Dans un article publié récemment sur The Atlantic, Sam Kean, un historien US, affirme que le Lyssenkisme connaissait un retour de popularité en Russie. Pour rappel, cette idéologie qui a vu le jour dans les années 20 en URSS a régné sur la politique agricole de l’empire soviétique sur quasiment plus de la moitié d’un siècle et a été à l’origine de nombreuses famines. Trofim Denissovitch Lysenko en est le principal responsable. Né le 29 septembre 1898 à Karlivka, ville située aujourd’hui en Ukraine, ce technicien agricole soviétique a derrière lui une triste renommée. Comme se le demande Same Kean « Bien qu’il soit impossible de l’affirmer de manière assurée, Trofim Lysenko a probablement tué plus d’êtres humains que n’importe quel autre scientifique dans l’histoire. D’autres réalisations scientifiques douteuses ont fait disparaitre de nombreuses vies, c’est le cas de la dynamite, le gaz toxique, la bombe atomique. Mais Lysenko, un biologiste soviétique, a condamné peut-être des millions de gens à la famine au travers de ses recherches agricoles frauduleuse et ce, sans aucune hésitation. Seuls les armes à feu et la poudre à canon, issues de la recherche collective de plusieurs scientifiques sur plusieurs siècles peuvent rivaliser avec un tel carnage[1] ». Concrètement, sous l’impulsion de Lysenko et de ses théories, à la fin des années 1920 et au début des années 1930, Joseph Staline, a entrepris une « modernisation de l’agriculture soviétique » en forçant des millions d’individus à se regrouper dans les kolkhozes, ce qui a donné lieu à des famines considérables qui ont tué plus de 7 millions de personnes. A noter que les pays alliés de l’Union Soviétique ont également adopté les méthodes de Lysenko. C’est le cas de la Chine, par exemple, à la fin des années 50 dont les populations ont souffert encore davantage puisqu’on estime le nombre de victimes à plus de 30 millions.
Comment est-on pu en arriver à de telles catastrophes ? Il suffit de se pencher sur les travaux du savant aux pieds nus (tel était son surnom) pour mieux comprendre. C’est en 1928 que Lysenko parle pour la première fois de vernalisation, une technique qui permet de faire passer une plante du stade végétatif au stade reproductif en l’exposant au froid. Selon le biologiste cette technique permettrait de quadrupler le rendement agricole du blé, certains historiens supposent cependant qu’il a truqué ses expériences et annoncé de faux résultats [2]. Peu importe, car cette thèse convient parfaitement aux instances du parti communiste, car elle défend la suprématie de l’influence environnementale sur la génétique au point de nier totalement cette dernière. Au point que, alors que « la pseudo-découverte » n’apporte qu’un faible avantage, avec l’appui de la propagande soviétique, son promoteur devient un véritable héros, paysan et génial inventeur d’une technique miraculeuse ; en 1938, le Conseil des commissaires du peuple de l’URSS le propulse à la tête de l’Académie Lénine des sciences agronomiques. On notera alors au passage qu’au fur et à mesure que Lysenko grimpe les échelons du pouvoir, il s’en prend aux scientifiques qui défendent des thèses généticiennes (les disciples de Mendel) qu’il qualifie d’ennemis du peuple soviétique. Ces derniers sont d’ailleurs déportés au Goulag. En plus d’avoir contribué à affamer les peuples, Lysenko est également à l’origine de l’anéantissement de la communauté de généticiens soviétiques. Tout cela avec le soutien de Staline, et bien après de Nikita Kroutchev. En effet, selon l’idéologie marxiste, seul l’environnement pouvait être à l’origine de la formation des plantes et des animaux. « De ce fait, il doit être possible ‘d’éduquer les semences soviétiques’ – comme le note Sam Kean – ce, « afin qu’elles puissent germer à différentes époques de l’année en les plongeant dans de l’eau gelée – entre-autres pratiques. Il affirmait alors que les générations futures de ces plantes se souviendraient de ces signaux environnementaux, même sans être eux-mêmes traités, hériteraient des caractères bénéfiques. Un fait tout à fait improbable selon la génétique’ »[3].
Même si l’influence de Lysenko s’est peu à peu atténuée, notamment après l’ère Kroutchev et jusqu’à sa mort en 1976, il a fallu attendre les années 1990 pour que soient reconnues les horreurs du Lyssenkisme. Mais comme nous informe Kean, un courant lyssenkiste serait en train de renaître en Russie ces dernières années. La principale raison de cette renaissance serait la montée en puissance d’un sentiment de rejet de la culture occidentale aussi, les nouveaux défenseurs du lyssenkisme « accusent la science de la génétique de servir les intérêts de l’impérialisme américain et d’agir contre les intérêts de la Russie. [4]»
Que peut-on tirer de cette histoire ? La recette du Lyssenkisme est somme-toute assez simple : il suffit que le pouvoir politique s’immisce dans la science en appuyant les idées scientifiques douteuses d’un individu ou d’un groupe d’individus et continue de le faire sans corriger le tir, malgré le retour violent de la réalité (des millions de morts). La théorie continue d’imposer son diktat et pour arriver à ses fins va jusqu’à éliminer toutes voix discordantes. L’arbitraire politique anéantit toute objectivité et instrumentalise un discours pseudo-scientifique afin de viser un dessein qui est autre. Elle vient se superposer à celui-ci pour lui dicter la manière dont il doit décrire le monde. Clairement Lysenko a voulu transposer sur le vivant les croyances politiques au lieu d’essayer de décrire celui-ci en s’appuyant sur des observations scientifiques. De ce fait, il n’a fait que produire un autre discours politique qui n’a su montrer aucune emprise sur la réalité. A une époque où tout le monde s’inquiète de la « véracité » de l’information et est prompt de dénoncer les « fake news », il est important de se souvenir du danger que peuvent nous faire courir certaines pseudo-sciences…. Surtout quand celles-ci se retrouvent entre les mains de politiques dont l’agenda privilégie la quête du pouvoir à celle de la vérité. On ne saura donc jamais être trop prudent, et pas seulement d’un retour à grande échelle peu probable du Lyssenkisme, mais surtout de toute immiscion du politique dans la science pour transformer celle-ci en idéologie destructrice.
[1] « Although it’s impossible to say for sure, Trofim Lysenko probably killed more human beings than any individual scientist in history. Other dubious scientific achievements have cut thousands upon thousands of lives short: dynamite, poison gas, atomic bombs. But Lysenko, a Soviet biologist, condemned perhaps millions of people to starvation through bogus agricultural research—and did so without hesitation. Only guns and gunpowder, the collective product of many researchers over several centuries, can match such carnage. » Sam Kean, The Soviet Era’s Deadliest Scientist Is Regaining Popularity in Russia, The Atlantic, Dec 2017
[2] « Lysenko claimed to have conduct a set of experiment in which grain crops, including wheat and barley produced much higher yields during stretches of cold weather after their seeds were frozen in water before planting. This method, he said, could quickly double the yield of farmlands in the Soviet Union in just a few years. In truth Lysenko, never undertook any legitimate experiment on increased crop yield. Any « data » he claimed to have produced he simply fabricated » Lee Alan Dugatkin and Lyudmila Trut, How to Tame a fox (and Build a Dog) : Visionary Scientists and a Siberian tale of Jump-Started Evolution, The University of Chicago Press, 2017
[3] « To this end, Lysenko began to “educate” Soviet crops to sprout at different times of year by soaking them in freezing water, among other practices. He then claimed that future generations of crops would remember these environmental cues and, even without being treated themselves, would inherit the beneficial traits. According to traditional genetics, this is impossible » Sam Kean, The Soviet Era’s Deadliest Scientist Is Regaining Popularity in Russia, The Atlantic, Dec 2017
[4] “accuse the science of genetics of serving the interests of American imperialism and acting against the interests of Russia.” Sam Kean, The Soviet Era’s Deadliest Scientist Is Regaining Popularity in Russia, The Atlantic, Dec 2017
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