Vous avez sans doute déjà reçu dans votre boîte au lettre la carte de visite d’un spécialiste des thérapies énergétiques… Si cela ne vous dit rien effectuez une recherche sur les métiers tels que énergéticiens, géobiologues, lithothérapeutes, domothérapeutes, etc. et vous pourrez alors constater que ceux-ci prolifèrent. Ils prétendent maîtriser et manipuler les ondes, l’énergie, les champs électriques …. des notions complexes, en apparence scientifiques et qui concernent des phénomènes invisibles à l’œil. Qu’en est-il vraiment ? Dans son nouveau livre intitulé « Thérapies énergétiques: Ondes, biochamps, fluides magnétiques… peuvent-ils soigner ? » paru aux éditions Book-e-book, Sébastien Point a mené l’enquête. Ingénieur en électronique et en optique, docteur en physique des plasmas et titulaire d’une licence en psychopathologie et d’un master en énergétique, ce spécialiste des technologies de sources lumineuses et des effets biologiques des rayonnements électromagnétiques, répond ici à nos questions pour nous présenter ce fascicule accessible au plus grand nombre et surtout à ceux qui se posent des questions sur ces sujets.
The European Scientist : Vous consacrez votre nouvel ouvrage aux « Thérapie énergétiques ». De quoi s’agit-il ? Pouvez-vous nous donner quelques exemples ?
Sébastien Point : Bien sûr. Il s’agit de l’ensemble des thérapies alternatives dans lesquelles les praticiens prétendent pouvoir manipuler les ondes, les énergies, les champs – qualifiés souvent de « bons » ou « mauvais »- pour améliorer notre santé, notre bien-être, notre mental, ou bien notre environnement de vie. La liste de ces pratiques est longue, et se renouvelle au gré de l’imagination humaine. Vous pouvez aujourd’hui consulter des magnétiseurs, des énergéticiens, des ondobiologues, des bioélectroniciens, des géobiologues, des domothérapeutes et j’en passe. Certains prétendront pouvoir vous soigner de tous les maux! Et je n’exagère pas: j’ai en mémoire les prétentions d’un cabinet de thérapeute qui affirmait pouvoir rééquilibrer le terrain énergétique des patients pour leur éviter le cancer, les thromboses, la peste et le choléra! En définitive, ce livre est un bestiaire à chimères !

TES : Selon vous ces thérapies pratiquent un détournement de concepts scientifiques, tels que l’énergie, les ondes électromagnétiques, le magnétisme ou encore le courant électrique. Pouvez-vous développer ?
SP. : C’est le premier rouage sur lequel s’engrènent ces pseudothérapies énergétiques : elles récupèrent, agglomèrent, travestissent des notions scientifiques pour donner à leur discours une apparente scientificité et introduire la confusion dans les esprits. Les ondes et l’énergie se prêtent très bien à cet exercice : ce sont des phénomènes invisibles, dont la physique est complexe, et dont le commun des mortels ignore presque tout. Quel pourcentage de la population maîtrise la notion d’énergie, au sens physique, et sait que l’énergie n’a pas d’existence propre, qu’elle n’est qu’une mesure des changements d’état de la matière ? Peu de monde… C’est une aubaine pour les pseudothérapeutes, qui présentent l’énergie comme une sorte de fluide, présent autour de nous, manipulable, échangeable, et dont la bonne ou mauvaise circulation serait à l’origine de nos problèmes de santé. Même chose pour les ondes : les peurs – très largement infondées – autour de l’exposition aux ondes de téléphonie mobile ont montré qu’il existe un déficit de compréhension de la physique des ondes et de ses interactions avec l’organisme dans la population. Les pseudothérapeutes ont le champ libre et en profitent : ils prétendent qu’il existe de bonnes ondes et de mauvaises ondes et vendent des prestations pour rééquilibrer les champs électromagnétiques dans votre lieu de vie… Idem pour les champs magnétiques des aimants, les courants, les phénomènes quantiques… Bref, des notions scientifiques complexes sont détournées et torturées par les pseudothérapeutes jusqu’à ce qu’elles parlent en leur faveur !
TES : Votre passage sur les thérapies quantiques et la célèbre citation de Richard Feynman est particulièrement croustillant. Pouvez-vous nous l’exposer ?
SP. : Oui, Richard Feynman – prix Nobel de physique pour ses travaux sur l’électrodynamique quantique et vulgarisateur de génie – a dit un jour que si vous pensez avoir compris la mécanique quantique, c’est que vous ne l’avez pas comprise. En effet, la mécanique quantique est un exemple fascinant de la manière dont l’être humain a su comprendre le monde à l’aide des mathématiques, du raisonnement et de l’expérimentation. Mais les phénomènes quantiques, parce qu’ils ont lieu à des échelles de temps et d’espace infiniment petites pour nous, obéissent à des lois physiques qui n’apparaissent pas à notre échelle et auxquelles nos sens et notre cerveau -façonnés par l’évolution suivant les lois de la physique classique- sont, pour ainsi dire, inadaptés; par conséquent nous sommes naturellement et drastiquement limités pour nous les figurer et les comprendre.
Pourtant, certains énergéticiens ou magnétiseurs semblent connaître et maîtriser suffisamment cette physique quantique éminemment complexe pour en faire… une thérapie ! En réalité, comme pour les notions d’ondes ou d’énergie, ils profitent de la difficulté qu’a le grand public à appréhender la physique quantique pour se l’approprier, l’utiliser bien au-delà de son cadre théorique et expérimental, et lui faire dire à peu près n’importe quoi.
TES : Selon le philosophe G. Canguilhem, la médecine est une technique ou un art au carrefour de plusieurs sciences plutôt qu’une science proprement dite. Comment considérer ceux qui proposent ces pratiques alternatives au regard de cette analyse ? Si la médecine n’est pas elle-même une science, comment la distinguer du charlatanisme ?
SP. : Tout comme l’ingénierie est l’application de savoirs issus des sciences dures, la médecine est l’application des connaissances des sciences médicales. On pourrait dire qu’il s’agit de sciences appliquées. Mais ni l’ingénierie ni la médecine ne se résument à l’application de connaissances scientifiques : elles requièrent un savoir-faire , à la fois relationnel et pratique, qui ne relève pas de la science, ce qui leur confère ce statut particulier de « techniques ».
Cette nature hybride, à la fois science appliquée et technique, ne retire rien à une exigence fondamentale : la médecine, comme l’ingénierie, si elle ne fonde pas sa pratique sur les faits, le raisonnement rationnel et une démarche objective, n’a aucune chance de fonctionner. Ce sont des pratiques qui, pour être efficaces, doivent comprendre la nature afin de la maîtriser ou de la modéliser, tout comme les sciences fondamentales. À l’inverse, les pseudothérapies et les pseudosciences reposent sur une démarche diamétralement opposée, que je nomme dans mon ouvrage « l’inversion pseudoscientifique » de la connaissance : pour fonctionner, elles modifient la réalité des faits afin de l’ajuster à une vision préétablie du monde… Je donne dans mon ouvrage les clés de lecture permettant de déterminer qu’une thérapie est pseudoscientifique: en bref, c’est le cas dès que des notions scientifiques sont mélangées à des concepts ésotériques et que certains éléments de l’argumentation relèvent de l’appel à la nature, à la tradition, ou à la sensibilité du praticien.
TES : Vous montrez justement que le succès rencontré par ces thérapies est dû au fait que les protagonistes qui les développent font appel au ressenti de leurs clients. C’est là selon-vous que réside la tromperie ?
SP. : Plus précisément, au ressenti du praticien et du client. Et oui, c’est là que réside la tromperie principale. Permettez-moi de revenir à quelques fondamentaux pour bien établir ce fait.
La science, c’est avant tout une démarche, qui produit une nouvelle connaissance – à partir de connaissances préalables via des cycles successifs hypothèses-expérimentations-validations, et qui n’accepte pas d’autres sources de connaissances que celles produites par cette méthode. En outre, tout est fait pour contrôler, maîtriser, éliminer les effets parasites liés aux conditions de l’expérimentation : c’est la raison d’être de la méthode en double aveugle, utilisée dans le domaine médical, qui exige que ni le patient ni le médecin ne sachent si le remède testé est le principe actif ou un placebo ; ou encore, en psychologie expérimentale, de l’aléatoirisation des conditions expérimentales.
Pourquoi une telle rigueur ? Pour se protéger des biais et artefacts expérimentaux qui pourraient complètement altérer la validité des résultats, et notamment les biais cognitifs comme l’erreur d’attribution causale, le biais de confirmation ou encore le biais d’autoréalisation des prophéties, qui font passer des impressions ou des idées préconçues pour des faits avérés.
Les thérapeutes énergétiques basent pourtant leurs actions sur leur ressenti, et celui de leur client. C’est voulu, car introduire la subjectivité comme une donnée expérimentale ou comme un « outil de mesure » permet de valider une pratique qui ne passerait pas la méthode expérimentale objective; et cela de façon d’ailleurs incontestable, puisque le ressenti est difficilement contestable… C’est donc une tromperie, très efficace pour duper une personne en souffrance mais nulle du point de vue scientifique et qui ne peut déboucher sur aucune connaissance valide. Vous remarquez d’ailleurs que les pseudosciences ne prolifèrent pas dans les domaines des sciences dures et de l’ingénierie : parce qu’un lanceur spatial conçu par des formules magiques et subjectives au lieu de formules logiques et objectives, ça ne décollerait pas beaucoup et ça tomberait très vite : la sanction expérimentale s’imposerait d’elle-même dans ces cas-là !
TES : Vous expliquez donc également que ces praticiens recherchent une forme de légitimité dans la tradition et la nature. Comment font-ils concrètement ?
SP. : Effectivement, c’est une autre ficelle du métier! Les praticiens des thérapies énergétiques, à côté de notions scientifiques récupérées et détournées, convoquent des remèdes ou pratiques ancestrales ou naturelles, dont l’efficacité serait démontrée parce qu’elles sont… ancestrales ou naturelles, surfant sur l’idée assez répandue que ce qui est naturel est forcément bon et que c’était mieux avant! Il faut dire que cette forme de pensée magique, associant ancestralité, naturalité et ésotérisme- que je qualifie souvent d’écoésotérisme- a le vent en poupe dans notre époque où la technologie et l’économie industrielle sont attaquées de toute part en dépit des formidables avancées humaines qu’elles ont permis! Il est donc possible d’entendre des thérapeutes alternatifs mélanger dans leurs discours la physique quantique – à laquelle ils ne comprennent rien- au yin yang, au thème astral et à l’énergie des arbres !
TES : Vous consacrez votre dernier chapitre à la pression que mettent les acteurs sur la sphère politiques. Vous avez vous mêmes subit des attaques. Pourquoi la situation est-elle inquiétante selon-vous ?
SP. : Les pressions des pseudothérapies sur la sphère politique sont complexes, à la fois externes et internes. Externes parce que, comme tout lobby défendant une activité économique, celui des pseudothérapies cherche à casser les résistances et à obtenir une forme de reconnaissance institutionnelle. Et internes, car certains élus ou hauts fonctionnaires ont intérêt à promouvoir ces pratiques, par électoralisme, opportunisme ou motivation personnelle.
C’est cette combinaison de pressions internes et externes qui, selon moi, explique pourquoi on se retrouve aujourd’hui avec des rapports émanant de l’OPECST ou du ministère de l’Agriculture recommandant de financer des recherches en géobiologie; ou encore avec des parlementaires demandant la création d’une agence d’évaluation des médecines alternatives, initiative en apparence louable mais qui serait en réalité une vraie dérive: la reconnaissance d’une pratique alternative -sur des bases méthodologiques nécessairement faibles- entraînerait mécaniquement la légitimation d’autres pseudothérapies reposant sur des concepts similaires.
Quant à moi, je fais effectivement régulièrement l’objet de pressions, qui sont multiformes. Il peut s’agir de menaces de poursuite, mais, le plus souvent, il s’agit de manœuvres de dénigrement public mettant en cause mon honnêteté ou mon intégrité; ou encore des sollicitations de marchands de « technologies » pseudothérapeutiques (par exemple, des dispositifs censés protéger des ondes) pour me rencontrer ou s’entretenir avec moi… Tout cela est sans importance car j’assume pleinement mes positions et mon argumentation.
TES : Avec cet ouvrage, vous poursuivez un engagement de longue date déjà présent dans vos précédents écrits contre les pseudosciences et les dérives technophobes. Vous avez été très engagé notamment contre la géobiologie et son entrisme dans les sphères institutionnelles. Que répondez-vous à ceux qui vous accusent de combattre les thérapies alternatives par collusion avec la « big pharma » ou le « grand capital » par exemple?
SP. : Au grand dam de mes contradicteurs, mon engagement est fondamentalement désintéressé: je ne dépends d’aucun financement lié à ce domaine puisque je vis depuis 20 ans de mon métier d’ingénieur et de physicien dans la recherche académique ou industrielle, essentiellement dans les secteurs de la sécurité, de la défense et de l’aérospatial. Je n’ai aucun intérêt à flatter qui que ce soit, ni à épargner qui que ce soit. Je ne cherche à servir aucune autre cause que celle de la rigueur intellectuelle, de l’esprit critique et de la défense de cette science qui m’a tant donné. On peut donc m’accuser de ce que l’on veut: seul compte la réponse aux faits et aux démonstrations. Le reste n’est que diversion et aveu de vacuité intellectuelle.
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