En novembre 2017, le Centre International de Recherche sur le Cancer (IARC en Anglais, pour International Agency for Research on Cancer) a posté une annonce sur son site pour dire qu’il recrutait un nouveau directeur. Le texte précise que la nomination aura lieu en Mai 2018 et que les candidats ont jusqu’à mi-février pour postuler. Le nouveau candidat sera nommé pour cinq ans et prendra la place de l’actuel directeur Christopher Wild, en poste depuis 2009.
Une occasion unique de renouveau pour cette organisation influente dont l’histoire est semée de polémiques.
Cette agence basée à Lyon et qui dépend directement de l’Organisation Mondiale de la Santé, démontre au travers de son exemple, à quel point la science n’est pas seulement « une affaire de scientifique », mais se trouve imbriquée dans un processus interdisciplinaire qui comprend non seulement des experts, mais aussi des politiques, des juristes, des médias et au final l’opinion. Une fois que l’on a bien conscience de cette trans-disciplinarité, on comprend mieux la mécanique des querelles scientifiques et comment celles-ci peuvent venir au jour.
Or, comme nous l’avions montré jadis dans une thèse d’épistémologie, il est important de distinguer entre les controverses et les polémiques. Alors que les premières concernent un désaccord entre des experts d’un même domaine scientifiques qui surgit lorsqu’ils ne sont pas d’accord sur l’interprétation à donner d’un fait identique, les secondes, elles, relèvent, de raisons autres que « purement scientifiques » et font que les opposants s’attaquent mutuellement en ayant recours à des considérations « ad hominem ». Dans ce cas, Ils peuvent, par exemple, s’accuser réciproquement de ne pas respecter la déclaration des conflits d’interêt, d’appartenir à des idéologies politiques différentes, de ne pas avoir respecté les procédures de cautionnement par les paires, ou de tout autres types d’argumentaires qui font sortir le débat de la sphère « purement scientifique ».
En tant qu’organisation para-publique, force est de constater que le CIRC nous a habitué à une collection de polémiques : par exemple si, je saisis « CIRC + café » dans google.fr , je trouve en premier lieu un communiqué de presse hébergé sur le site de l’organisation qui affirme « Les Monographies du CIRC évaluent la consommation de café, de maté et de boissons très chaudes » et dans laquelle on lit en caractère gras « Le Groupe de travail n’a trouvé aucune preuve concluante d’un effet cancérogène de la consommation du café. Ils ont en revanche conclu que la consommation de boissons très chaudes provoque probablement le cancer de l’œsophage chez l’homme. Aucune donnée concluante n’a pu être mise en évidence en ce qui concerne la consommation de maté à des températures qui ne sont pas très élevées. »
Mais avant d’en arriver à cette déduction, il faut savoir que le café a été classé par le CIRC sur la liste des produits cancérogènes pendant plus de 25 années. Or les 23 experts indépendants de cet organe de l’OMS qui a pour vocation de tenir à jour une liste substances classées en fonction de leur potentiel cancérigène on revu leur position après une analyse de plus de 1000 études réalisées chez l’homme et l’animal qui n’ont apporté aucune preuves concluantes. On notera que l’EFSA avait annoncé en 2015 que le café « ne présentait pas de problème de sécurité pour la population générale en bonne santé». L’instance dépendant de l’OMS a fini par se ranger au côté de l’organisme européen.
Rappelons tout d’abord que le CIRC ne produit pas lui-même d’étude, tel que le ferait un laboratoire, mais il se contente de sélectionner et compiler celles-ci afin de donner un avis qui n’a aucune valeur réglementaire. Or, il est surtout connu du grand public et des médias pour avoir publié des avis sur le caractère cancérigène du café, comme nous en avons déjà parlé, mais aussi des téléphones portables, de la viande et plus récemment, du glyphosate. A chaque fois, ces déclarations défraient la chronique et suscitent des reprises alarmistes.
Ainsi, alors que le CIRC distingue cinq catégories de produits : de « cancérogènes » (Groupe 1) à « probablement pas cancérogènes » (Groupe 4) en passant par « probablement cancérogènes » (Groupe 2A), « peut-être cancérogènes » (Groupe 2B) et « inclassables » (Groupe 3), on peut imaginer qu’un débat de type « controverses » peut avoir lieu entre les experts qui, en se penchant sur les études sont susceptibles de raisonner en terme de falsification (ainsi on s’est aperçu que l’effet cancérogène n’était pas dû au café, mais aux brûlures causées par les boissons chaudes…. On ne pourra s’empêcher de penser ici à Carl Hempel et sa description des Recherches de la fièvre puerpérale chez Semmelweis). Comme on peut s’en douter sur un tel sujet, il est difficile de « contenir le débat au sein de la sphère scientifique » et on a vite fait de déborder sur les « polémiques publiques ». Ainsi, en se penchant sur les reprises que les médias font des avis du CIRC pour se persuader que certains sont plus avides de sensationnalisme que d’objectivité.
Entre le Monde qui se contente de rapporter l’avis en titrant correctement « La viande rouge est « probablement » cancérogène », et Europe 1 qui affirme : « Viande et cancer : le rapport choc de l’OMS », il y a toute la place pour l’imaginaire des consommateurs. Et il suffit de consulter « Google suggest [1]» pour voir l’impact qu’a eu cet avis du CIRC dans l’opinion, puisque les deux premières notions qui sortent désormais quand on saisit le mot viande, sont « cancérigène » et « cancérogène ». Or que lit-on sur le site de l’OMS ? « Un comité consultatif international, réuni en 2014, a recommandé comme hautement prioritaire l’évaluation de la consommation de la viande rouge et de la viande transformée par le Programme des Monographies du CIRC. Cette recommandation était fondée sur des études épidémiologiques laissant entendre que les légères augmentations du risque de plusieurs cancers pouvaient être associées à une forte consommation de viande rouge ou de viande transformée. Bien que ces risques fussent faibles, ils pourraient être importants pour la santé publique parce que beaucoup de personnes dans le monde consomment de la viande, et que la consommation de viande est en augmentation dans les pays à revenu faible et intermédiaire (PRFI). »
Les risques sont faibles, mais le sujet étant sensible, l’avis du CIRC a fait couler des tonnes d’encre.… Et visiblement causé de sérieux dégâts dans l’opinion. Autre élément sujet à la polémique : le financement de l’organisme. En effet, la question a fait des vagues jusqu’au plus haut sommet des instances US, puisque en 2016, dans une lettre au directeur du NIH, le président de la commission de la Supervision, Jason Chaffetz, a parlé à propos du CIRC d’un “historique de controverses, de rétractations et d’incohérences” aussi il s’est demandé pourquoi le NIH, qui dispose d’un budget de 33 milliards de dollars (29,6 milliards d’euros) continuait de le financer.
On peut lire dans une dépêche Reuters de l’époque « que la lettre de Jason Chaffetz contenait des “idées fausses” auxquelles son directeur, Chris Wild, s’était efforcé de répondre par écrit au directeur du NIH. » On voit au travers de ces échanges à quel point on a quitté le secteur de la science pour basculer dans celui de l’influence politique et juridique…. Et donc la controverse pour la polémique. Or ce faisant on a perdu pied avec le discours scientifique et la capacité de celui-ci à se concentrer sur l’analyse des faits…. Une quantité extraordinaire de notions non-scientifiques viennent polluer le débat pour faire au final du CIRC un instrument politique qui distribue des bons et des mauvais points… et dont la première victime est le consommateur qui ne sait plus à quel saint se vouer. Les conséquences sont terribles, car c’est ainsi que se construisent les opinions sur un sujet. Gageons donc, qu’alors qu’il se cherche un nouveau directeur, le CIRC réussira à calmer la situation et choisira un représentant qui sera en mesure circonscrire le débat au niveau scientifique avant de susciter les scandales médiatiques.
[1] Cette fonction du moteur de recherche indique quelles sont les notions les plus associées par les internautes dans leur requête sur un sujet donné
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