
Dans l’entreprise de déstabilisation et de récupération de la science par l’écologisme, la PPE3 constitue un excellent exemple pour illustrer comment l’idéologie peut prendre le contrôle de la politique scientifique. Comme le rappelle Philippe Charlez : « La « 3è Programmation Pluriannuelle pour L’Energie et la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC) sont calquées sur le « fit for 55% » imposé par le Pacte Vert Européen. Elles imposent sur la prochaine décennie des trajectoires de réduction de la consommation d’énergie (-2,8% par an) … » Or ce plan, nous dit l’expert, insiste sur le recours au renouvelable intermittent « à un rythme totalement insoutenable en rajoutant plus de 100 GW de solaire et d’éolien en dix ans. » En outre, il ira contre toute tentative de réindustrialisation et de réarmement. A cela s’ajoutent des coûts faramineux avec augmentation de la dette (+25% à l’horizon 2040) ce qui devrait entrainer une politique régressive pour les classes les moins aisées. Une analyse confirmée quelque jours plus tard par l’Académie des sciences qui s’est fendue d’un avis (1) très critique à l’égard de ce plan pour lequel le Gouvernement n’avait initialement pas prévu de consulter le Parlement et encore moins les Français.
Le planisme en question ?
Spontanément on a envie de se jeter sur la critique du planisme qui pousse l’Etat à faire n’importe quoi en concentrant tous les pouvoirs… Mais ce serait céder à la facilité car rappelons que c’est aussi ce même planisme qui a permis à l’Etat de se doter d’un parc nucléaire unique au monde. Il nous faut donc distinguer plusieurs typologies de plans (2).
Selon Hayek il faut se souvenir que « tout homme qui n’est pas totalement fataliste est un planiste, tout acte politique est (ou devrait être) un acte de planisme, et il ne peut y avoir de différence qu’entre plans bons ou mauvais, sages et prévoyants ou stupides et à courte vue. » Hélas, regrette l’économiste autrichien, ce n’est pas ainsi que les planistes modernes conçoivent la planification. Ils ne se contentent pas, à la manière d’un État libéral, de définir « le cadre permanent le plus rationnel à l’intérieur duquel les individus se livreraient à leurs activités conformément à leurs plans personnels ». Au contraire, « Ce que nos planistes exigent, c’est la direction centralisée de toute l’activité économique, conformément à un plan unique, exposant comment les ressources de la société doivent être « consciemment dirigées » pour atteindre d’une manière déterminée un but déterminé. » Ce qui est, comme le rappelle Hayek, la définition socialiste. Aujourd’hui tout le monde est convaincu que l’Etat Français ou les bureaucrates de l’UE incarnent le deuxième type de planisme, celui que dénonce Hayek.
Plan Calcul vs Plan Boiteux Mesmer
Pourtant il fut un temps où la planification était au service du développement des solutions technologiques d’envergure. Ce fut notamment le cas dans les années 60 quand l’État français, soucieux de sa souveraineté industrielle avec le Général de Gaulle au pouvoir lança une série de projets : le CEA et EDF pour l’atome, ONERA et Sud Aviation pour l’aéronautique et l’espace…Tous les projets entrepris par l’Etat ne se valent pas. C’est ainsi que, comme le raconte Maurice Allègre (Haut Fonctionnaire, X-Mines, chargé du Plan Calcul) dans une interview qu’il nous avait consacrée, la volonté de mettre en place une véritable industrie française de l’informatique, compétitive et exportatrice, principalement dans les ordinateurs de gestion, le fameux plan Calcul a échoué. On pourrait tirer de cet exemple la conclusion que le planisme d’État et la science des ingénieurs ne font pas bon ménage.
Il est pourtant un exemple qui contredit parfaitement l’échec absolu du plan Calcul, c’est celui du développement de la filière nucléaire française comme le raconte André Pellen dans un hommage rendu à Marcel Boiteux, ancien président d’EDF. Comme le rappelle cet expert du nucléaire français, il s’agissait dans un premier temps d’« un plan quinquennal de développement de l’énergie atomique », voté au début des années 50, afin de trouver un remède au déficit énergétique. Dans ces deux articles fleuves que je vous recommande vivement, on voit l’efficacité des hommes d’Etat déterminés à bâtir un édifice qui va de « La construction et la mise en service de trois réacteurs prototypes, G1, G2, G3…sur le site de Marcoule. » jusqu’à la construction d’un « réacteur à neutrons rapides, surgénérateur et consommateur de plutonium… »
Mais, on voit aussi la fragilité du système car c’est l’Etat également qui a mis un terme aux projets Superphénix et Astrid, et aussi pris la décision de fermer des centrales encore en état de fonctionnement, telles que Fessenheim.
Le planisme est une arme à double tranchant. C’est moins l’intérêt de la technologie qui fait son succès (ce qui serait le propre de la planification entrepreneuriale) que le soutien ou l’opposition qu’elle obtient du pouvoir politique en place. Or ce dernier n’est pas toujours expert et peut être influencé par une quantité de facteurs aléatoires… Le plan Calcul fut un échec lamentable alors que le plan qui regroupa les initiatives de Boiteux et Messmer fut un succès inouï pour le nucléaire, même s’il a connu un revers (attaqué sous les coups de boutoir de l’écologisme) avant dernièrement de sembler vouloir renaître de ses cendres.
Planification technocratique
Là encore, il semble utile de raisonner au cas par cas. Mais il existe un côté obscur de la planification. Comme je l’ai montré dans Greta a ressuscité Einstein (3), l’UE s’est emparée du planisme pour tenter de résoudre l’ensemble des problèmes environnementaux au travers de plans pharaoniques tels que le Green Deal, F2F ou encore la loi de restauration de la nature pour ne citer que les principaux. Ces grands plans sont des fourre-tout dans lesquels on trouve aussi bien des mesures-cadres pour favoriser le développement de sources d’énergie (par exemple, la taxonomie qui identifie les sources d’énergie de la transition écologique) que des mesures de connivence pour favoriser certaines industries et de coercition pour en interdire d’autres.
C’est ainsi que la loi qui vise l’interdiction des véhicules thermiques pour 2035 est un parfait exemple du mauvais planisme que dénonçait Hayek. « Les créateurs de plans nous promettent une soi-disant liberté économique pour nous débarrasser précisément de la nécessité de résoudre nos problèmes économiques, en disant que les alternatives souvent pénibles qu’ils comportent seraient tranchées par d’autres à notre place.» Comme j’en ai émis l’hypothèse, c’est le marché qui a fait que l’invention « véhicule thermique » soit adoptée par les conducteurs avant le véhicule électrique. En l’état actuel des choses, même si la technologie se trouve en constante progression, il paraît difficile d’imposer le véhicule électrique d’ici 2035, tel que le souhaite la Commission européenne (voir à ce sujet notre chapitre « Véhicule électrique : les terres rares sous le tapis » (4). Ne se trouve-t-on donc pas en face d’une mesure dirigiste digne d’un gouvernement socialiste ? L’UE intervient via les États pour interdire une technologie mature et imposer une autre technologie immature. Ce n’est pas le processus de destruction créatrice shumpéterienne qui est à l’oeuvre ici comme dans tout processus d’innovation classique, mais ce que l’on peut qualifier de planification destructrice « vonderleyenne », pour reprendre un néologisme parodique qualifiant la présidente de la Commission européenne.
Contrairement au planisme vertueux qui permet de lancer de grands chantiers, il existe un planisme politique piloté généralement par l’idéologie qui est extrêmement néfaste pour la science des ingénieurs et obère la liberté qui est nécessaire au processus d’innovation.
De la nécessité de rouvrir le débat
Qu’en est-il de la PPE3 et de la stratégie SNBC ? On y voit clairement la volonté de l’Etat de développer les ENR pour induire des comportements décroissants. Or on constate que le politique est totalement soumis à l’idéologie collapsocrate.
Or comme on vient de le rappeler, une politique qui choisit les bonnes technologies peut radicalement changer le destin d’un pays. En effet, les politiques qui ont choisi de faire confiance aux ingénieurs pour faire face au risque de pénurie de pétrole ont conduit les Français sur la voie de la souveraineté énergétique et ont contribué à leur apporter à chacun une plus grande libre responsabilité (leur liberté s’accroît grâce à la disponibilité d’une énergie abondante et bon marché, et leur responsabilité à l’égard de l’environnement également du fait qu’elle soit décarbonée). L’échec du plan calcul au contraire a rendu notre pays totalement dépendant sur le plan de l’industrie numérique.
Il est donc urgent d’ouvrir le dialogue débarrassée de toutes idéologies et en y intégrant tous les Français, car ils ont tous une facture d’électricité à payer et un intérêt dans une transition énergétique qui ménage l’humanité et son environnement. Ensuite, comme je le démontre dans de Gaia à l’IA, une bonne politique scientifique cherche à optimiser cette valeur cardinale qu’est la libre-responsabilité, autrement dit, le choix d’une solution retenue doit nous apporter un maximum de liberté et un maximum de responsabilité. De manière très concrète, on arrête de dire qu’il faut des éoliennes parce que « c’est plus naturel », ou du nucléaire parce que « c’est le progrès ». On oublie les idéologies et leurs polémiques sans fins, on remet à plat le débat et on regarde entre les ENR et le nucléaire, laquelle des deux solutions optimise notre « libre responsabilité ». Par exemple, on est plus libre avec une énergie pilotable, qu’avec une énergie intermittente et on est plus responsable avec une énergie décarbonée qu’avec une énergie qui nécessite des énergies fossiles (les éoliennes nous obligent à rallumer les centrales à charbon). Voici le genre de débat que devrait lancer le gouvernement Bayrou avant toute planification qui engage la nation pour des décennies. En espérant qu’il soit encore temps….
(2) Jean-Paul Oury, De Gaïa à l’IA: Pour une science libérée de l’écologisme (Dec 2024, VA éditions)