
Juriste, économiste et philosophe de formation, entrepreneur par vocation, blogueur et essayiste à ses heures, Thierry Godefridi a publié récemment : « Ces vaniteux nous enfumant et leurs drôles d’idées, L’Europe sous l’emprise de l’idéologie » aux éditions Palingénésie. Il est également rédacteur pour le journal satirique belge PAN. Il répond ici à nos questions.
The European Scientist : Vous venez de publier l’ouvrage « Ces vaniteux nous enfumant et leur drôle d’idées », une compilation de vos notes de lecture. D’où vous est venue cette idée originale ? Pouvez-vous nous expliquer ce qui a guidé votre sélection ?
Thierry Godefridi : Toutes proportions gardées, je me suis en quelque sorte inspiré du recueil que Jean-François Revel avait composé de ses propres chroniques politiques et littéraires des deux dernières décennies du siècle précédent sous le titre « Fin du siècle des ombres ». Je m’y réfère d’ailleurs explicitement au début de mon livre et je défends la thèse que les « ombres » ne se sont pas dissipées. Elles ont changé de forme et de contenu, mais le lien entre l’action et la raison, la politique et la vérité, dont Revel constatait la rupture, n’a pas été rétabli en Europe. J’ai rassemblé mes lectures éclectiques des cinq dernières années, particulièrement transformatrices pour l’Union européenne. Cette dernière n’est plus du tout la communauté libérale de nations qu’elle était à l’origine et elle est devenue tout autre chose, un empire.
TES : Vous affirmez que l’Europe est sous l’emprise de l’idéologie. De quelle idéologie s’agit-il ?
TG : La principale idéologie sous l’emprise de laquelle l’Europe s’est transformée est l’écologie politique, bien que ce ne soit pas la seule à l’oeuvre. En ces temps de désaffection du public pour les Eglises traditionnelles, Gaïa s’est substituée à l’absolu transcendantal divin. C’est ce qui explique l’intérêt non dissimulé desdites Eglises (catholique, protestante) pour la nouvelle cause. Ce n’est d’ailleurs pas vraiment une surprise puisqu’un rapport remis à la Commission européenne en 1991 préconisait déjà explicitement de recourir à une nouvelle « métaphore éthiquement mobilisatrice » afin de « réenchanter l’Europe » face aux progrès de la science et de la technique. Nous sommes en plein réenchantement, pour le plus grand plaisir des ré-enchanteurs, assurément moins pour celui des ré-enchantés. En effet, l’idéologie qui domine l’Europe la conduit à la destruction de sa compétitivité industrielle, de ses richesses et du bien-être de sa population, à la décroissance économique et à la régression sociale, car l’une entraîne l’autre.
TES : Vous consacrez une bonne partie de l’ouvrage à la critique du malthusianisme. Comment expliquez-vous le succès de ces thèses ?
TG : L’écologie politique est une idéologie anti-humaniste et mortifère dont les racines, je le démontre dans le livre, remontent du point de vue historique et sur le plan conceptuel à la pensée de Malthus et qui s’inscrit dans la continuité du malthusianisme, du darwinisme social et de l’eugénisme, bien plus que du marxisme, même si celui-ci et l’écologisme ont en commun leur haine du capitalisme. Greta Thunberg est la personnification vivante de ce militantisme confusionnel.
TES : Vous terminez votre ouvrage par un chapitre sur la société ouverte et ses ennemis de Popper, pensez-vous que ce livre soit la clé des problèmes auxquels fait face l’Europe.
TG : Les communautés européennes constituèrent à leur origine l’exemple même d’une société ouverte, libérale, soucieuse d’harmonie sociale et de prospérité du plus grand nombre, obéissant à la règle de droit. « Par égarement idéologique autant que par volonté de puissance », comme l’eût dit Revel, l’Union européenne représente l’antithèse de son projet initial. Elle consiste en une société fermée, au sens de Hegel chez qui l’Etat prévalait sur l’individu, sans grands horizons ni espoirs pour ses citoyens.
L’Europe doit se ressaisir. Elle n’a été que trop longtemps distraite par les fantasmes de politiciens et de bureaucrates qui n’avaient apparemment d’autre souci que de préserver leurs prérogatives et leurs prébendes, en tout cas pas le bien-être et la sécurité des citoyens. Cela eût dû avoir la priorité depuis toujours, mais la nouvelle donne géopolitique en impose à présent l’importance et l’urgence. La lutte contre le changement climatique est un leurre. D’une part, nous sommes loin de comprendre tous les éléments qui le déterminent (et donc d’évaluer précisément l’influence de l’homme) ; d’autre part, si tant est que l’activité de l’homme joue un rôle déterminant, comment l’Europe pourrait-elle remédier seule au problème alors qu’elle représente moins de 10% des émissions de gaz à effet de serre qui sont censés avoir un effet néfaste sur le climat et que le reste du monde n’en a cure ?
L’Europe doit retrouver le sens des réalités, redevenir compétitive, redonner le goût d’entreprendre aux candidats entrepreneurs, laisser les entreprises, petites et grandes, entreprendre, sans en entraver la marche et le succès par une avalanche de règles et normes élaborées par des gens qui n’ont jamais vraiment dû travailler, dans l’industrie, le commerce ou l’agriculture, par exemple.