
Le débat idéologique autour de la PPE3
Qu’est-ce qu’il se dit autour de la PPE3 ? D’un côté, la part belle est faite aux ENRi ? D’un autre côté, la part belle est faite au nucléaire ? Et finalement, on ne débat plus. On est face à un combat idéologique. Mais qui est responsable de ce combat idéologique sur les ENRi qu’on veut substituer au nucléaire ? Les responsables sont l’État et ceux qui l’animent depuis des décennies. L’État français a la clé pour sortir de ce combat stérile et surtout préjudiciable aux émissions de CO2 et au réchauffement climatique. Je m’explique.
La PPE3 s’inscrit pourtant dans une transition dite « énergétique. » L’objectif est « normalement » de lutter contre les émissions de CO2 responsables, d’après les scientifiques, d’une partie du réchauffement climatique. La PPE3 s’inscrit dans une transition exclusivement « électrique. » En France, la transition électrique a été faite au siècle dernier, avec une électricité française à 97% très bas-carbone depuis 45 ans. La PPE3 ne parle que du nucléaire et des ENRi. Il est donc logique que le débat porte sur cet antagonisme de paradigmes divergents.
La PPE3 ne parle pas de la transition « énergétique » sur le gaz et sur le pétrole, par exemple, qui représentent pourtant le poste d’émission de CO2 le plus élevé en France. Voulez-vous des exemples ? En voici.
La voie de droite de nos autoroutes est monopolisée par une file ininterrompue de camions de Lille à Marseille, de Strasbourg à Quimper et de Cherbourg à Biarritz. L’État se glorifie de l’arrêt de Fessenheim très bas-carbone à 4g CO2/kWh et en parfait état de marche, mais là, sur le transport routier émetteur de CO2, rien n’est fait. Dans une logique d’écologie punitive, Ségolène Royal et François Hollande avaient tenté de s’attaquer au transport routier et ses émissions de CO2, avec des portiques imposant une écotaxe. Le projet s’est traduit par un abandon pur et simple, avec à la clé un fiasco sur les finances publiques. Un de plus.
Lorsqu’il y a eu la guerre en Ukraine, l’État français tremblait pour l’approvisionnement et le prix du gaz. Si l’État avait initié et encouragé la transition du chauffage au gaz en électricité bas-carbone en subventionnant le changement des chaudières au gaz en pompes à chaleur, on aurait fait une réelle transition « énergétique. » En plus de baisser nos émissions de CO2, on aurait baissé notre facture d’importation de gaz avec des économies substantielles. Au lieu de cela, on engraisse les économies des pays asiatiques en achetant leurs panneaux solaires, pour une électricité déjà très bas-carbone en France, le tout financé par subventions publiques payées par les citoyens français aux ENRi. Une gabegie financière de plus pour des panneaux solaires de 20 ans de durée de vie et une électricité de facteur de charge annuel de 15% imposant des batteries qui vont piller les ressources terrestres par définition limitées. Où est l’éco-logique de la transition énergétique ?
Les racines historiques et l’influence idéologique
En fait le débat idéologique a été créé de toute pièce par les politiques au pouvoir en France depuis des décennies. Pourtant, un rapport (1) de 1989 de Michel Rocard, premier ministre de gauche, indiquait je cite :
« L’essentiel des gains de CO2 rendus possibles par la substitution du nucléaire aux combustibles fossiles est aujourd’hui acquis pour notre pays. » Aujourd’hui, c’est 1989 !
« Nos exportations actuelles d’électricité réduisent les émissions de CO2 de nos voisins. » Déjà à l’époque, en 1989 ! Et en 2024, la France par l’intermédiaire d’EDF a exporté 89TWh d’électricité très bas-carbone toute l’année, en été et en hiver, quelle que soit l’heure de la journée et quelle que soit la météo, en garantissant l’équilibre du réseau électrique européen et l’absence de black-out. 89TWh, c’est un record absolu ! Et ça continue sur la même lancée en 2025, avec un talon de d’exportation de la France vers l’Allemagne de 2GW, l’équivalent de 2 réacteurs nucléaires français, en continu h24, rien que pour l’Allemagne. Elle qui a arrêté son parc nucléaire ! Où est l’éco-logique ?
C’est bien la preuve que, en totale collusion avec l’idéologie allemande et ses centrales au charbon, au lignite et au gaz, les politiques français ont réduit la transition « énergétique » en transition « électrique. » Pourtant, la transition « électrique » a été faite et bien faite au siècle dernier en France en montrant la voie du bas-carbone électrique. Autrement dit plutôt que de planter des ENRi dans un contexte d’électricité française déjà décarbonée, l’État aurait pu favoriser le changement des usages carbonés en électricité très bas-carbone. Plutôt que se concentrer sur le pragmatisme éco-logique, nos politiques français au pouvoir ont calqué leur politique sur la politique allemande antinucléaire.
Dans ce contexte, il ne faut donc pas s’étonner de la relance de la croisade des deux camps. D’une part, la croisade antinucléaire entretenue par le discours de l’État et d’autre part, la croisade antiENRi en réaction. Pour y remédier, il conviendrait que les politiques français s’appuient sur l’avance prise par la France sur son capital très bas-carbone électrique pour s’engager résolument dans une transition « énergétique » plutôt qu’exclusivement « électrique ». Ça nécessiterait du pragmatisme de la part de nos politiques au pouvoir et donc d’abandonner les croyances ancrées par le discours idéologique de ces dernières décennies. Est-ce possible ?
Les responsables politiques et la voie vers un pragmatisme énergétique
Madame Emmanuelle Wargon est à la tête de la CRE, Commission de Régulation de l’Énergie et non de la seule électricité ! C’est donc elle qui est aux commandes de la PPE3. Par le passé, son discours était farouchement antinucléaire, commentant en 2020 avec un plaisir non dissimulé la fermeture de 14 réacteurs et l’arrêt des réacteurs en été parce que, je la cite, « on n’est pas en capacité de les refroidir » (2). Même si elle a ensuite affirmé au Sénat en août 2022 qu’elle était, je la cite, « favorable à l’électricité nucléaire » (3), il est difficile de changer radicalement d’auto-programmation cognitive de ses croyances passées. Dans le même esprit, Madame Elisabeth Borne s’est félicitée en 2020 d’avoir arrêté la centrale de Fessenheim, sûre, en parfait état de marche et très bas-carbone en ces mots « il y a ceux qui en parlent, nous, on le fait ! » (4) Elle justifiait l’arrêt de Fessenheim pour, je la cite, « ne plus être dépendant d’une seule technologie. » Mais alors pourquoi dans une transition « énergétique » ne pas laisser tourner un moyen de production pilotable et sûr d’après l’Autorité de Sûreté Nucléaire et « en même temps » ériger des éoliennes ? Madame Borne est toujours au gouvernement. Par ces deux exemples, on comprend que la culture antinucléaire a gangréné l’État français par une idéologie européenne provenant d’Allemagne. L’État français s’est détourné ainsi d’une nécessaire transition « énergétique » au profit d’une transition exclusivement « antinucléaire. » La logique écolo a primé sur l’éco-logique. Il est donc normal que la PPE3 tourne au combat anti contre anti dans l’opinion publique.
La balle est dans le camp de l’État français. Autrement dit, plutôt que des mesures de type PPE3, l’État doit fixer un cap, donner une vision pour l’avenir énergétique éco-logique et pragmatique de nature à sortir de la logique de combat idéologique. C’est d’ailleurs la définition même du « en même temps », à savoir « intégrer en même temps le meilleur de tous les contraires dans une tension créative. » (5) D’ailleurs, cette remarque ne concerne pas que l’aspect énergétique et écologique. Il en est de même sur des domaines comme la santé, l’école et l’éducation entre autres.
Au siècle dernier, les politiques au pouvoir ont dessiné un avenir électrique qui permet toujours de disposer d’une électricité nucléaire « en même temps » abondante qui inonde l’Europe, sûre en abandonnant la filière UNGG pour la filière sûre REP, très bas-carbone, il n’y a pas plus bas même avec les ENRi, pilotable, c’est une spécificité mondiale du nucléaire français, économiquement rentable et un prix parmi les plus bas d’Europe dans la durée. 51 ans après le plan Messmer de 1974, l’État français d’aujourd’hui en bénéficie toujours, entre autres par la balance du commerce extérieur. Même si la PPE3 donne, enfin, de la vision aux industriels sur un programme nucléaire pour investir en finance, matériels et compétences humaines, il aura fallu plusieurs décennies d’idéologie pour accoucher de ce plan. Alors que nous étions en avance sur le monde sur l’électricité bas-carbone et particulièrement sur la filière à neutrons rapide avec Creys Malville sacrifié sur l’autel de l’idéologie et le projet ASTRID avorté sur le même autel, que de temps perdu sur la transition « énergétique », les émissions de CO2 et le réchauffement climatique. Il faut maintenant reconstruire une filière de construction nucléaire qui pouvait être maintenue. Faire, défaire et refaire, pendant ce temps, les chinois ont pris de l’avance. Irrattrapable !
(1) Rapport de Michel Ricard de 1989 sur la transition électrique française https://inis.iaea.org/collection/NCLCollectionStore/_Public/50/035/50035816.pdf
(2) Madame Emmanuelle Wargon le 12/07/2020 durant l’émission « le grand rendez-vous » sur Cnews https://www.youtube.com/watch?v=9-KaneuEFPc
(3) Madame Emmanuelle Wargon en août 2022 en audition au Sénat, https://www.youtube.com/watch?v=i0-mdxmdFh4
(4) Madame Élisabeth Borne dans l’émission les 4 vérités de Télématin sur France 2 après les élections municipales de 2020 https://www.youtube.com/watch?v=UhILY6op8o0
(5) « Comprendre la Spirale Dynamique pour mieux l’utiliser », le livre de Christian Semperes