
Ingénieur de formation, spécialisé dans les réseaux telecom et la cryptographie avec 25 ans d’expérience dans le secteur des paiements électroniques Pierre Noizat est le fondateur de Paymium une plateforme d’échange de cryptomonnaies. Également chercheur indépendant, essayiste et conférencier, il est l’auteur de l’Energie, la face cachée de la monnaie, paru en septembre 2024 chez Konsensus Network. Dans cet ouvrage, il propose une approche interdisciplinaire dans laquelle il mêle ses réflexions sur l’énergie, la théorie de l’information, la cryptographie et l’économie, et propose analyses et solutions. Un travail qui lui a été inspiré par son parcours à la Columbia University (MBA, Business School) où il a été formé non seulement aux mécanismes monétaires et financiers mais aussi à l’école autrichienne d’économie (Friedrich Hayek) et celle de Chicago (Milton Friedmann).
The European Scientist.: Votre livre a pour ambition d’expliquer le lien entre énergie, information et monnaie. Pouvez-vous nous résumer cette thèses en quelques idées ?
Pierre Noizat : Le livre développe une théorie énergétique de la valeur, s’appuyant sur les 3 principes qui définissent l’énergie et régissent son fonctionnement.
Un système monétaire est un système d’information: il permet de mettre un prix sur les biens et services et de les échanger. Une information équivaut à une quantité d’énergie, mesurable en Joules, énergie économisée ou énergie libérée.
– Energie économisée:
Par exemple, les données GPS que reçoit un automobilistes vont lui faire économiser une quantité de carburant.
– Energie libérée:
Une invention est une information qui libère une énergie: par exemple, l’invention de la charrue libère l’énergie du boeuf qui la tire. Avant cette invention, le paysan n’avait que l’énergie de ses muscles. Autre exemple, l’invention de l’énergie nucléaire a libéré une énergie auparavant inexploitée dans le combustible nucléaire.
Valeur énergétique de l’information = énergie libérée + énergie économisée.
Valeur énergétique d’un système monétaire = énergie économisée (comparé à une situation ou seul le troc est possible) + énergie libérée (valeur des biens et services échangés qui ne l’auraient pas été en l’absence du système monéatire).
Autre façon d’appréhender la valeur d’un système monétaire:
Valeur d’un système monétaire = valeur énergétique (contrepartie énergétique de la création monétaire) + valeur sociale (valeur énergétique des échanges réalisés avec le système). Je postule que, pour un système monétaire donné, les deux formules doivent donner le même résultat.
TES.: Vous ébauchez toute une théorie sur la structure dissipative – le troisième principe de la thermodynamique – et l’adaptation de l’humanité. Pouvez-vous nous présenter celle-ci ?
PN: Cette théorie s’appuie entre autres sur les travaux de Illya Prigogine et ses disciples, Valery Chalidze et François Roddier. Prigogine a énoncé le 3e principe: une structure dissipative tend à s’auto-organiser pour maximiser la quantité d’énergie qu’elle transforme. Par structure dissipative, on entend tout système ouvert c’est à dire recevant de l’énergie sous une forme ou sous une autre. Un avion ou un animal sont des structures dissipatives. En fait les structures dissipatives sont imbriquées les unes dans les autres depuis l’atome, la molécule, la cellule, la matière, les être vivants, les espèces auxquelles ils appartiennent jusqu’à l’univers observable lui-même. L’évolution darwinienne est une forme d’auto-organisation au niveau de l’espèce et une manifestation du 3e principe.
TES .: Vous démontrez une passion toute particulière pour le Bitcoin et le fait qu’il soit décentralisé. Il permet dites-vous une voie vers une forme de capitalisme raisonné.
PN: Le capitalisme devient disfonctionnel si la monnaie est protégée par un monopole.
Friedrich Hayek a expliqué pourquoi la concurrence des monnaies est indispensable pour éviter que les bénéficiaires du monopole monétaire n’asservissent toute l‘économie à leur profit. Bitcoin est l’invention qui rend possible une concurrence des monnaies de sorte que l’Etat ne puisse plus abuser de la monnaie-dette. Avec la monnaie-dette sous son contrôle, l’Etat devient obèse, s’occupe de tout et ne fait plus rien correctement.
Quand Hayek parle de “monnaies privées” c’est à dire indépendante des Etats, il souligne que seules celles qui seront gérées avec une création monétaire prudente garderont la confiance des utilisateurs. De ce point de vue, Bitcoin est une monnaie parfaitement adaptée à une concurrence des monnaies. Sa décentralisation garantit que personne ne pourra augmenter arbitrairement la quantité de bitcoins en circulation. Bitcoin est à l’extrémité du spectre de la décentralisation et l’euro est à l’opposé de ce spectre. Les autres cryptomonnaies ne sont pas assez décentralisées pour garantir une masse monétaire inélastique comme celle de Bitcoin.
TES.: Selon vous le Bitcoin fait un bon usage de l’énergie, c’est une monnaies preuve (opposées aux monnaies promesse). Comment pouvez-vous convaincre le grand public de cette thèse totalement à contre-courant ? Est-ce que cela pourrait rendre le Bitcoin populaire ?
PN: Factuellement, le minage Bitcoin ne peut utiliser que des surplus d’énergie sinon il n’est pas rentable. Il se trouve que la production d’électricité génère des quantités énormes de surplus à l’échelle mondiale dont Bitcoin utilise une petite fraction. En apportant des revenus supplémentaires aux producteurs d’électricité, Bitcoin pourrait faire baisser la facture du grand public.
Malheureusement, les producteurs d’électricité bénéficient souvent d’une sorte de monopole local car l’énergie électrique est difficile à transporter ou à stocker. Ils n’ont pas d’incitations véritables à révéler qu’ils ont des surplus et à faire baisser les factures.
Par ailleurs, les banques centrales désinforment le public en comparant l’utilisation de l’électricité par Bitcoin à celle d’un pays comme la Belgique. Or le minage Bitcoin utilise zéro pour cent de l’électricité disponible en Belgique car elle est trop chère. Le minage Bitcoin réalise un arbitrage géographique en s’installant partout où il y a des surplus, c’est à dire loin des grandes métropoles et dans des pays où les réseaux de distribution de l’électricité sont moins développés.
TES.: Vous défendez les théories de l’information (encore une conséquence du 3ème principe de la thermodynamique ) face aux néo-luddites technophobes. Pouvez-vous développer ?
PN: Le progrès technologique est une conséquence du 3e principe: l’espèce humaine s’auto-organise en accumulant de la connaissance pour maîtriser et utiliser toujours davantage d’énergie. Ce n’est donc pas une fatalité qu’il faudrait éviter mais une manifestation de notre nature profonde en tant qu’espèce vivante. Le soit disant “bug humain” n’en est pas un: c’est une fonctionnalité issue d’une loi fondamentale de la physique. Je préfère en tout cas l’aborder sous cet angle scientifique que sous celui de la morale comme le font les néo-luddites qui nous ramènent au mythe du péché originel.
TES.: Quelles perspective de salut voyez-vous pour une France endettée ? Pourquoi dites-vous que la création monétaire est une incitation à l’impôt ?
PN: La possibilité pour l’Etat de s’endetter aussi facilement repose sur le monopole de la monnaie-dette. Dès lors l’Etat étend constamment son périmètre et augmente son train de vie avec des fonctionnaires et des obligés toujours plus nombreux. Quand le niveau d’endettement atteint un certain seuil, les impots doivent augmenter aussi pour que le mythe d’un remboursement possible de la dette publique perdure ou simplement pour payer les intérêts de la dette.
A ce stade, le salut ne peut venir que d’une réduction drastique de la dépense publique via des privatisations généralisées. Seules l’armée, la police et la justice devraient rester à terme dans le périmètre de l’Etat.
Le secteur privé est naturellement plus efficace que l’Etat car beaucoup plus vigilant sur le poids de sa bureaucratie. Les privatisations doivent générer des économies qui pourront être distribuées sous forme d’augmentation du salaire net, aujourd’hui amputé de charges excessives.
TES.: Vous pratiquez l’interdisciplinarité en abordant aussi bien des notions scientifiques ( épistémologie, physique, biologie, économie, anthropologie) mais également des notions religieuses (bouddhisme, taoïsme …). Vous ne craignez pas le jugement des rationalistes ?
PN: Le bouddhisme et le taoïsme sont abordés en tant que philosophies orientales car ce sont des sagesses millénaires qui semblent très pertinentes aujourd’hui. Si j’utilise la symbolique du Yin et du Yang, empruntée au taoïsme, c’est pour montrer l’importance d’une polarité opposée pour mobiliser une énergie.
Je ne traite pas ces philosophies comme des religions car mon livre est aussi un plaidoyer pour l’athéisme qui est trop souvent caricaturé par les religieux. Les rationalistes devraient au contraire adhérer à ma thèse.
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Je pense qu’il faut utiliser l’analogie avec prudence; il s’agit bien, en l’espèce, d’une analogie entre le fonctionnement d’une crypto-monnaie et des structures dissipatives mises en évidence par Prigogine. L’analogie n’a pas valeur démonstrative, mais seulement illustrative.
Jacques Bouveresse a écrit un petit essais très clair sur cela: « Prodiges et vertiges de l’analogie » où il fustige l’utilisation du théorème de Gödel par Régis Debray, auquel il n’a vraisemblablement rien compris (comme moi d’ailleurs, mais j’évite de m’en servir de justification pour expliquer toute forme d’incomplétude)
L’auteur semble suffisamment maîtriser son sujet pour ne pas avoir besoin de justifications hasardeuses qui n’apportent rien, et, même, obscurcissent le propos