
Ailleurs dans le monde
Chaque pays peut déterminer le taux de cette taxe, son domaine d’application et l’utilisation de ses recettes.
En Suisse, notamment, elle ne porte pas sur les carburants et redistribue les 2/3 de son produit à la population et aux entreprises, par le biais des assurances maladies et les caisses de compensation AVS. La Colombie Britannique a affecté l’intégralité de ses recettes aux baisses d’impôts sur le revenu et celui des sociétés, tandis qu’au Chili, elles financent l’éducation.
Le signal-prix ambitieux conféré par la taxe carbone plancher (CFT) au Royaume Uni a permis mécaniquement une spectaculaire réduction du charbon notamment compensée par une augmentation considérable du taux de charge des centrales à gaz, devenues plus compétitives que le charbon, sans même que la construction d’une seule centrale supplémentaire soit nécessaire.
Taxes aux frontières
L’harmonisation d’une taxe élevée, notamment dans la zone euro, en favoriserait l’efficacité. Mais la compétitivité des économies fortement dépendantes du charbon en serait pénalisée, ainsi que le souligne W. Nordhaus pour l’Allemagne, si un cours significatif de 50€/tCO2 devait être appliqué.
C’est la raison pour laquelle l’Allemagne se refuse toujours à taxer le contenu carbone de son économie.
Mais pour éviter que l’instauration unilatérale d’une taxe carbone n’affecte la compétitivité, il est possible d’établir la perception d’une taxe concernant toute importation qui y aurait échappé dans son pays d’origine. Xavier Timbeau rappelle, en effet que son objectif environnemental lui permet de ne pas contrevenir avec les accords de libre échange imposés par l’OMC. Et son montant pourrait alors être évalué selon le contenu carbone du produit, ou, plus simplement, en fonction de l’intensité carbone des zones de production (2% pour l’Europe, 3% pour les États-Unis, 6% pour la Chine …)
Cette taxe à l’importation dissuaderait les « fuites de carbone » liées à des délocalisations dont l’objet serait d’éviter d’en payer le prix fort sur le sol français.
L’atout considérable de disposer d’une électricité décarbonée à plus de 90%, pourrait même alors inciter certaines relocalisations et favoriser la compétitivité de notre industrie.
S’endetter pour les générations futures
Enfin, il convient de mentionner le caractère intergénérationnel de l’effort à fournir pour le climat en ne prenant pas uniquement en compte le capital conventionnel légué aux générations futures, mais aussi le capital environnemental.
Car celui-ci justifie alors l’emprunt d’aujourd’hui destiné à l’améliorer.
Brisant ainsi le tabou de la dette.
C’est notamment la thèse défendue par l’économiste « néoclassique » Duncan K. Foley dans «The Economic Fundamentals of Global Warming »
Parallèlement, Xavier Timbeau, notamment, déplore les conséquences socialement inacceptables des politiques de rigueur sur l’emploi et montre comment une taxe carbone élevée permettrait de sortir l’Europe de son marasme.
L’autre prix du carbone
La taxation du carbone a été mise en place parallèlement au système d’échange de quotas.
Les parties prenantes du protocole de Kyoto (pays de l’Annexe B) se sont en effet engagées à participer à un système d’échange sur une bourse de quotas carbone (Emission Trading scheme ou ETS) dont la quantité est appelée à se réduire (Cap and trade). En Europe, c’est le EU ETS, ou, en français, « Système d’échange de quotas d’émission de l’UE » (SEQE UE)
Ce système est infiniment plus complexe et permet des compensations, MOC ou MDC qui incitent éventuellement à polluer à moindre coût et qui ont été le lieu de fraudes massives sur la TVA.
Taxe et corruption
- Nordhaus confirme, en effet que « L’un des problèmes subtils et négligés des systèmes de type quantité est qu’ils sont beaucoup plus susceptibles de corruption que les régimes de type prix. … Une approche fondée sur les prix laisse moins de place à la corruption car elle ne crée pas de pénuries artificielles, de monopoles ou de loyers….»
L’étude de F. Funke et L. Mattauch confirme cette analyse en illustrant la corrélation entre un prix du carbone élevé et le degré de confiance envers les politiques ainsi que la corrélation inverse avec la perception du niveau de corruption. Et l’illustre à travers l’infographie ci-dessous :
(Source Our World in Data licence Creativ Commons 4.0)
(A noter que l’étude est de 2018 mais les chiffres sont de 2016, alors que la taxe française n’était que de 22€/tCO2)
Jusqu’alors, le cours infime du carbone, de 8$ en 2015, avait privé le SEQE UE de toute efficacité.
L’envolée des cours, liée à la révision du système en 2018, pourrait cependant avoir l’effet d’une véritable bombe à retardement.
Retour en France
Quatre vingt six députés de tous bords viennent d’appeler à « rétablir la taxe carbone ».
Leur appel est l’occasion d’en expliquer l’efficacité dans le débat public, mais aussi de rappeler les nécessaires principes dont dépend sa viabilité.
Le temps semble également venu de dresser un bilan d’étape sur les effets réputés obtenus par les énergies renouvelables, ainsi que sur les dessous de leur financement, dans lequel s’apprête à disparaître le plus gros des recettes de la taxe carbone.
C’est à cet effet qu’une Commission d’enquête parlementaire vient d’être mise en place.
A cette occasion, son initiateur, le député Julien Aubert, a posé crûment la question en ces termes :
« Mais pourquoi nous sommes-nous entêtés à investir dans les énergies renouvelables alors que c’est à fonds perdus depuis 20 ans ? », considérant même qu’ « il semblerait qu’il y ait tout un écosystème de cabinets et de consultants qui ont grandement prospéré à l’ombre de cette transition écologique, voire des gens qui ont fait des fortunes. Il s’agit là aussi de faire toute la lumière là-dessus ».
La Stratégie nationale bas carbone (SNBC) a mobilisé l’essentiel de ses moyens pour tenter de décarboner le secteur de la production d’électricité qui l’était déjà à plus de 90%. Et l’intermittence de l’éolien et du solaire leur a interdit d’y remplacer quelque puissance pilotable installée que ce soit.
L’affectation des recettes de la taxe carbone à leur financement n’en est que plus préjudiciable à son efficacité.
L’importance des sommes en jeu doit en effet susciter la remise en question d’un dogme qui a échoué.
Car les mêmes erreurs entraîneraient les mêmes échecs.
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