Par les temps qui courent, le concept de culture biodynamique est souvent considéré comme symbole d’excellence en terme d’agriculture ou de viticulture alors qu’il est en fait très mal connu du grand public, qui l’assimile à une forme de culture biologique. Or, si les objectifs sont du même ordre, les différences conceptuelles sont fondamentales et pour le moins surprenantes !
La biodynamie, dérivée de l’anthroposophie, est une forme d’occultisme, censée faire intervenir des forces « cosmiques » et « terrestres » qui pourraient être activées ou maîtrisées par des préparations à base de plantes, ce qui aurait un impact sur la composition des terres et des organismes qui en seraient issus.
Ces « forces » pourraient influencer les phénomènes biologiques en fonction des constellations ou des mouvements des planètes, selon des considérations qui se rapprochent donc de l’astrologie. Un autre point central de la biodynamie est le concept d’« unité agricole », qui comprend les humains, les animaux sauvages et domestiques, les sols, les plantes, les pratiques agricoles, les influences de la nature, le tout visant à une sorte d’ « autonomie » totale.
On est donc bien loin de la culture biologique classique qui elle n’a rien d’ésotérique mais repose sur des notions d’agriculture scientifiquement validée et reproductible.
L’auteur de ce concept, appelé biodynamie depuis les années 1930, est Rudolf Steiner, philosophe occultiste autrichien, qui, en 1924, peu avant sa mort, l’a inventé de toutes pièces dans son bureau, sans avoir jamais eu de contact avec les métiers de la terre et sans aucune formation dans ce domaine. Dans un « cours aux agriculteurs », il a lors d’une série de conférences, présenté oralement une version agricole de ses principes anthroposophiques. A partir de notes prises lors de ces conférences a été écrite la théorie qui donnera naissance à la biodynamie.
Les préparations à base de plantes qui pourraient influencer les « forces » terrestres et cosmiques sont nées de l’intuition pure de R.Steiner, sans qu’aucune justification quelconque n’ait jamais été revendiquée ou apportée par lui ou personne d’autre. Elles seraient actives par la « dynamisation », c’est-à-dire que le fait de les mettre en mouvement rotatoire dans un certain sens, une fois diluées dans de l’eau, leur conférerait les pouvoirs qu’on leur attribue. Ce mécanisme supposé n’est pas sans rappeler le fameux concept de la « mémoire de l’eau », de Benveniste, qui avait fait grand bruit dans les milieux scientifiques il y a de nombreuses années, avant que la supercherie pseudo-scientifique ne soit mise à jour. Ces préparations à base de plantes sont au nombre de huit (six à ajouter au compost épandu, deux à pulvériser sur les cultures, ces dernières élaborées dans une corne de vache qui doit être enterrée durant l’hiver pour l’une, censée améliorer la « vie », durant l’été pour l’autre, censée à apporter un surplus de « lumière »). A la base elles devaient être issues de fermentations dans des organes provenant d’animaux (intestin, vessie, crâne). Elles sont diluées d’une façon analogue à l’homéopathie, jusqu’à 1 mg/10 kg (= 1 / 0,0000001), autre théorie pour laquelle aucune preuve n’a pu confirmer la réalité. Ces préparations ont fait et font toujours bien sûr l’objet de controverses à cause de leur absence de sérieux scientifique, qu’on peut comprendre par exemple au vu de cette citation de R.Steiner : « La vessie du cerf est connectée aux forces du cosmos. Mieux, c’est presque l’image du cosmos. Ainsi, nous donnons au mille-feuille (une des substances, réd.) le pouvoir presque essentiel d’augmenter les forces qu’il possède déjà, pour combiner le soufre avec les autres substances » (Réf). Selon lui aussi, ces préparations doivent être chargées de « sentiments » et de « forces cosmiques ».
La théorie biodynamique fait également intervenir l’influence que la lune aurait sur la croissance des plantes, ce qui n’a jamais été validé par la science. L’impact prouvé de la lune sur la terre est fondamentalement lié aux forces gravitationnelles (le phénomène des marées étant l’exemple le plus connu), sans aucun rapport avec les théories de Steiner.
La principale critique de la pensée anthroposophique de laquelle est issue la biodynamie est que cette théorie est donc fondée sur la seule « intuition » de son fondateur : s’opposant à la rationalité scientifique, celui-ci a toujours évité d’avoir à prouver ses affirmations, qui se résument donc à des certitudes auxquelles on n’adhère que par la foi.
Au vu du caractère pour le moins discutable de cette théorie, on ne peut que s’étonner de l’amalgame qui est fait de nos jours entre la culture biologique de la vigne et la biodynamie. La première vise à améliorer l’équilibre des sols et des plantes en se passant de produits de synthèse, d’engrais chimiques et d’herbicides et se base sur des principes d’une agriculture scientifique, rationnelle et reproductible. La deuxième est construite sur des dogmes ésotériques, fruits de l’intuition d’un philosophe occultiste, qui réclame de ses adeptes un pur acte de foi.
Depuis quelques années, de nombreux et souvent excellents viticulteurs (ou viticultrices) se déclarent adeptes de la biodynamie, pour beaucoup de façon partielle, en parallèle avec une viticulture traditionnelle ou biologique. Ils (elles) la considèrent probablement comme une sorte de « super » culture biologique, alors qu’il s’agit d’une approche totalement différente et pour le moins discutable vu les dogmes sur lesquels elle s’appuie. Et on a de la peine à imaginer qu’ils (elles) croient à des idées pareilles. Cette confusion est entretenue même par les organisations qui en font la promotion, qui considèrent la biodynamie comme un complément à la culture biologique, ce qui la rend bien plus acceptable que les étranges principes qui la fondent. A l’instar de la culture biologique, les organisations qui font la promotion de la culture biodynamique ont établi des protocoles très stricts pour acquérir une certification, qui demande plusieurs années de transition (le terme de « conversion » est en général utilisé, ce qui a en dit long sur le type d’approche).
Bien que la viticulture biodynamique soit ultra-minoritaire en Suisse comme ailleurs en Europe, elle est très « tendance » et bénéficie d’une large couverture médiatique, parce que les vignerons qui s’en réclament produisent souvent de très bons vins, ce qu’ils faisaient déjà avant la « biodynamie »… Peut-être que cette modeste contribution permettra de mieux faire connaître ce qu’elle représente vraiment.
Le soussigné lui, indécrottable rationnel et pragmatique, préfère s’en tenir au concept de « viticulture biologique adaptative », qu’il a développé dans une précédente tribune.
Réf: Steiner, Rudolf. 2004. Agriculture Course: The Birth of the Biodynamic Method. Forest Row, UK: Rudolf Steiner Press.
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Steiner n’était ni un agriculteur ni quelqu’un qui buvait beaucoup de vin. En tant qu’ancien viticulteur qui connaissait peut-être une dizaine de personnes travaillant en biodynamie, j’ai été frappé par le fait que peu d’entre elles avaient des racines paysans, voire aucune. La même chose s’applique à beaucoup de ceux qui travaillaient de manière biologique. Peut-être la biodynamie fournit une béquille théorique pour ceux qui cherchent un moyen de se connecter au sol et à la nature tout en fournissant un script puissant pour la vente de leur vin?