
C’est cette année que le cosmodrome de Baïkonour au Kazakhstan va franchir le cap historique des 70 ans d’existence. Né dans le secret militaire soviétique, ce site emblématique perdu au coeur de la steppe kazhakstanaise est devenu, au fil du temps, bien plus qu’une simple base de lancement : un sanctuaire scientifique, un témoignage architectural et un levier central de la recherche orbitale. Si l’exploration spatiale s’oriente désormais vers d’autres planètes voire constellations, le rôle de Baïkonour reste inégalé dans l’histoire de la science, de l’espace et de l’homme.
Baïkonour : aux origines d’un mythe scientifique
Tout commence en 1955, en pleine guerre froide. Le décret officiel signé le 12 février de cette année-là lance la création d’un centre d’essai militaire sous le nom crypté de « Site n°5 ». Installé près de la station de Tyuratam, au cœur d’une région inhabitée de l’actuel Kazakhstan. Le projet est enveloppé d’un secret rigoureux : une fausse structure sportive est même érigée pour détourner l’attention des services étrangers !
Mais l’enjeu est colossal. Il s’agit de construire une infrastructure capable de propulser des missiles intercontinentaux et, rapidement, des satellites scientifiques. Le scientifique soviétique Sergeï Korolev, stratège en chef du programme, choisit le site pour sa latitude avantageuse, permettant une meilleure poussée orbitale tout en économisant du carburant, grâce à la rotation de la Terre.
En 1957, c’est ainsi depuis le Kazakhstan, depuis Baïkonour, que décolle Spoutnik 1, le premier satellite artificiel envoyé par l’homme dans le ciel ! Le monde bascule cette année là dans l’ère spatiale. Le 12 avril 1961, moins de 4 ans plus tard, Youri Gagarine s’élève à bord de Vostok 1 pour devenir le premier homme dans l’espace. À partir de ce moment, Baïkonour n’est plus une base : c’est un jalon dans l’histoire de la civilisation.
Le théâtre des grandes avancées scientifiques et spatiales
Depuis ses débuts, le cosmodrome n’a cessé de servir la science. Entre les années 1960 et aujourd’hui, plus de 5 000 fusées y ont été lancées, dont près de 3 000 missions spatiales confirmées. Plus de 150 cosmonautes, dont les Kazakhstanais Toktar Aubakirov, Talgat Mussabayev et Aidyn Aimbetov, ont quitté la Terre depuis ses plateformes. Chaque lancement ne représente pas qu’un défi technique, mais un apport tangible à la recherche : médecine spatiale, physique des fluides, biologie en microgravité.
Depuis les années 2000, Baïkonour s’est recentré autour de la Station spatiale internationale (ISS), dont il demeure l’un des points d’accès principaux. Le 31 octobre 2000, Soyouz TM-31 quitte la rampe légendaire pour envoyer la toute première équipe permanente vers l’ISS. Une nouvelle ère commence.
L’Agence spatiale européenne (ESA) participe régulièrement à ces missions. Le 25 avril 2002, la mission Marco Poloemporte à bord de Soyouz le spationaute italien Roberto Vittori. À cette occasion, l’ESA souligne que « Baïkonour joue un rôle important dans la nouvelle ère de coopération internationale en matière spatiale ». Un rôle que le site ne quittera pas depuis.
70 ans de structure, d’ingéniosité et de science en action
Avec ses 6 717 kilomètres carrés, Baïkonour est un colosse. Il comprend douze rampes de lancement (dont six encore opérationnelles), onze bâtiments d’assemblage, deux aérodromes, plus de 400 km de voies ferrées et un système complexe de refroidissement cryogénique, de transformation énergétique et de communication. Plus de 10 000 personnesy travaillent en permanence.
Sa spécificité ? Un écosystème technique complet, capable de gérer l’ensemble de la chaîne de lancement : depuis l’arrivée des composants, leur test, l’assemblage, le positionnement sur le pas de tir jusqu’aux opérations de vol. Le site abrite également des simulateurs, des chambres à vide, des laboratoires de biosciences, et même une usine de production d’oxygène et d’azote.
Baïkonour, le musée vivant de la conquête spatiale
Pour célébrer ses 70 ans, Baïkonour n’a pas seulement organisé des conférences techniques et des visites officielles. Il a ouvert plus largement les portes de son musée, installé au cœur même du complexe. On y découvre la réplique grandeur nature de la station Mir, les modules historiques de Soyouz, des moteurs de fusées originaux, ainsi que le célèbre vaisseau Bourane, l’unique navette spatiale soviétique qui effectua un vol orbital en 1988.
On y visite aussi les deux maisons en bois où vécurent Korolev et Gagarine, intactes depuis les années 1960. À l’extérieur, dans l’espace muséal à ciel ouvert, les visiteurs peuvent grimper dans le cockpit de Bourane, marcher sur les rails qui menaient les fusées vers les pas de tir, observer les antennes radars d’époque. Chaque objet est une relique scientifique, témoignage de l’audace technologique d’un autre temps.
70 ans d’histoire écrite à Baïkonour, et c’est loin d’être terminé
Contrairement à de nombreuses installations historiques reléguées au patrimoine figé, Baïkonour reste opérationnel. Environ 20 lancements par an y sont encore réalisés, majoritairement pour des missions vers l’ISS ou des satellites scientifiques.
La base reste l’un des seuls sites au monde capable d’acheminer des humains vers l’orbite basse avec une fiabilité éprouvée. Et l’accord signé entre le Kazakhstan et la Russie en 2004, renouvelé jusqu’en 2050, assure la stabilité institutionnelle de cette coopération.