Dans notre société occidentale, la biodiversité est devenue un indicateur des rapports que les humains entretiennent avec les autres espèces vivantes. Ce terme qui a remplacé celui de nature, est un mot valise qui désigne le monde vivant dans sa globalité. Protéger la biodiversité est en réalité devenu un slogan utilisé par des mouvements militants pour qui une belle nature est une nature sans l’homme. Dans ce contexte, qui se résume alors à accuser l’espèce humaine de détruire la nature à un rythme accéléré, il n’y a pas de place pour parler de ce qui peut être positif dans les rapports que nous entretenons avec la nature. Les informations essentiellement alarmistes sur l’état de la nature qui saturent les médias, à l’exemple, parmi bien d’autres, du titre de « 20 minutes » : « Biodiversité : Les deux-tiers des vertébrés ont disparu en près de 50 ans, alerte le WWF », jouent sur la sémantique pour entretenir une ambiance anxiogène et donner l’impression à un public non spécialiste que tout va mal et que la nature fait l’objet d’une destruction massive et inexorable. Ce qui bien entendu nécessite des mesures d’urgence que ces militants prétendent être en mesure d’apporter. Au point qu’il est devenu socialement indécent de remettre en cause le discours catastrophiste au risque d’être taxé de « bio-négationniste », qui est une forme plus sophistiquée de pratiquer la censure quand règne la pensée unique.
Pourtant quand on aborde la question, sans le parti pris idéologique de considérer que l’homme est l’ennemi de la nature, force est de constater que la situation est bien plus contrastée, S’il y a de mauvaises nouvelles, il y a aussi de bonnes nouvelles. L’état de la biodiversité ne peut se résumer à des discours globaux et réducteurs. Si on prend en compte la diversité des espèces et des paramètres susceptibles d’intervenir sur la dynamique de chacune d’entre elles, la situation apparait bien plus nuancée que celle qui nous est présentée. Oui il y a des espèces qui souffrent de la cohabitation avec les humains, mais il y en aussi qui en profitent, et de nombreuses autres espèces qui s’en accommodent. Il y a des gagnants et des perdants dans l’Anthropocène (Dornelas et al., 2019[1]). Et parmi les gagnants, il y a de nombreuses populations qui se rétablissent à la suite de mesures de protection, montrant ainsi que des améliorations sont en cours.
Une démarche objective et honnête serait de présenter les deux aspects de la situation, et pas seulement de mettre l’accent sur les points négatifs. Faut-il sans cesse rappeler ce paradoxe que des systèmes fortement anthropisés tels que la Camargue et le lac-réservoir de Der-Chantecoq, ont été labellisés sites Ramsar de conservation et que nos bocages dont on fait les louanges, sont eux aussi des créations humaines. Tout n’est donc pas négatif dans l’action de l’homme sur la nature mais ces exemples qui éviteraient de sombrer dans le pessimisme, sont rarement mis en exergue car ils affaiblissent la radicalité des discours militants.
L’état des populations d’oiseaux d’eau en France : des données contradictoires
Je prendrai ici un exemple qui est l’état des populations d’oiseaux d’eau, tel qu’il est présenté dans le rapport du WWF « Pour des rivières vivantes »[2] qui vient de paraitre. Sans surprise ce rapport fait un constat global très négatif et annonce, en ce qui concerne les oiseaux d’eau, une légère baisse des effectifs (-3,5% sur 22 ans). Il met en exergue le déclin d’une espèce qu’il qualifie d’emblématique ( ?), le Grèbe huppé, dont les populations auraient baissé de 91% en 20 ans !!
Les tendances négatives affichées comme représentatives des oiseaux d’eau par le WWF, reposent sur le suivi de 10 espèces et utilisent les données du programme STOC (Suivi Temporel des Oiseaux Communs) qui ont servi à calculer un indice « Rivière vivante » qui est une agrégation de moyennes. Seulement voilà, ces résultats sont en totale contradiction avec ceux publiés par une autre ONG, Wetlands International [3], qui réalise un suivi annuel des populations depuis plusieurs décennies, et effectue chaque année une estimation des populations d’oiseaux aquatiques dans les écosystèmes d’eau douce métropolitains sans discrimination du statut de conservation. Selon Wetlands International dont les informations ont été reprises par l’Office Français de la Biodiversité, les 70 espèces d’oiseaux d’eau hivernants dénombrées (au lieu de 10 pour le WWF), ont progressé de 109% entre 1980 et 2023 [4]. Dans le détail, l’augmentation est de 401% pour les espèces protégées et de 77% pour les oiseaux gibiers. Les effectifs de certains groupes ont particulièrement progressé en hivernage, comme les ardéidés, la grue, la cigogne blanche ou la spatule. Mais ce qui est très intéressant, c’est que le rapport de « Wetlands International » qui relate ces comptages, dit explicitement : « Une augmentation de l’abondance des populations d’oiseaux d’eau peut être le signe d’une augmentation de la capacité d’accueil globale des zones humides françaises (par leurs qualité et/ou surface), la capacité d’accueil maximale de celles-ci n’étant pas initialement atteinte ». Autrement dit nos zones humides ne sont pas aussi dégradées que l’affirme le WWF mais conservent de bonnes capacités d’accueil… Est-il crédible de parler d’un déclin généralisé dans ces circonstances !
Alors qui croire ? Tout laisse penser que Wetlands international réalise un travail sérieux qui constitue une référence. En face les 10 espèces d’oiseaux retenues par le WWF ne représentent qu’une petite fraction des populations d’oiseaux d’eau. Pourquoi seulement ces populations ? Toujours est-il que le WWF ne fait pas référence aux travaux de Wetlands International pourtant très accessibles ! Pourquoi ?
Ce n’est pas tout. Etant donné qu’une baisse des effectifs oiseaux d’eau 3,5% en 22 ans n’est pas très spectaculaire, le rapport du WWF va y adjoindre l’évolution des espèces des milieux agricoles, dont on sait qu’elles ont effectivement régressé depuis quelques décennies. Ici encore il y a sélection : on ne trouve que 11 espèces sur les 21 espèces suivies par STOC, celles observées sur des sites à 100 m maximum d’un cours d’eau. Pourquoi ces choix ? Et on est en droit de se demander également pourquoi les espèces des autres groupes suivis par STOC tels que les espèces généralistes ou celles des milieux forestiers ne sont pas aussi prises en compte dans ce périmètre ? Pourtant certaines d’entre elles fréquentent aussi les cours d’eau. Un mauvais esprit pourrait penser que c’est parce que les effectifs de ces espèces sont en hausse ?
Le rapport du WWF fait également état du déclin d’une espèce qu’il qualifie d’emblématique (?), le Grèbe huppé, dont les populations auraient baissé de 91% en 20 ans ! Or, selon les résultats de Wetlands International pour la France, en janvier 2023 le Grèbe huppé comptait 28000 individus avec une légère tendance à la baisse (-3%) au cours des 12 dernières années et une tendance stable à long terme. Le Grèbe à cou noir moins abondant (5000 individus) connait lui une tendance à la baisse de -7% sur les 12 dernières années et de -2% à long terme. Sur la liste rouge de l’UICN le grèbe huppé est par ailleurs classé LC (préoccupation mineure) et le grèbe à cou noir VU (vulnérable). Est-ce que le WWF se serait trompé d’espèce par hasard ? Dans un cas comme dans l’autre on se demande d’où vient le chiffre de – 91% du WWF ?
L’indice « Planète vivante » du WWF est lui aussi très discuté
Ces remarques jettent le doute sur l’objectivité et la crédibilité des chiffres diffusés par le WWF. D’autant que les chiffres avancés dans son rapport Planète vivante [5] où il est fait état d’une « baisse dévastatrice de 69% des populations d’animaux sauvages vertébrés en moins de cinquante ans »[6] ont également été contestés. Ces chiffres ont été repris par la presse avec parfois des titres ambigus : « 69 % des vertébrés ont disparu en 50 ans » titre ainsi le Midi Libre du 13 octobre 2022.
Si nous avions perdu 69 % de la faune sauvage mondiale en quelques décennies, comme les formulations ambiguës peuvent le laisser paraitre, ce serait un événement effectivement dévastateur. Il n’en est rien fort heureusement, mais les titres largement repris par les médias et qui saturent Internet, à l’exemple de celui de « 20 minutes » (Biodiversité : Les deux-tiers des vertébrés ont disparu en près de 50 ans, alerte le WWF) ne peuvent que tromper le public.
Or l’indice planète vivante n’indique pas le nombre d’espèces en déclin ni celui d’individus perdus. Il nous indique seulement qu’entre 1970 et 2018, il y a eu en moyenne une baisse de 69 % de la taille de la population parmi les 31 821 populations suivies pour 5 230 espèces à travers le monde, soit seulement 10 % environ du total des espèces connues de vertébrés. Il est difficile de dire que les données disponibles sont représentatives de la situation générale car ces 10% ne sont pas pris au hasard. Ce sont en majorité des espèces qui font a priori l’objet de préoccupations. Autrement dit la sélection d’espèces sur laquelle s’appuie le WWF est biaisée au départ et ne peut que produire des chiffres alarmistes. On trouvera dans Ritchie (2022) [7] des explications claires sur les nombreux biais méthodologiques afférents à l’élaboration de l’indice Planète vivante utilisé par le WWF.
Une publication de Leung et al. (2020) [8] contredit également les informations publiées par WWF et met en cause ses méthodes statistiques. En utilisant la même base de données, les auteurs ont montré que les estimations qui parlent du déclin des vertébrés depuis 1970 font l’objet d’un biais considérable reposant sur le fait que 2,4 % des populations sont en très fort déclin. Si on met à part cet ensemble restreint de populations (354 populations) qui pèse lourd sur la moyenne, la tendance globale est alors à une croissance légèrement positive. Une autre publication de Daskalova et al. (2020) [9] montre également que les abondances de seulement 15% des populations ont diminué, alors que l’abondance de 18% des espèces a augmenté et celle des autres 67% n’a montré aucun changement net au fil du temps. De sérieuses critiques concernant l’indice utilisé par le WWF ont été émises (Toszogyova et al, 2023 [10], Ritchie, 2022).
On peut rappeler que les indices globaux publiés par le WWF amalgament des situations bien différentes présentant de fortes disparités. L’une d’entre elles est que la grande majorité des extinctions documentées de mammifères et oiseaux concerne les espèces endémiques des iles océaniques. Loehle & Eschenbach (2011 [11]) ont montré que depuis 1500, 95% des extinctions ont eu lieu sur les iles. Ainsi il existe une différence majeure en matière d’érosion de la biodiversité, entre les continents et les milieux insulaires qui disparait quand on moyenne toutes les données mais qui est fondamentale si l’on doit définir des politiques de protection.
La presse n’a pas donné la même publicité aux résultats moins alarmistes des scientifiques ni aux résultats des suivis de Wetlands International qui circulent pourtant dans les réseaux d’ornithologues. Le problème ici encore est donc de savoir pourquoi le WWF publie des données si peu fiables avec des indices composites de moyennes de moyennes qui ne disent plus rien sur l’état réel ? Et pourquoi on accorde du crédit à ces manipulations de l’information et pas aux autres ?
Redonner du sens à la science
Les auteurs qui ont contesté la validité des informations publiées par le WWF ne disent pas pour autant que tout va bien et qu’il n’y a pas de problèmes. Ils portent un regard moins manichéen et disent que la réalité est plus contrastée et moins dramatique que celle décrite par le WWF. Et ils ajoutent que ce n’est pas en globalisant des données hétérogènes pour en sortir des chiffres qui ne signifient plus rien que l’on peut orienter l’action publique. Car il y a des réalités incontestables : si les populations de nombreuses espèces d’oiseaux d’eau (et bien d’autres) s’accroissent en Europe, c’est que les mesures de protection prises depuis des décennies portent leurs fruits. Notamment les mesures concernant leur destruction (chasse, lutte contre les nuisibles). Et ce, bien que le braconnage ou les « mauvais gestes » dont on parle peu par ailleurs, restent toujours d’actualité. Il est également incontestable que nos systèmes écologiques ont toujours de bonnes capacités d’accueil puisqu’ils permettent le rétablissement des populations et accueillent des espèces candidates à la naturalisation. Est-il politiquement incorrect de rappeler tout cela pour laisser le champ libre à une ONG porteuse d’une vision idéologique de la nature dans laquelle les humains font figure d’intrus ?
La question se pose également de savoir pourquoi de nombreux scientifiques se taisent sur ces manipulations, et parfois y contribuent ? A l’heure où en écologie on s’interroge de plus en plus sur le militantisme affiché d’une partie des scientifiques[12], ce qui constitue un véritable conflit d’intérêt, l’instrumentalisation de la science à des fins idéologiques est une dérive inquiétance, digne des grandes heures du régime soviétique.
[1] Dornelas M. et al., 2019. A balance of winners and losers in the Anthropocene. Écologie Letters 22(5): 847–854
[2] https://www.wwf.fr/sites/default/files/doc-2024-05/rapport-riviere-vivante-WWF-2024.pdf
[3] Welland International. Comptage des oiseaux d’eau à la mi-janvier en France. Résultats 2023 du comptage Westland International
[4] Évolution des populations d’oiseaux d’eau hivernants
https://naturefrance.fr/indicateurs/evolution-des-populations-doiseaux-deau-hivernants
[5] https://www.wwf.fr/rapport-planete-vivante
[6] WWF, Communiqué de presse, 13 octobre 2022. https://www.wwf.fr/vous-informer/actualites/le-rapport-planete-vivante-du-wwf-revele-une-baisse-devastatrice-de-69-des-populations-danimaux
[7] Hannah Ritchie (2022) – “Living Planet Index: what does an average decline of 69% really mean?” Published online at OurWorldInData.org. Retrieved from: ‘https://ourworldindata.org/living-planet-index-decline’ [Online Resource]
[8] Leung, B. et al. (2020). Clustered versus catastrophic global vertebrate declines. Nature, 588, 267–271
[9] Daskalova, G.N., Myers-Smith, I.H., God lee, J.L. (2020). Rare and common vertebrates span a wide spectrum of population trends. Nat. Commun., 11(1), 4394.
[10] Toszogyova A., Smycka J., Storch D. et al. Mathematical biases in the calculation of the Living Planet Index lead to overestimation of vertebrate population decline, 11 May 2023, PREPRINT (Version 1) available at Research Square [https://doi.org/10.21203/rs.3.rs-2887653/v1]
[11] Loehle G. & Eschenbach W., (2011). Historical bird and terrestrial mammal extinction rates and causes. Biodiversity Research, 18(1): 84-91.
[12] https://www.agriculture-environnement.fr/wp-content/uploads/pdf/dossier-science-militante.pdf
Image par Kathy Büscher de Pixabay
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Le cas du grèbe huppé est un exemple révélateur de chiffre aberrant qui circule en contradiction totale avec toutes les sources sérieuses. La chute de 91% annoncée par le WWF n’est pas seulement contredite par les comptages Wetlands International. En France, le STOC considère ses effectifs comme stables depuis 2000 :
https://www.vigienature.fr/fr/grebe-huppe-3449